6 Octobre 2025
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Pierre Daum est journaliste et historien. Michel Lecat, opticien à la retraite, gère un fonds d’archives photographiques de près d’un demi-million d’images. © Crédit photo : T. J. /SO
Le premier est historien, le second gère un fonds d’archives photo. Ils racontent l’histoire des Indochinois de la Dordogne exilés de force en 1939 comme supplétifs d’une guerre qui ne les concernait pas
Qui se souvient que 20 000 travailleurs indochinois (1) ont été emmenés de force en France, en 1939, pour travailler dans les poudreries, qu’ils ont été exploités pendant des années sous l’autorité du gouvernement et qu’un millier d’entre eux y a perdu la vie ? Peu à peu, cette histoire est tirée de l’oubli par l’historien et journaliste Pierre Daum. Il consacre un important travail aux Indochinois de la Dordogne, avec l’aide de Michel Lecat et son exceptionnel fonds d’archives photographiques.
Mais l’histoire commence bien loin de là, en 2005, dans une usine de pâtes des Bouches-du-Rhône : « Je couvre une grève contre la fermeture de l’usine Lustucru d’Arles, se souvient Pierre Daum. Apprenant qu’elle touche aussi les riziculteurs de Camargue, je pars à leur rencontre. J’y découvre que des Indochinois ont planté les premières rizières… en 1942 ! Les locaux n’en savaient pas plus, mais on m’a donné l’adresse de l’un d’eux, qui était resté là. Il a été mon premier témoin. »
54 cartons d’archives
Depuis vingt ans, le journaliste, devenu historien, déroule le fil de cet épisode oublié. « J’ai parcouru la France et le Vietnam pour recueillir les témoignages des derniers survivants. Je suis allé fouiller les archives départementales, là où il y avait des poudreries. Et puis je suis allé aux Archives nationales d’Outre-Mer (Anom), à Aix-en-Provence. Je voulais consulter celles du service de la Main-d’œuvre indigène (MOI), créé en 1939 par le ministère du Travail. Elles avaient disparu. »
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Les Indochinois au travail pour curer les cours d’eau des Beunes, en Périgord noir. Archives départementales de la Dordogne
Avec ce qu’il a déjà amassé, Pierre Daum publie en 2009 un livre qui fait toujours référence (2). L’histoire de ces paysans emmenés par bateau d’Indochine, à l’époque colonie française, pour servir de main-d’œuvre dans les usines de poudre avant d’être loués à divers travaux, comme le curage de cours d’eau en Dordogne ou la plantation de riz en Camargue. Ils sont exploités et parqués dans des camps. Environ 16 000 rentreront chez eux après la guerre, 3 000 resteront en France.
900 portraits
Mais l’enquête va rebondir : « En 2012, l’archiviste de l’Anom m’a annoncé qu’ils avaient retrouvé 54 cartons d’archives, s’enthousiasme Pierre Daum. C’est extraordinaire ! Mais c’est aussi une somme énorme à traiter. Après huit ans de classement, ils ont 300 cotes [des cartons d’archivage, NDLR] de 500 à 1 000 pages chacun. Je m’y rends encore régulièrement pour ouvrir les cartons, photographier tous les documents intéressants et les étudier chez moi. J’en ai accumulé près de 10 000. »
La même année, un autre événement l’incite à resserrer sa focale sur la Dordogne : sa rencontre avec le Bergeracois Michel Lecat. Cet ancien opticien avait hérité du fonds de son grand-père photographe, qu’il a numérisé et mis en ligne. S’y sont agrégées d’autres collections, portant le fonds à près d’un demi-million d’images sur tout le XXe siècle.
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« Beaucoup venaient se faire photographier par mon grand-père », raconte Michel Lecat. Galerie Bondier-Lecat
« Partout où il y avait des poudreries, il y a eu des Indochinois. Il y a un potentiel de recherche énorme »
« Ils ont travaillé quelques mois à la poudrerie de Bergerac avant d’être envoyés dans les campagnes, explique Michel Lecat. Beaucoup venaient se faire photographier par mon grand-père pour envoyer des nouvelles à leur famille. J’en ai environ 900. J’ai aussi numérisé des albums de photos confiés par des descendants. »
Devoir de connaissance
Le 11 octobre, un mémorial composé de ces centaines de portraits sera inauguré près de l’ancien camp de la poudrerie de Bergerac. La veille, une plaque sera dévoilée au cimetière en hommage aux 62 d’entre eux qui sont morts ici. Une exposition photographique leur sera consacrée.
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Travailleurs indochinois à la poudrerie de Bergerac. Galerie Bondier-Lecat
Pierre Daum prépare un nouveau livre sur le sujet. « Ce que je fais en Dordogne, dit-il, une nouvelle génération de chercheurs pourra le faire à Saint-Médard-en-Jalles, en Gironde, à Sorgues, dans le Vaucluse, ou à Toulouse. Partout où il y avait des poudreries, il y a eu des Indochinois. Il y a un potentiel de recherche énorme et du travail pour tout le monde. »
Pourquoi remuer ce passé douloureux ? « Pour aider la société française à aller mieux, tranche Pierre Daum. Elle souffre de n’avoir pas assez travaillé son passé colonial, dont elle a hérité dans sa composition. L’obsession de l’immigration en est le symptôme. Nous avons un devoir, non de mémoire, mais de connaissance, sur les épisodes honteux de notre histoire. »
(1) Ancienne colonie française jusqu’en 1954, elle réunissait les actuels Vietnam, Cambodge et Laos.
(2) « Immigrés de force – Les travailleurs indochinois en France (1939-1952) », chez Actes Sud.
16/06/2025
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https://www.harkisdordogne.com/
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