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2er Partie Abandon des HARKIS, témoignage de mr Brahim Sadouni " d'un passé lugubre"

- 2er Partie -

- Brahim en 1960 à l'âge de 17 ans et demi -

Cette nuit-là fut pour moi la plus horrible de mes souvenirs, cela commençait bien, je ne savais plus où j’étais ni ce qu’il m’arrivait ? Le lendemain était une journée de deuil et de consternation pour les harkis, mais aussi un grand malheur pour la mère de ce jeune harki âgé à peine d'une vingtaine d'années.

                Le plus dur était de voir cette femme venir chercher la dépouille de son fils, pleine de chagrin et de douleur, elle serrait de toutes ses forces le corps inerte et sans vie de son fils dans ses bras. C’était déchirant de voir cette femme hurler avec ses larmes et se jeter à terre, s’arrachant les cheveux telle une folle ! Quel triste spectacle ! Elle ne comprenait pas, le pourquoi elle devait payer ce prix pour pouvoir exister dans ce monde de violence. C’est affligeant de voir qu’il y avait des hommes responsables de toutes ces souffrances !

Comment peuvent-ils rester indifférents aux larmes d'une femme sans ressentir sa peine ? C'est pourtant la France qui venait de lui voler son fils ? Tous ces gens qui se déchirent, ne sont que des pauvres et certains très pauvres à qui l'on vient d'ôter leurs âmes sans aucune pitié !

Oui, ce sont ces premières images qui m’ont frappé le jour de mon arrivée à Bouzina ! En réponse à cette attaque de la part du FLN, dès la première heure de la journée, l’armée épaulée par des harkis a aussitôt lancé des opérations de bouclage sur Bouzina et ces environs afin de retrouver des traces des tueurs. Les contrôles sont sévères et parfois se terminent par des arrestations.

À un meurtre, on répond par la répression, disait un des officiers dans sa colère ! Et c’est ainsi que se fait l’escalade de toutes les guerres. Bouzina, ce petit bourg construit de quelques gourbis où vivent ces quelques centaines d’âmes, semble se replier sur lui-même avec sa logique et son mode de vie. Ce village fût construit en amont des montagnes. Avec le temps, les oueds ont séparé puissamment et creusé leurs lits dans la montagne en lui donnant des formes spectaculaires. Oui, c'est beau à voir et c'est magnifique. De toute manière, si ces contrôles ne me concernaient pas, le choc restait pour moi un drame épouvantable. Voir tous ces morts depuis ! Et toutes ces arrestations mèneront vers une guerre fratricide.

Une blessure s'est ouverte en moi. Pour comme bien de temps ? Au moment du recueillement, tous les harkis sont venus se mettre autour de leurs frére d’arme et de cette pauvre femme, lui apportant un soutien et réconforts pour soulager ce deuil inutile. L’officier français avait remis à la mère du défunt une certaine somme d’argent pour la dédommager. Juste de quoi subvenir quelques mois au plus !

Je réalisais à ce moment à quel point ces choses pourraient être nuisibles à moi-même ? J’ai subitement compris les conseils de ma mère qui me reviennent subitement, comme à rappel dans ma petite tête. Mais devant de telles choses inexplicables, cela devenait plus fort pour moi, car je n’avais aucune force pour lutter contre ce mauvais destin. J’avais appris que, lorsque l'un des harkis mourrait aux combats, il était considéré par les autorités françaises comme un accidenté du travail. Voilà le mérite qu'ont voué à ces hommes qui soi-disant défendait la mère patrie. 

Pour le vieux Ali, il aimait dire, la mère pourrit. Le surlendemain, malgré le cœur lourd, je fis quelques rencontres et découvris parmi ces hommes la limite de l'âge, qu’ils soient vieux ou jeunes, les uns n'avaient que 16 ans. Pour comprendre, j'avais posé la question à l'un d'entre eux. Le jeune homme se dressa droit sur ses pieds et me dit avec sérénité : – C’est la faute du FLN !

Parce qu'un jour mon père n’avait pas pu leur apporter de quoi manger. Pour le punir, ils l'ont puni en lui tirant dans les jambes, maintenant il n’est plus qu’une moitié d’homme. Sans chercher à approfondir la question, je fus surpris par cette arrogance et le mépris qu’il avait à l’égard de ceux qui ont fait du mal à son père. C'est cela aussi la guerre entre frères. Tandis que dans l’après-midi, j’étais en train d’observer le village qui faisait face au poste militaire.

J'observais avec curiosité les maisons qui ressemblent à celles d'Arris, elles sont bâties avec de la pierre et du mortier de terre, un toit de chaume ou de la glaise. Elles sont aussi vieilles que chez moi, si vieilles que quelques-unes s’écroulent parfois d’elles-mêmes après de fortes intempéries.

Pendant que je contemplais tout ce paysage, je fus absorbé par la découverte de ce grandiose le paysage avec son décore magnifique. Je fus interrompu par les appels de l’unique chauffeur de la SAS. Bachir, la quarantaine, il avait souhaité que je vienne l'aider à voir son camion, qui refusait tout démarrage.

Voilà enfin mon vrai job. J'ai donc commencé mon constat et je me suis mis d’ambler à l’œuvre pour accomplir ce travail qui était le mien. Une bonne heure dans le cambouis à tripoter le moteur, je pus enfin trouver la panne et remis le moteur en route. La bessonne terminée, je vis arriver le caporal toujours impeccable dans sa tenue rectiligne de treillis, un vrai chef militaire. À la suite de brèves salutations de politesse, il m’aborda gentiment et m’invita à le suivre. En chemin, je l’interroge et lui demanda les raisons pour lesquelles je devais le suivre.

– Tu verras par toi-même me dit-il, c’est une surprise ? Sans se soucier de moi, il continua côte à côte avec sa marche militaire de soldat.

– Raconte-moi plutôt comment se passent tes journées à Bouzina, me questionna-t-il ?

Aussitôt, lui répondis-je, un peu intrigué, de la frayeur et de l’horreur que j’ai vécue avant-hier m’avaient beaucoup hanté et traumatisé, lui aurais-je répondu. Il s’esclaffa !

Et il s’est mis à me raconter ses aventures et ses péripéties durant la guerre d’Indochine. Mes copains sont morts devant moi, me disait-il, sans même que je puisse les secourir.

– Ne t’en fais pas mon garçon, m’assura-t-il dans un parfait arabe. Tu en verras d’autres ! Pendant que nous marchions, le caporal semblait faire durer le suspense jusqu’à notre arrivée d’un petit gourbi qui faisait office de magasins. Aussitôt, il fit un petit signe de sa main et me demanda de le suivre, ce que je fis par respect.

À l’intérieur, nous sommes reçus par un vieux harki à l’air espiègle vu son âge, il semble avoir la soixantaine. Quelques étagères où sont rangées des effets militaires comme les treillis, les calots, des chaussures pataugas, des brodequins et autres bardas militaires.

Il y avait aussi des armes telles que les fusils avec leur cartouchière prête à l’emploi, attendant leurs propriétaires. Par ce temps de chaleur, j’avais l’impression que la température de mon corps avait subitement augmentée, je venais de comprendre ce que me voulait le caporal ! C’est alors qu’il demanda au vieux bonhomme de préparer un paquetage à mon intention, sans chercher à comprendre, le vieux harki s'exécuta et me déposa aux pieds un paquetage prêt à l’emploi. Aussitôt, je réagis et je me suis retourné vers le caporal pour lui dire que j’étais là comme mécanicien ! Mais il semblait ignorer ma remarque ! Après avoir insisté une fois de plus : – Non je ne suis pas venu pour être un harki ! Avais-je protesté ?

Il fit ouvrir le cadenas puis saisi avec douceur un fusil US 17 et sa cartouchière, il me le déposa devant les pieds et me dit :

– Tiens ! Prends cette arme, c'était celle de notre regretté frère Salah. L’horreur resurgit comme un cauchemar de ce que j’avais vu l’avant-veille. Je ressentais des frissons, j'hésitais à prendre ce fusil. Le sous-officier semblait décidé à me faire accepter l’arme. Dans son regard menaçant. Son expression était dure et courroucer. Je voyais encore toutes ses dents jaune pâle. Il enchaîna avec colère et me dit ceci :

– Il m'affirma avec un fort accent arabe ! J'essayais de comprendre le sens de ses mots !

– écoute-moi bien fiston ! Écoute bien ce que dit ce proverbe arabe : quand on veut du poisson, on mouille ses fesses ! C’est vrai qu'il avait une influence terrible le caporal, une vraie tête brûlée. Plus j’hésitais, plus il s'emportait, c’est alors qu’il me lance à plusieurs reprises :

– Si tu n’es pas un harki et bien tu n’es qu’un fellagha, tu m'entends, tu n’es qu’un fellagha, me disait-il, avec insistance. Il m'interrogea si je n’avais pas de la famille devenue maquisard, dans un langage d’accusateur. La peur me saisit les tripes, oui à cet instant, j'avais peur de lui, de son influence, mais aussi, peur de finir comme certains avec une balle dans la tête quelque part dans un oued. Profitant de mon silence, il finit par me dire :

– comment ferais-tu sans armes pour te défendre dans les djebels, crois-tu que tu vas te servir de ta clé à molette pour faire fuir les fellaghas ? Après m'avoir crié dessus, me voyant sans réponse, il me parle sur un ton plus conciliant, comme pour réparer les dégâts qu’il venait de causer en moi. Avant de partir, il me remit le fusil entre les mains, en tapotant gentiment sur l'épaule.

– Tiens, tu as fait le bon choix, les Français sont des gens de parole, crois-moi, je les connais bien, prends ce fusil. Le piège s’est refermé sur moi. Ce caporal, que je ne connaissais ni d’Adam ni d'Ève, est venu m’enrôler dans cette armée de misères.

Longtemps après j’ai pensé que cet homme avait agi sous l’ordre de son officier. Il est vrai qu’à cette époque, pour gonfler ses troupes, il était plus difficile pour l’armée française de trouver des Français de souche pour venir combattre en Algérie.

La France avait plus de facilité à enrôler de pauvres bougres comme moi. Des adolescents pour qu'elle puisse continuer à mener sa guerre macabre dans ce pays où une partie du peuple vit dans la misère profonde.

Aujourd'hui, plus que jamais, cette France devra répondre de son acte pour avoir commis des injustices infâmes envers des mineurs comme moi !

Aucun Français de souche n’accepterait de pardonner un tel crime, si de tels faits s’étaient produits sur son propre sol.

Le 2 mai 1962, nos officiers nos réunirent pour la dernière fois, ils nous annonçaient la paix et la fin de la guerre en Algérie.

J’avais 19 ans et le plus âgé 55 ans. Nous avions eu droit à un méchoui, le méchoui d'une trahison ! Nous avions aussi eu de longs discours ! Mais après tous ces adieux, nous fûmes désarmés, abandonnés et laissés sur place sans aucune protection.

Le 5 mai, l'armée quittait furtivement et définitivement la région des Aurès, abandonnant tous les supplétifs ! J'étais encore jeune pour comprendre ces bouleversements ! Je pus rentrer chez moi malgré tout dans mon village, où je me suis réfugié pour me cacher.

Hélas ! Certains harkis qui n'ont pas eu la même chance furent arrêtés et jetés en prison de Lambèse. Notre calvaire venait de commencer, la plaie aura du mal à guérir.

La France avait commit l’irréparable et doit porter une lourde responsabilité pour l'abandon de tous ces hommes ! " sinon ça fait un peux confusion avec le début et la fin.

Sadouni Brahim.

La photo ci-joint est du 19 Mars 1987, à Évian lord d'une manifestation pour dénoncer ce jour la, les accords d'Évian.

Cliquez sur la photo pour en savoir plus sur mr Sadouni
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R
Emouvant..j avais 3 ans quand on a quitté arris (les aures)
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B
Merci Brahim pour ta publication, qui nous replonge dans la Mémoire, et le peu de Reconnaissance que nos pères, et toi même, avaient enduré par votre engagement et vos sacrifices...<br /> <br /> En ma qualité de Fils de Harki, et de président des Harkis de Mouans Sartoux (06), Je te témoigne de tout Notre respect et notre Reconnaissance pour toutes les actions que tu as mené pour faire connaitre Notre noble Cause...celle qui a été l'une de tes priorités...<br /> <br /> Je me souviens avec mes amis du 06, t'avoir reçu et encouragé lors de "ta Marche de Rouen à Monte- Cassino "...<br /> <br /> Puisse ton combat, servir d'exemple aux nouvelles générations, pour contribuer à l'union et l'apaisement entre toutes nos associations...au dela de nos divisions et de nos divergences.<br /> <br /> Fraternellement, bien à toi...<br /> <br /> Jean Pierre Behar
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B
Merci Jean-Pierre pour tous ces compliments venant de ta part, tu es un grand garçon qui a sûrement fait beaucoup de choses aussi. Personnellement, j’ai juste agi par conscience comme l'ont fait d’autres personnes avant moi et après moi. Je n’ai fait que contribuer à apporter une pierre à l’édifice de notre histoire.