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1-3 Messaoud, fils de harki, retour en Algérie soixante ans après

L’Algérie, Mon père et la France... le retour d'un fils de harki par Sophie Serhani

Sophie Serhani est journaliste à « Sud-Ouest ». Elle a accompagné son père, Messaoud, sur les traces de son enfance en Algérie, jusqu’au village où fut tué son propre père, combattant harki

Mon père, ce fils de harki

C’est ici, à Constantine, en Algérie, de l’autre côté de la Méditerranée, que mon père, Messaoud Serhani, a embarqué pour la France il y a soixante ans. Nous sommes partis ensemble sur les traces de son passé.

Son village d’enfance a été difficile à retrouver. Les noms des villes ont été arabisés à l’Indépendance. Edgar-Quinet est ainsi devenu Kaïs. Le village se situe à une centaine de kilomètres de Batna, que l’on rejoint par une route cabossée à travers les montagnes rondes et arides des Aurès.

Vidéo de 3'20"

Le pont de Constantine par lequel Messaoud Serhani est arrivé des Aurès pour rejoindre le port d’Annaba en 1962.

« Viens, c’est par là », dit-il, la voix tremblante. Mon père marche toujours en regardant droit devant. Il se retourne. Son visage rond, habituellement serein, est mâché par le doute. Comme si la reconnaissance des lieux exigeait le rappel immédiat de souvenirs longtemps enfouis. « À l’époque, c’était un hameau de 1 000 villageois avec des champs… » Aujourd’hui, ce sont 41 000 habitants, comptabilisés lors du dernier recensement, et des immeubles en construction, jamais terminés.

Mort dans une embuscade

C’est ici que tout a basculé. Le 27 novembre 1961, l’armée française a tapé à la porte de la maison familiale. « Les soldats m’ont dit : ‘‘Il est mort dans une embuscade, tué par une balle perdue.’‘ » Slimane Serhani, né à Yabous, avait 33 ans. Les soldats ont présenté à la famille le corps, allongé sur un brancard, recouvert d’un drap. Seul le visage ensanglanté dépassait : « Je l’ai vu une dernière fois. Une balle dans la tête. » Harki « depuis toujours », il est décédé en service à Menaa, dans la région de Batna.

Repères

On appelle Harkis les musulmans recrutés par l’armée française pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). Les chiffres varient, mais ils seraient 90 000 à avoir rejoint la France entre 1962 et 1965 après la signature des accords d’Evian, accords de cessez-le-feu qui ont officiellement mis fin à la guerre d’Algérie, ouvrant la voie à l’indépendance, et qui fêtent leurs soixante ans cette année.

Le président François Hollande a solennellement reconnu, le 25 septembre 2016, les « responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des Harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ».

En septembre 2021, le président Emmanuel Macron a « demandé pardon » aux Harkis au nom de la France, lors d’une cérémonie d’hommage à l’Élysée.

Slimane Serhani en tenue de combattant harki.

Son fils, Messaoud, avait 9 ans. Aujourd’hui encore, son père lui revient en rêve, assassiné : le regard fier et ce sourire innocent pris dans une mâchoire carrée. Il tient sa mitraillette, il approche, on lui tire dessus, il tombe.

Messaoud Serhani, lorsqu’il est arrivé en France à l’âge de 10 ans.

Ce cauchemar fait écho aux nuits de terreur qu’il a connues plus jeune, quand les Fellaga arrivaient dans le village, hurlant, tirant des coups de feu. « Mon père s’accroupissait devant la porte. Il tenait une mitraillette contre sa poitrine. Il était prêt à nous défendre. Heureusement, les chars français faisaient fuir le FLN. »

Ancien fief du FLN

À Edgar-Quinet, Slimane Serhani n’était pas le seul combattant harki. Comme beaucoup d’autres, ce jeune agriculteur avait rejoint les rangs, car « le salaire faisait vivre une famille ».

L’armée française avait établi un camp dans son village des Aurès, montagnes qui étaient un fief du FLN. « Bien sûr qu’on avait peur. Dans toutes les guerres, ce sont les pauvres qu’on envoie se faire tuer ! »

Dans les rues d’Edgar-Quinet, devenu Kaïs depuis l’indépendance, des maisons jamais terminées.

De l’Algérie, mon père n’a connu que les Aurès et la guerre. Et, une succession de séparations. Avec sa mère. Son père. Une rupture avec sa terre natale. Il évacue. « C’est la vie. » Longtemps tiraillé par le mythe du retour, aujourd’hui médecin à la retraite, Messaoud Serhani n’était jamais retourné dans son village d’enfance jusqu’à ce voyage. L’Algérie, l’Indépendance, le déracinement… « La guerre, on n’en parle pas. On a tout étouffé. Je ne t’ai rien dit, car c’est à toi de te faire ta propre philosophie. J’ai eu du mal, moi-même, à sortir de cette fournaise. » Il avait tourné la page. Avait-il oublié ?

Il ne garde qu’un « vague souvenir » de Menina Fatma Bent Mohamed, sa mère, « brune aux cheveux longs ». Il n’avait que 3 ans lorsqu’elle est décédée en allant chercher du blé. « Elle est tombée dans un silo. Elle est morte étouffée par les émanations d’acide hyaludrique. »

Messaoud adore les mots scientifiques. C’est sa manière de rappeler qu’il est parti de loin. Il n’a même pas de livret de naissance. Ses parents l’ont déclaré, né le 31 décembre 1952, à M’Toussa. « C’est à peu près ça. Tout était déclaratif à cette époque. Et Messaoud, ça veut dire chanceux ! C’est vrai, je peux m’estimer heureux de mon parcours… »

Quelques clichés jaunis

Il a été élevé par son père, un petit homme « trapu et costaud, qui portait toujours une casquette et une chemise militaires ». Le gamin, au sourcil ébouriffé d’un côté du visage parce qu’il avait été « léché par un sanglier », jouait dans les montagnes à perte de vue, l’hiver, sous la neige. « Chaque matin, avant l’école, j’avais une pièce pour un beignet. Et cette roue de vélo que je poussais avec un fil de fer. Je courais derrière. Quand je vois tout ce que vous avez, maintenant, et vous n’êtes jamais content ! »

Lui ne garde qu’une dizaine de documents officiels : « L’acte de décès du Harki Serhani Slimane » ; une « situation des membres de la famille du rapatrié » ; une « déclaration de nationalité en vue de la reconnaissance de la nationalité française ». Et deux courriers de la République française allouant des allocations suite au décès de l’ancien supplétif : 55 000 et 33 000 francs.

Mon père garde aussi avec lui un album photos. Des clichés jaunis de son enfance qu’il a emportés de son Algérie natale, à l’âge de 10 ans, quand il a été rapatrié en France en 1962.

Des Algériens harkis et leur famille, rapatriés d’Algérie, attendent sur un quai du port de Marseille le 23 juin 1962. Archives AFP

Il était alors avec sa demi-sœur, du même père, Fatima Serhani. Son oncle, Lakdar Serhani, sa tante, Fettouma Nasroui et son cousin, Lakdar Serhani, faisaient partie du voyage. « À la fin de la guerre, après la mort de mon père, l’armée française nous a demandé si on voulait aller en France. On a dit oui. C’est là qu’on est monté dans un camion militaire, pour rejoindre le port d’Annaba, direction Marseille. On nous a accueillis sur le camp du Larzac. En partant d’Algérie, on savait ce qu’on quittait. On ne savait pas ce qu’on trouverait… »

16/12/2022

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