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(1) Aux assises de l'Hérault, la tragédie harkie de Lodève, entre drame antique et haine recuite

Grièvement blessé, Lahcène Benameur a lui survécu. MDL

Ahmed Bakiri, 52 ans, est jugé pour avoir abattu le 10 mars 2016 sur le parking de la clinique Saint-Jean à Montpellier Mohamed Benameur, qui avait tué son frère aîné Kader, 26 ans plus tôt dans une bagarre.

Est-ce une tragédie antique, transposée aux temps modernes et à Lodève, entre deux familles de harkis prisonnières d’une implacable vendetta ? Où est-on face à tout autre chose, dans ce procès qui fait salle comble, et où les policiers sont aux aguets, ce lundi 13 février, à la cour d’assises de l’Hérault ? Dès l’ouverture, Ahmed Bakiri, 52 ans, veut mettre les points sur les i.

Cet homme à la carrure impressionnante est accusé d’avoir abattu le 10 mars 2016 sur le parking de la clinique Saint-Jean, à Montpellier, celui qui avait tué son frère Kader, 26 ans plus tôt, à Lodève. Au passage, il a aussi ce jour-là grièvement blessé d’une balle de 11.43 Lahcène Benameur, le frère de Mohamed, qui n’était pour rien dans ce premier crime.

C’est une longue histoire que chacun peut interpréter comme il veut, ça démarre entre des personnes qui se connaissent tous, et à l’arrivée il y a des morts. Ce que j’ai fait est innommable, et je suis là pour payer. "

Est-ce une haine recuite pendant des décennies qui lui a fait volontairement sortir son flingue, ce triste jour où le destin a envoyé les Bakiri et les Benameur sur le parking de la clinique Saint-Jean, chaque famille y ayant un malade grave hospitalisé ? " J’ai nourri mes haines en 1990, je voulais la mort de Mohamed." Ahmed Bakiri a 19 ans quand ce grand frère qui a remplacé un père parti trop tôt est mort sous les coups de Mohamed, après une semaine d’agonie à l’hôpital.

Ses souvenirs sont d’étranges flash-back. "  Le téléphone a sonné, ma mère a répondu : " ils ont tué votre frère ! " Je suis parti en courant, j’ai vu du sang. Après, je ne me souviens de rien, il paraît que j’ai cassé une porte." Plus tard, il dit s’être retrouvé à son tour face à la famille Benameur. " Quand je suis arrivé à deux mètres de Mohamed, il m’a sorti un fusil, et de là je me souviens de rien jusqu’à ce que je me retrouve à l’hôpital. Je n’ai pas reconnu mon frère. "

En arrière-plan, un même parcours chez ces familles de harki. Des militaires rangés du côté de l’armée française, rapatriés en 1962, placés dans des camps avant le foyer Sonacotra de Lodève. Onze enfants chez les Bakiri, sept chez les Benameur. Et le souvenir enfoui des horreurs de la guerre d’Algérie, le déracinement, le dénuement.

" On a grandi dans le silence et la souffrance ". Il rate chaque année la rentrée scolaire, parce qu’il faut bosser pour les vendanges. " Les harkis ont tous leurs séquelles. Je respecte le choix que tous les pères harkis ont fait. Mais nous, on n’a pas trouvé notre place." Ses frères et sœurs deviennent policier, cadres de santé, entrepreneur. Pour lui, c’est la boxe thaïe, les sports de combat, il est portier en discothèque, garde du corps, vigile. " J’ai fait la sécurité pour les campagnes présidentielles de M. Jacques Chirac. "

Le président : " C’était déclaré ? " Lui : " Non, vous savez, dans la sécurité… "

Les années passent, et Mohamed Benameur a refait sa vie à Toulouse. " Ma haine, je pensais que c’était fini " raconte Ahmed Bakiri. " Avec les Benameur, on s’est croisé partout, dans les fêtes de village, et il ne s’est rien passé. " Le 10 mars 2016, quand il revoit ce visage gravé au fer rouge, depuis 26 ans, dans sa mémoire, il perd tout contrôle. " Je suis parti en courant, je ne voyais que Mohamed, il a mis la main à sa poche, j’ai sorti mon arme." Après ? Il jure ne plus se souvenir de rien. " Vous ne craignez pas des représailles ? " demande le président qui veut qu’un policier reste en permanence aux côtés de l’accusé.

" Dire que j’ai pensé à rien, c’est faux. Mais je préfère penser à une issue après ma condamnation. Que cette famille puisse faire le deuil. Quand je vois M. Benameur, les enfants, j’ai honte. J’espère qu’il y aura la paix entre nos deux familles et que nos parents et nos enfants puissent vivre sereinement ". Verdict jeudi soir.

14/02/2023

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