18 Février 2023
- Justice, Lodève, Montpellier -
La parole est à la défense, pour Me Darrigade et M Abratkiewicz.
Direct. Le 10 mars 2016, vers midi, sur le parking de la clinique Saint-Jean de Montpellier, Ahmed Bakiri, un Lodévois de 52 ans crible de balles les deux frères Mohamed et Lahcène Benameur, tuant le premier, blessant grièvement le second. En arrière-plan de cette rencontre sanglante, une haine ancienne entre ces deux familles harkies, nourrie d'autres drames et courant sur plus de 30 ans. Sept ans après, et alors que l'accusé est en liberté, le procès, ouvert ce lundi 13 février devant la cour d'assises de l'Hérault, s'achève ce jeudi 16 février 2023. Plaidoiries de la partie civile, réquisitoire, défense, verdict : suivez tous les temps forts en direct sur midilibre.fr
- 19 h 30 : le verdict va être rendu
Le délibéré est terminé, après trois heures de réflexion, et la cour va très bientôt rendre son verdict. Le public et les avocats sont rentrés dans la salle, Ahmed Bakiri revient dans la salle, escorté par des policiers.
La cour et les jurés reviennent. Ahmed Bakiri est reconnu coupable de meurtre et de tentative de meurtre, la cour retient l'altération de son discernement au moment des faits. Il est condamné à vingt ans de réclusion criminelle, avec une peine de sûreté de dix ans.
Le verdict est accueilli dans un silence total et sans aucune réaction dans la salle pleine à craquer.
- 16 h 10 : Les derniers mots d'Ahmed Bakiri
" J’ai dit la vérité. J'ai fait comme celui qui a tué mon frère. J’espère que c’est la dernière fois que n’importe quel des Bakiri se retrouve devant vous. Je ne peux rien réparer, mis à part accepter ma peine. "
La cour se retire pour délibérer.
- 15 h 10 : Me Luc Abratkiewicz
" Je m’interroge sur le sens de mon rôle dans ce dossier. Est-ce que je défends un homme sur le chemin de la vérité. "
" L’homme que je défends porte un lourd fardeau. On a l’impression que celui qui a réussi son procès porte un lourd fardeau. Il a conscience du mal qu’il a fait. Et plus que tout il sait ce que c’est qu’être victime. Il sait aussi le mal qu’il fait à sa famille. "
" Il n’y a pas de gagnant ici il n’y a que des perdants. "
" C’est rare un tel sentiment de culpabilité. Il aurait trompé tout le monde, les trois psychiatres, le psychologue, le juge d’instruction ? Ce matin on n’a pas osé le dire, mais ce qui se susurre, c’est qu’il est fort, il a réussi son procès. Des effets de manche à tout casser. On est venu dire que dans ce dossier il avait eu un traitement de faveur, laissant peser la connivence. Restons dignes, restons humbles. On n’est pas là pour lancer ds brûlots, pour tordre la vérité. Bas les masques! Le seul qui a eu cette sincérité, c’est vous, M. l’avocat général. "
" Lui il veut partir en prison parce qu’il ne supporte plus les regards, cette culpabilité, il ne supporte plus l’homme qu’il est devenu. "
" Il n’est nul besoin d'être psychiatre ou psychologue pour comprendre ce qui s’est passé ce matin-là. Je n’ose imaginer et sans tomber dans le misérabilisme l’enfance d’Ahmed Bakiri. "
" Ils ont tous réussi sauf Youssef qui est tombé dans l’alcoolisme qui lui sera fatal, et puis il y a Ahmed. C’est un bac C qu’il a raté, qu’il a repassé. "
" Il va y avoir une terrible erreur, on va interdire à Ahmed de venir au procès. Et pendant 26 ans on va se regarder en chien de faïence. Mais même si on changeait de trottoir, des violences, des menaces, il n’y en avait pas. "
" Coupable, oui, menteur non. Ahmeed Bakiri n’a jamais eu un traitement de faveur et il ne vous demande pas aujourd'hui un traitement de faveur, il vous demande la justice ".
" Brisez le miroir, brisez ce cycle, cette malédiction, et ne sacrifiez pas cet homme. "
- 14 h 30 : Me Darrigade pour la première plaidoirie de la défense
" Il a réussi, Ahmed Bakiri ? L’hommage nous vint de son principal contradicteur, teinté d’une amertume. Il a réussi quoi ? À être authentique, sincère tel qu’il est depuis que je le connais. "
" Il est à la fois facile et difficile à défendre. Les accusés parfois n’ont pas cette attitude d’empathie spontanée pour ceux à qui ils ont infligé de la peine, de la souffrance, cette autocritique pour se voir salis par le crime qu’ils ont commis ".
" Ils n'ont pas cette façon d’anticiper cette sanction qui va venir, en la préparant avec leur femme leurs enfants ceux qu’ils aiment en leur expliquant que c’est juste. "
" Ce qui est difficile c’est que pour le défendre je ne voudrais pas blesser ceux qui souffrent ici et qui ont été d'une dignité exemplaire ".
" Et je voudrais participer un peu à ma modeste place au futur qui nous concerne tous. "
" Pendant 26 ans il a été celui qu’on venait voir pour apprendre à se battre et qui vous disait qu’il ne fallait pas se battre. Il était celui qui se disait Ahmed, n’écoute pas cette petite voix qui te parle depuis les années 90 et cette blessure profonde. "
" 1990 c’est l’année où est volée cette arme à un policier, qui sera l’arme du crime. Ce ne peut pas être le frère policier, il avait huit ans à l’époque, le pauvre. Il est interdit de porter une arme parce que hélas, un jour, parce qu’on croit qu’on raison , on s’en sert. "
" L’altération. Pourquoi ces experts écrivent ça ? Ils rencontrent l’homme que je vous ai décrit, avec ses blessures et les drames que l’on vous a décrits. En 1990, il n’avait que 19 ans, il voulait voir son frère il est entré dans une clinique il a forcé les portes il voulait voir son frère il ne l’a pas reconnu, il a été tué à coups de pied dans la tête ! C’est une souffrance, elle n’est ni plus ni moins forte que celle des autres ! "
" Cette cour d’assises là, c’est la même qui a jugé cette affaire-là de 1990. Il y a un drame dans la vie de cet homme il y a une fêlure, une douleur immense. "
" Il perd deux fois un père, dans des conditions qui sont terribles. "
L'avocat rappelle l'enchaînement des circonstances macabres de ces jours-là, entre l'annonce du cancer de son frère Youssef, la mort de la belle-sœur Claudette.
" Le vendredi on creuse. On a ouvert la sépulture on a creusé avec la pelle jusqu’aux os. Le 6 elle meurt. Le 8 on l’enterre. "
" Tout cela c’est une semaine hors du commun, personne ne peut vivre une semaine comme celle-là sans avoir sa carapace qui se fendille, son armure qui s’ouvre sous les coups du destin. Et les experts voient qu’ils sont confrontés à quelque chose de hors norme. "
" Les troubles de la mémoire qui serait opportunistes, je n’y crois pas. Il est déjà là dans les années 90 où quand il convoque cette scène où on lui sort une arme, il ne sait plus. C’est inscrit dans les rapports de l’époque. Le trou noir créé par des émotions terribles, il est convoqué même dans les années 90. Ce ne sont pas des troubles utilitaires. "
" Ces décisions de justice en 1988 et en 1990 ont été prises avec une part de rigueur et une part de mansuétude. S’il y a une solution si on se tourne vers l’avenir, c’est qu’il ne faut rien changer à la manière de juger, et de leur dire que peut-être que ce soir vous allez mettre dans le plateau de la balance la douleur et le caractère froid de ce crime et de l’autre Ahmed Bakiri avec sa repentance et ses remords. "
- 12 h 25 : le réquisitoire de l'avocat général Gutierrez
L'avocat général Georges Gutierrez requiert contre l'accusé Ahmed Bakiri
" Ce 10 mars 2016, 26 ans après, un quart de siècle, une génération après, Ahmed Bakiri va enfin assouvir la vengeance qui le mine depuis la mort de son frère. Ce 10 mars va exploser un ressentiment qui va faire ressurgir le passé. La question que vous aurez à trancher c’est celle de la peine que vous aurez à prononcer. "
" Ahmed Bakiri s’est présenté devant cette cour de façon extrêmement intégré à la société française, dominant ses émotions et respectueux de la cour, de l’ordre. "
" Le fond de sa personnalité se trouve autour de la mort de son frère et de cette condamnation qu’il n’a pas acceptée. "
" Les quatre expertises aboutissent à la même conclusion. Aucun expert ne peut expliquer pourquoi ce passage à l’acte a eu lieu. "
" Ce traumatisme existe. On ne peut pas lutter contre quatre experts et je pense que la cour ne peut que reconnaître qu’il y a une altération du discernement, et que la peine doit être limitée à 20 ans. La question est de savoir où placer le curseur. Je vous demande de ne pas baisser le curseur en dessous de vingt ans pour les raisons suivantes. "
" Sur la préméditation, je pense que s’il avait prémédité son acte il aurait choisi un endroit moins exposé que la clinique. "
"Est-on dans la provocation ? On ne sait pas trop. On sait qu’ils s’évitaient. À l’approche des faits rien ne laisse penser que le drame qui va se produire va arriver. Ahmed Bakiri mène une vie normale et la haine ne s’est jamais exprimée, il l’a gardée en lui pendant toutes ces années. À ceci s’ajoutent la mort de sa belle-sœur, la maladie de son frère Youssef, la préparation des obsèques où il se retrouve avec les os de son frère".
" Cette mise à mort s’est faite devant de nombreux témoins. Est-ce que quand M. Bakiri s’approche de sa victime pour lui tirer dans la nuque, est-ce qu’on peut parler d’un homme dépassé ? D’un homme qui n’a pas conscience de ce qu’il fait ? "
" S’il est animé de cet esprit de vengeance dont il parle, pourquoi tire-t-il sur Lahcène Benameur alors qu’il n’a aucun contentieux avec lui. Dans la logique de ce que disent les experts il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. On vous dit qu’il agit comme un robot, mais alors pourquoi s’en prend-il à quelqu’un qui ne lui a rien fait ? Il devrait s’attaquer directement à Mohamed et non pas à Lahcène. Il est passé tout près de la mort. Il était visé dans un coin de son corps où un impact de 357 Magnum ne pouvait que le tuer. Et s’apercevant de sa méprise, pourquoi ne s’arrête-t-il pas ? "
" Peut-on dire qu’il est dans une altération totale de son discernement ? On ne peut pas dire qu’il n’avait pas conscience de ce qu’il faisait. "
" C’est réglé" cette question interpelle, c’est comme s’il avait été au bout de la mission qu’il s’était assignée, comme s’il signait l’acte qu’il a commis. "
" Il passe des appels à ses associés pour dire qu’il a fait une connerie, quand on parle d’une connerie, c’est qu’on a conscience de ce qu’on a fait. "
" Et enfin pourquoi est-il venu armé d’un 357 Magnum. C’est une arme extrêmement puissante, dangereuse, qui a été utilisée par la police pendant des années. Je ne suis pas convaincu par ses arguments. Pourquoi entre-t-il dans la clinique avec cette arme extrêmement puissante ? Est-ce à cause de la crainte de rencontrer la famille Benameur qui est sur place ? On peut se poser la question. "
" Dans cette affaire, nous avons un mort et un laissé pour mort. "
" On est en fac de deux crimes, vous ne pouvez pas descendre en dessous de vingt ans et je vous demande un suivi socio judiciaire pendant une durée de dix ans. "
- 11 h 15 : la plaidoirie de Me Jean-Robert Phung
Me Edouard Martial et Me Jean-Robert Phung, avocats de la partie civile, vont plaider ce matin.
" Ahmed Bakiri a réussi bien au-delà de tout ce que vous a décrit Edouard Martial. Il a réussi à faire une double exécution criminelle, une qui a abouti, la seconde qui Dieu merci a échoué, aux yeux de quasiment tout le monde, dans une sorte d’amphithéâtre où les gens se mettaient aux fenêtres, à 11 h 30 un matin du mois de mars, sans doute ensoleillé. Il ne se dissimule pas, il n’a pas de col remonté sur son visage. Avec un 357 Magnum il a exécuté deux hommes, mais son plus grand succès est d’avoir transformé cette double exécution en l’entraînant sur terrain du débat psychiatrique. "
" L’essentiel de ce qui a agité ces quatre jours de procès n’est pas la froide détermination dont ont parlé les témoins, ce n’est pas tant d’insister sur le fait d’achever la victime. Son plus grand exploit : je ne me souviens de rien, j’ai un trou noir, j’étais comme hors de moi. "
" Et j’ai tellement raison qu’une experte psychologue et trois experts psychiatres viennent vous dire que j’ai raison : je ne me souviens de rien. "
" Laissez-moi un deuxième préliminaire : quand est-ce que tout cela va s’arrêter, ce cercle de haine et de mort ? Je ne pense pas qu’à ceux-là. Je pense à ce fils de 16 ans, du haut de sa falaise, à ce point désespéré qu’il n’y a pas une main pour le retenir quand il se jette dans le vide ".
" Pour que la paix revienne il faut qu’il y ait la justice. Il n’y aura pas de paix si vous ne rendez pas la justice. "
" Si vous ne rendez pas la justice, ne vous y trompez pas, ce n’est pas la paix que vous aurez. Un sursis, un calme apparent, avant la prochaine explosion, qui va durer cinq ans, 26 ans… Si vous ne rendez pas la justice combien de temps cela va durer avant la prochaine explosion de haine ? "
" Lodève c’est une cuvette enserrée par le Larzac. C’était prospère avant et puis ça a commencé à chuter dans les années 70. Les commerces ont commencé à fermer, les jeunes à déserter, et Lodève accueille à bras ouverts cette génération d’immigrés qu’on ne sait pas où mettre. Ils sont déjà passés par des camps, Rivesaltes. Ce sont des familles entières qui se sont battues pour notre pays. Ils sont arrivés à Lodève, ils se sont mêlés à la population, ils sont allés à l’école. Et comme dans toute société, les animosités ont commencé à naître ".
" Faites en sorte que cette spirale du malheur cesse. "
" Le lieu du crime est un lieu de santé. C’était la dernière clinique du centre-ville elle a été expatriée à côté de l’autoroute, avec des halls d’entrée majestueux. La clinique Saint-Jean, c’était quelque chose à Montpellier. Elle était devenue exigüe, on ne peut que s’y croiser, parce que l’entrée c’est la sortie, et que l’ascenseur est le même, qu’il y a deux banquettes devant l’entrée quand on veut fumer sa cigarette. Et quand deux familles ont leurs proches hospitalisés depuis une semaine, il est impossible de ne pas s’y croiser. Du regard, à la machine à café, sur les malheureux bans, dans le parc de 70 m² avec trois malheureux arbres. Il faut arrêter de nous raconter cette fable. "
" Ce n’est pas Dieu qui vous a mis un 357 Magnum dans la voiture et dans la poche. Un 357 Magnum armé, prêt à tirer, prêt à l’emploi immédiat, sans perte de temps. "
" Dans une clinique, on y va les mains vides mais le cœur plein, plein d’amour pour celui qui est là et qui souffre. Lui, il y va avec une arme, parce qu’il a vu un groupe de gitans et d’Arabes, et que devant une clinique il se sent en insécurité absolue. Mais où on va ? Dans quelle époque vit-on ? "
" Il ne faut pas me faire prendre des vessies pour des lanternes. Pendant l’instruction, j’ai longtemps, longtemps cru à la préméditation, et je me suis longtemps, longtemps bagarré pour. J’ai perdu. "
" Je renonce à la préméditation. Mes questions resteront dans la tête de mes clients, les regards des jours d’avant, les quatre ou cinq hommes qui barrent l’entrée et s’écartent pour vous laisser passer. J’y renonce, j’essaie de m’approcher de la vérité. "
" Ce n’est pas une double scène de crime. C’est une double scène d’exécution. Il vient d’achever Mohamed, est-ce que dans son esprit Lahcène est déjà mort ? Il croise des personnes, il leur dit de dégager. "
" Je suis fier d’appartenir à un pays qui ne juge pas les fous. Et puis il y a une version beaucoup plus subtile qui est que son discernement n’a pas été aboli, mais altéré. Il peut-être jugé et votre cour a la possibilité d’aller aux deux tiers au maximum de sa peine. Soit vingt ans au lieu de trente ans. "
" Le première experte, la psychologue, rend un rapport que je trouve hallucinant, malgré tous les témoignages sur le calme de M. Bakiri, elle ne lui pose aucune question ni sur Lahcène, ni sur sa froide détermination, et elle conclut à un raptus. Une explosion émotionnelle paroxystique, où vous sortez de votre corps et de votre cerveau, vous êtes hors de vous. "
" Est-ce que la thèse du raptus peut expliquer la double exécution ? "
" Il faut que la sanction participe à briser la malédiction, qu’il n’y ait plus de mort parce qu’on a volé il y a trente ans la sacoche de M. Guy Lux. "
- 10 h 30 : La plaidoirie de Me Edouard Martial
Me Edouard Martial, partie civile pour la famille Benameur, prend la parole.
" Ahmed Bakiri a réussi son procès. Il ne connaît pas le verdict que vous allez rendre. Mais il a continué sur ce registre qui le met à l’abri de toutes les questions gênantes. Il lui a suffi de dire qu’il ne se souvenait pas, qu’il a été envahi par les images du passé. Oui il a réussi. Il a réussi contre la scène de crime elle-même, qui révèle en vérité tout ce qui l’habite à ce moment-là. Une rage froide, une haine que rien ne peut arrêter. "
" Les médecins, le personnel hospitalier racontent comment l’homme se déplace, poursuit, tire, se baisse, pour être sûr que celui qu’il poursuit de sa haine et de sa vengeance meure. "
" C’est réglé, c’est réglé, qu’est-ce qui est réglé M. Bakiri ? Cette haine et cette vengeance qui vous poursuit depuis 1990 ? Vous êtes vous senti le porte-parole de tous ? On aurait aimé vous poser cette question. On n’en saura pas plus. "
" Tout ce qui est gênant pour lui n’existe pas. Pendant des jours et des mois on fera comme s’il n’y avait qu’un seul crime intéressant, celui de Mohamed Benameur, alors qu’il y en a un second, celui de Lahcène qui s’en est sorti par miracle. "
" À votre barre, il reprend ce même discours protecteur. C’est extraordinaire d’avoir réussi à jeter un voile noir sur toutes les explications qu’eux attendent, et notamment celui qui n’avait rien à voir avec l’histoire, sinon qu’il s’appelait Benameur, et qui va prendre le premier coup de feu, presque face à face. Pourquoi lui ? "
" La haine ? Oui, je pense qu’il s’est nourri de cette haine et de son désir de vengeance pendant 26 ans, qu’il n’a fait que cela, jusqu’à l’opportunité qui s’est présentée ".
" On voudrait vous faire croire que si l’un d’entre eux, dans la famille Bakiri, s’il a vu quelqu’un de la famille Benameur à la clinique, il ne l’a pas dit aux autres ? "
" Oui, il a réussi, il a réussi en tout. Cette vengeance est en marche et rien ne va l’arrêter. En même temps qu’il court, Mohamed sait que le vengeur est derrière lui et ne le lâchera pas. L’homme va s'approcher et lui tirer dessus, froid. Il a réussi sa vengeance. Le reste ne l’intéresse pas. Il s’en fiche des conséquences. Mais à ses yeux, et aux yeux des autres, il a retrouvé sa légitimité, il ne pouvait pas vivre avec cette injustice de 1990. C’était à ce point insupportable qu’il fallait qu’il aille jusqu’au bout. "
" Voilà un homme qui entre dans une clinique avec une arme à feu sur lui, et un couteau à cran d’arrêt sur lui. "
" Il remet son sort entre vos mains, mais il se victimise sans arrêt, en ayant de cesse de se renvoyer à son passé. Il est harki, il a d’énormes difficultés à cause des traumatismes que l’on connaît. Et eux ? " dit l'avocat en montrant les Benameur.
" Il a réussi sa vengeance, en illustrant le mot de Beaumarchais : " Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi ".
" Ce jour là Ahmed Bakiri a voulu marquer de son empreinte cette histoire déjà tragique, de ces destins emmêlés jusqu’à la mort depuis 1990. Ce 10 mars, c’est un criminel qui est en route et que rien n’arrêtera. "
- 10 h : La première plaidoirie, Me Villa pour les enfants de Mohamed Benameur
La première plaidoirie est celle de Me Anne-Marie Villa, pour la fille de Mohamed Benameur, tué par Ahmed Bakiri.
" Cela fait 26 ans que la haine et la colère couvent sous les braises, et maintenant encore on nous parle de haine, de souffrance et des mensonges de la famille Benameur. "
L'avocate représente " la fille, l’aînée des trois enfants de Mohamed. Il y aurait dû y avoir un autre enfant, mais il s’est suicidé en juin dernier en se jetant du haut d’une falaise. Ce jour-là la famille Benameur n’est pas allée accuser la famille Bakiri. Mais Ahmed Bakiri, lui, a exfiltré sa compagne de Lodève. "
" Les enfants de Mohamed étaient placés, alors qu’ils devaient retrouver leur père, et on leur a dit non, il vient d’être assassiné. "
" C’est terrible pour eux. Ce n’est qu’il y a un mois et demi qu’elle est venue me voir et qu’elle a découvert toute l’histoire, de 1985 à 2005. On lui a énormément menti. Elle a aussi découvert tous les mensonges qu’on lui a dits, soi-disant dans son propre intérêt. "
" Vous allez rendre une décision, elle n’attend pas une vengeance. Elle est dans la résilience, elle est digne et sait garder le cap. "
- 9 h 45 : dernières questions à l'accusé
Dernières questions à l’accusé. Un juré : " Avez-vous l’habitude de vous entraîner avec cette arme ? "
" J’avais tiré au stand de tir de Grabel à l’époque mais sinon je ne me suis pas entraîné avec cette arme. "
L'avocat général. " Vous nous avez dit hier que vous avez vu Mohamed mettre la main à son blouson et que vous ne vous souvenez de rien ? "
" Cela va très vite, je suis en train de parler à mon frère, je me retourne, je vois Mohamed Benameur, je vais vers eux, je vois une main dans une sacoche, je mets la main j’ai pointé mon arme et là je ne vois plus rien. Je sais que j’ai vu cette image de 1990 où il m’avait sorti un fusil de sous une gabardine. Quand je le vois, je vois cette image, et c’est parti. J’ai le souvenir de tirer l’arme (de ma sacoche NDLR) et après il n’y a plus rien. "
Me Luc Abratkiewicz : " Quand vous faites un footing, vous prenez une arme ? "
" Les derniers temps quand j’allais courir oui je prenais ma sacoche ".
Le président lui demande ce qu'il a ajouté. L'accusé prend la parole, avec une vraie conviction dans sa voix.
" J’ai tellement de choses à dire mais la première est de demander pardon à la famille même si je sais que cela ne veut rien dire. "
" Il y a des vies qui ont été enlevées, beaucoup de drames, je ne conteste rien du tout à ce qu’on me dit que j’ai fait. "
" C’est une suite de drames. La haine, je l’avais, c’est vrai. Mais après c’était fini. "
" C’est moi le coupable. J’espère que ce que j’ai fait, là, ça sera la fin. Tous mes neveux sont des fonctionnaires de police, des officiers dans l’armée de terre. Après tout ça malgré les dégâts que j’ai fait, tout ce qui reste propre on le garde propre et que nos descendances et nos parents puissent grandir dans la paix. Et je demande encore pardon. "
" J’ai vu toute la souffrance que j’ai causée, j’aurais pu toucher des enfants, des infirmières. Et j’ai touché la famille Benameur. Qu’ils aient la haine contre moi, je comprends. Je respecte les morts. Si je suis un monstre, c’est la vérité. Mais je ne peux pas revenir en arrière. "
" Je me suis préparé, je sais que je vais en détention. C’est normal que j’y aille. "
" M. le président, depuis ma détention en 2016 j’ai jamais rien demandé. J’ai dit que je mérite d’être là où je suis. Je ne suis pas allé à l’enterrement de mon frère et de ma sœur. La justice tranchera, je veux ni moins, ni plus, et je prendrai ce que vous me donnerez ".
- 9 h : L'audience va reprendre avec deux derniers témoins
Deux derniers témoins doivent encore être entendus par la cour d'assises, avant que la parole ne soit donnée aux avocats de la partie civile. Le réquisitoire de l'avocat général Georges Gutierrez contre Ahmed Bakiri, qui est accusé de meurtre et tentative de meurtre, devrait se tenir en début d'après-midi.
Le premier témoin, Pierre, est l'ancien beau-père de Lahcène Benameur. Sa fille et Lahcène se sont séparés en 2017. Âgé de 77 ans, il dépose assis face à la cour, un micro à la main qui ne semble pas fonctionner et est donc totalement inaudible, alors que la salle, ce matin encore, est comble et le public nombreux.
Arrive Pierre Leduc, 76 ans, qui fut premier adjoint puis maire de Lodève de 2008 à 2020 et qui vient témoigner sur Lahcène Benameur, qui travaille comme médiateur social à la mairie de Lodève, avant les faits comme depuis le crime auquel il a survécu.
" J’ai souhaité témoigner de mon estime et de ma considération. Je peux témoigner de son implication comme médiateur. Il intervient au quotidien auprès de la jeunesse pour faire de la prévention des conduites à risques telles que la délinquance et la toxicomanie. Il intervient aussi auprès des familles désemparées, auprès de la police municipale. "
" J’ai pu mesurer le besoin pour une collectivité d’avoir un médiateur tel que Lahcène Benameur. Il n’a eu de cesse de se former. "
" Malgré son handicap il est toujours aussi présent et apprécié. "
Pierre Leduc cite aussi " les propos tenus par le maire Mme Bousquet dans une interview à Midi Libre, où elle disait : " C’est un gars extraordinaire, un pilier pour la ville ".
16/02/2023
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