9 Mai 2018
La déception se lisait sur tous les visages de ces combattants que la guerre avait usés jusqu’à la trame.
Brutalement, un incident révélateur me tira de mes songes. Une femme d'une trentaine d'années venait de se jeter désespérément sous l'un des derniers camions du long convoi de l’armée française. Personne ne voulait lui porter secours, « c’est une femme de harkis ! » cria un homme dans la foule ! Comme son mari, Les Français l’avaient aussi trahie ! Après quelques hésitations, des individus retirèrent son cadavre écrabouillé, et jetèrent la dépouille sur le bas côté. Certains riaient, le cœur joyeux vociférant des injures immondes ! « Femme de traître, disaient-ils ! » Suivis aussitôt de crachats sur le corps déchiqueté.
Cette femme avait voulu par ce geste mettre fin à ses jours, parce que son mari harki venait d'être exécuté ! Devant une telle cruauté, il y avait ces combattants du 19 mars, c'était les plus virulents, ils avaient surgi subitement de l'ombre à la fin de la guerre et sont devenus des moudjahidines de la dernière heure ? Alors qu’autrefois, ils n'étaient que de simples citoyens et vivaient aux crochets de ces harkis, devenus subitement leurs victimes.
Du jour au lendemain, ces révolutionnaires de la dernière heure sont devenus les héros de la révolution algérienne.
C'était « les amis du dix-neuf mars ! », les plus violents ! Ils voulaient surtout gagner les faveurs des nouveaux maîtres du FLN. À la différence, de certains religieux qui se sont opposés à des vengeances aveugles, refusant de s'attaquer aux harkis. Je n’oublierais jamais cet exemple cité par l’un d’entre eux ! Parlant du prophète Mahomet, il disait : Mahomet avait reconquis La Mecque avec dix mille croyants. Les habitants de la ville s'attendaient donc à une vengeance de la part de celui qu’ils avaient chassé et menacé treize ans auparavant. Mais le prophète leur avait tout simplement dit : « Partez sans crainte, vous êtes libres ! »
Dans ma naïveté, je croyais que si l'Algérie pouvait avoir un peu de courage, elle aurait intégré dans son camp tous ces gens de tout âge, dont la plupart étaient plus victimes que traîtres ? Elle se grandirait face à son histoire et à son honneur ! Ce sang qui coulait encore était aussi le sien. Mais hélas ! La haine était trop profonde. Comme dans toutes les guerres, elles sont aussi sales l’une que l’autre, et celle-ci l’est aussi ! Donc, il faut le dire, il faut l’écrire et il faut surtout continuer à le faire savoir ! Une panique générale s’était emparée des harkis, ils cherchaient à se réfugier dans les montagnes, abandonnant ainsi leurs familles. Pour certains, la seule issue pour échapper à ce guêpier, était de louer une voiture au prix fort et fuir vers Telaghema.
La ville se trouvait à trois cents kilomètres environ, pour l’atteindre il fallait traverser le massif montagneux de l’Aurès.
Ce camp militaire français était l’un des derniers encore présents sur le sol de l'Algérie. Parfois, des malchanceux furent directement livrés par leurs chauffeurs dans les casernes du FLN. Conscient de la gravité des événements, je vivais moi aussi dans la crainte, chaque matin, ma mère me rassurait, elle me disait que je n'avais rien à craindre, je n’avais rien à me reprocher sur cette guerre ! Elle me disait que les membres du FLN ne pouvaient s'intéresser à moi à cause de mon jeune âge. Parfois, cela me rassurait un peu et calmait mon angoisse.
Malgré ce climat de terreur, il y avait chaque jour de nouveaux accords que signé la France avec la nouvelle Algérie ! Mais jamais rien ne concernait les Harkis qu’on venait d'abandonner pour toujours !
Brahim Sadouni
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Pour votre information,
Mr Brahim Sadouni et l’un des derniers harkis, à être enrôlé contre son gré par l’armée française à Bouzina en 1960.
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