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2-3 Messaoud, fils de harki, retour en Algérie soixante ans après

Enfin le retour aux sources

Il dit de l’Algérie : « C’est compliqué », « c’est difficile », « ça fait longtemps ». Il livre des versions parfois différentes, toutes aussi floues : « Disons… Je suis Français. J’ai toujours été Français. Je suis du Nord. Du Nord de la France… » Mon père ne s’est jamais appesanti sur son histoire.

Parfois, quand j’étais enfant, je l’entendais parler arabe au téléphone. Des conversations entrecoupées de mots français où il prenait un accent : « télévision », « téléphone », « Internet ». Chez sa tante, qu’il appelait « grand mère », à Roubaix, dans le nord de la France, il faisait froid. Au-dessus des murs en brique, de la fumée s’échappait des cheminées. Derrière la porte d’entrée en ferraille, se cachait cette vieille dame berbère, Fettouma Nasroui, au visage ridé et tatoué : un trait vertical entouré de points sur le menton, un autre entre les sourcils.

Elle portait une longue robe colorée. Pour embrasser mon père, elle lui tenait affectueusement le visage entre ses mains orange ; les cheveux rougis par le henné, quelques mèches dépassaient de son turban orné de grelots dorés. Il y avait aussi ceux qui ont rejoint le continent avec lui en 1962 : sa demi-sœur, Fatima, et Lakdar, qui était parfois son « frère », parfois son « cousin ». De toute façon, « c’est pareil. C’est la même famille ».

Fettouma Nasroui, avec qui Messaoud Serhani est arrivé en France en 1962.

Quand on leur rendait visite, dans mon enfance, mon père passait des heures à discuter. Il les aidait à remplir des papiers et mangeait quelques gâteaux sucrés. La vie normale reprenait. Nous retournions dans notre grande maison, il continuait à travailler au cabinet médical, jusqu’à tard le soir…

Messaoud Serhani et sa tante, peu de temps après leur arrivée en France.

Quels souvenir ?

En retournant dans son village d’enfance algérien, soixante ans après son départ, qu’allait-il y trouver ? Se souviendrait-il de son passé, de sa langue maternelle, de la guerre, de ce qu’il y a laissé ?

Ce matin de septembre, de retour en Algérie, à Kaïs, autrefois Edgar-Quinet, mon père interpelle en chaoui un vieil homme planté sur une chaise en plastique devant la porte d’entrée d’une épicerie où l’on vend de tout : des piles, des chips, de l’eau, des lunettes de soleil… Le vieil homme arbore un tatouage sur l’avant-bras. L’encre a bavé. Une phrase aux traits épais est gravée à vif : « Ma mère avant tous. »

Mon père ne semble rien avoir perdu de ce dialecte. Il lui explique que nous recherchons sa famille. Le vieux monsieur remonte dans sa boutique. Il ressort avec des tabourets et trois cafés.

En entendant que nous cherchions la famille Serhani, à Edgar-Quinet, plusieurs habitants se sont mêlés à la conversation.

Rapidement, ce n’est plus un, mais deux, trois, puis quatre hommes qui rejoignent le cercle. Finalement, Walid, un homme d’une soixantaine d’années au grand chapeau de paille, approche, curieux. « Je connais la famille Serhani. ». Un coup de fil. « Rendez-vous demain, ici, à 10 heures. Je vous emmènerai chez eux. » Mon père est impatient. « Je n’en reviens pas. Ils vont te présenter ma famille. » Notre famille.

La famille Serhani

Walid attend sur le bord de la route, devant l’épicerie. En sortant de Kaïs et en s’enfonçant dans les montagnes, un verger de pommiers s’étend sur des kilomètres. C’est ici. Un vieillard au visage émacié arrive d’un pas lent, turban blanc enroulé sur la tête. Avec une élégance tranquille et dans des vêtements poussiéreux, il referme la porte d’une petite baraque montée sur des parpaings et couverte de tôle.

Mohamed Tayeb Serhani ne parle qu’en « chaoui » traduit mon père. « Il dit qu’il est de la famille Serhani, mais il ne connaît pas mon père. On porte le même nom. Sans doute, parce qu’on vient du même village. Là où est né mon père, à Yabous. » Rapidement, Messaoud est invité à rejoindre le salon avec les hommes. Une femme voilée sort pour m’accueillir côté femmes.

Mohamed Tayeb Serhani porte le même nom que mon père. Ils ont tenté de recouper les informations pour savoir s’ils venaient de la même famille. Il a accepté d’être photographié, contrairement aux femmes de la famille, retranchées de leur côté, à l’abri des regards.

Elles servent du Rfiss sur la table, ce gâteau de semoule à base de dattes. Puis du pain chaud, tout juste sorti d’un plateau en terre cuite. De la pastèque, du lait. Il y en a tant, trop, entassé sur cette petite table en plastique qui tient sur trois pieds fragiles. Le sens de la famille, par-delà la barrière de la langue.

Halima, 40 ans, est la seule à parler français. Ingénieure à Kaïs, elle fait la traduction de ce qui se dit au gré des rires et sourires de la petite dizaine de femmes réunies dans la cuisine. Des enfants de tous âges se cachent dans les jupons. Sont-ils de lointains cousins ? Elle ne connaît pas mon grand-père. N’en revient pas que l’on porte le même nom. Elle n’a pas vécu la guerre d’Algérie, mais raconte que sa grand-mère n’aurait quitté le pays pour rien au monde. « C’est pour ça que la famille est encore là. C’est le Mektoub (NDLR, le destin). »

On s’est quitté un peu comme ça : sans que mon père ait dit un mot sur ce qui s’était vraiment raconté entre hommes. On s’est quitté avec beaucoup de dattes. Des pommes. Et des silences.

« On va le trouver »

C’était notre famille. Peut-être. Mohamed Tayeb Serhani « m’a juste dit où était enterré mon père. » Il s’appelait Slimane, il était un combattant harki, mort au combat en novembre 1961. Direction Yabous, un hameau en dehors de l’agitation de la ville. La terre jaune trouble l’air d’un nuage sablonneux permanent. Le cimetière musulman est désert ce jour-là.

À Yabous, le cimetière où a été enterré le père de Messaoud Serhani, Slimane, combattant Harki.

Mon père descend de la voiture. Sa jambe tremble. Ses yeux brillent. « On va le trouver. » Il remonte l’allée principale, les bras ballants, comme s’il ne savait pas où chercher. « Je ne me souviens pas de l’enterrement. » Les yeux baissés et l’allure prudente, il serre les poings et suit les cailloux alignés délimitant le corps des défunts enterrés en pleine terre. Des inscriptions en arabe sont gravées sur les plaques funéraires : quelques versets du coran et des dates. Mais pas de nom. Impossible de retrouver la tombe de Slimane.

« Il y a une connexion entre les vivants et les morts. C’est sûr. Au moins, il saura que son fils est venu le voir… » Messaoud Serhani tient à sa culture, la terre de son enfance, à ses origines. Il tient à ce père « toujours aimant ». Mais, répète-t-il, « mon pays, c’est la France. » À 70 ans, ce jour-là, il faut l’imaginer : heureux.

16/12/2022

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