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3-3 Messaoud, fils de harki, retour en Algérie soixante ans après

Fin de la série 3 de 3 de " Messaoud, fils de harki, retour en Algérie soixante ans après "

La France sa vraie patrie

Soixante ans après son départ d’Algérie, Messaoud Serhani est donc revenu sur sa terre natale, dont il n’a rien perdu de la culture ni de la langue. Il a vécu plus longtemps en France que là-bas, mais il a toujours été tiraillé entre les deux.

Dans son quartier, à Roubaix, « il y avait un Tunisien, une Polonaise, des Espagnols, et des Italiens qu’on appelait les ritals. Et moi, j’étais le petit bougnoule. Il y a eu quelques bagarres dans la cour d’école… » Messaoud Serhani a commencé l’école à Roubaix, vers 13 ans, trois ans après avoir été rapatrié d’Algérie en 1962. « Il fallait passer un concours pour être accepté en quatrième d’accueil, et j’ai été pris ! Après, j’ai continué en troisième d’accueil. C’était des classes qui accueillaient les jeunes, comme moi. » Comme lui, orphelin de Harki. Il n’a jamais eu honte de l’engagement de son père parmi les supplétifs de l’armée française. Bien au contraire.

Messaoud Serhani n’a jamais eu honte de l’engagement de son père, Slimane, ici en photo, parmi les supplétifs de l’armée française.

Il était fier comme un premier de la classe, recueilli par son oncle et sa tante, avec son cousin et sa demi-sœur, à la maison. Le petit bonhomme aux cheveux bruns et lisses, coiffés avec une raie sur le côté, était le seul à savoir lire et écrire. Le seul à avoir eu le baccalauréat. Un « sésame. Ça permettait d’être libre. »

Le Mythe du retour

Mais il grandissait avec le mythe du retour, tiraillé entre la soif de s’affranchir et la tradition berbère dans laquelle il baignait. « Psychologiquement, c’était compliqué. Dans ma famille, je vivais comme en Algérie. Bien sûr, j’étais aimé, et ça allait. Mais ici, en France, tout était différent. J’étudiais, j’apprenais des choses. Je voulais vivre comme tout le monde, m’intégrer. »

Un jour, un ami de la famille, Benbia, leur a rendu visite à Roubaix. « Il m’a demandé ce que je voulais faire après le bac. J’ai dit médecine. J’étais persuadé qu’en devenant médecin, je ne modifierais pas mon caractère : je savais que je n’allais pas devenir un bourgeois.

Que j’allais préserver et honorer l’héritage de mon père. Je voulais faire des études. C’est en se cultivant qu’on grandit. Ça me permettait de fuir les images de la guerre. Docteur, c’est bien. C’est pacifique. »

Messaoud Serhani, lorsqu’il a commencé ses études de médecine, à Lille. 

Boursier à la fac de Lille, il a réussi la première année de médecine du premier coup. Dans son costume, pour « être présentable », Messaoud Serhani étudiait, matin, midi et soir, huit années jusqu’au diplôme. Sans répit. En quatrième année, il alternait avec un boulot d’infirmier la nuit. « J’étais fatigué. »

Lorsqu’il rentrait chez lui, c’était l’Algérie qu’il retrouvait. « On n’avait pas les codes sociaux français. Ma tante était toujours habillée en vêtements traditionnels. On avait fui, parce qu’on y avait été contraints. Mais c’était comme s’ils étaient toujours restés là-bas. »

Deux Cultures

Pris en étau entre deux cultures, Messaoud gardait un pied dans l’Algérie figée des années 1960 à la maison, et voulait croire à un destin français réussi. Dans son esprit, tout s’emmêlait. Les réminiscences de la guerre apparaissaient, troublaient le sommeil et l’humeur. Les mêmes questions lui revenaient en tête sans pouvoir y échapper. Allait-il rentrer dans le pays où il était né ? Ne reniait-il pas ses origines en vivant en France ? « Je ne savais pas si j’allais finir mes études en Algérie, si j’allais rester en France. Est-ce que je pourrais seulement revenir là-bas, et pour qui, et pour quoi ? J’étais orphelin après tout. Alors pourquoi je me demandais tout ça ? »

La famille sentait son désarroi. Les questionnements commençaient à se faire de plus en plus oppressants. Messaoud prenait ses distances. Mais il n’était toujours pas libre de ses choix. « Ils m’ont dit, c’est le mariage qui te manque ! » Une Française aux parents algériens était toute trouvée. Ils ne se connaissaient pas. Ils ont pris un café ensemble et se sont mariés. Deux enfants sont nés. « Après, s’est posée la question du troisième, du quatrième : j’ai dit non ! Et j’ai compris que c’était fini. Je suis pour la femme libre et indépendante. Ce n’est pas normal qu’une femme ne réussisse pas autant qu’un homme et vive à son crochet. J’ai divorcé et j’ai rencontré ta mère. J’étais fier que ce soit une femme intelligente qui ait réussi. Mais c’était une Française, et à l’époque, les couples mixtes, ce n’était pas accepté comme aujourd’hui. »

Sans doute avait-il l’impression qu’en aimant ma mère, Josiane Volpato, il tournait le dos à son passé. « Quand tu es née, tout s’est apaisé. Ta mère a eu la sensation d’être reconnue. » Il allait rencontrer une belle famille, des Italiens immigrés dans le Lot-et-Garonne. « Des Arabes, je n’en avais pas rencontré avant la fac, s’amuse ma mère. Mais chez moi, ton père a été accepté. Il était médecin, ça aide. On n’est plus vraiment un Arabe quand on est médecin. »

Parti des Aurès, en Algérie, à l’âge de 10 ans, Messaoud Serhani est devenu médecin généraliste. Ici, lors de sa thèse de médecine passée à Lille.

Une  histoire universelle

Les années passaient, les questions restaient. La France, l’Algérie. Quel est ton pays ? Celui où tu es né où celui où tu vis ? « C’est important de savoir qui on est. Mais se remettre en question, c’est douloureux », marmonne-t-il, le regard fermé avant de s’affairer à autre chose pour évacuer.

Lors de la dernière élection présidentielle, lorsqu’il a entendu qu’on questionnait l’identité de la France, il s’est emporté : « Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi, j’ai toujours été pour l’intégration. À partir du moment où tu t’intègres, que tu travailles, tu t’adaptes au pays et aux coutumes. C’est tout. »

La politique, il n’y croit plus beaucoup. Ni même en Dieu. Issu d’une famille musulmane, il s’est toujours dit athée. « Je ne crois plus. Sauf en la médecine, c’est-à-dire à la science, car là, on voit des résultats. Et c’est réel. Comme la musique, c’est universel. »

Médecin retraité à Langon, en Gironde, Messaoud Serhani a été victime d’un AVC en 2018. Son pronostic vital était engagé. Plongé dans le coma, il a entendu cette voix, au fond d’un couloir blanc : « Tu veux rester ou tu veux partir ? » Il a réappris à marcher, à parler et il a retrouvé la mémoire. « Papa, la voix dans le couloir blanc, tu lui as répondu quoi ? » Il m’a regardé, avec son regard doux et son sourire d’enfant : « Eh bien, ma fille, je lui ai dit que je voulais rester. »

16/12/2022

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Dates des rassemblements, pour la Reconnaissance, la mémoire, et la culture.
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P
Magnifique récit ! Quel parcours !<br /> Merci pour ce joli témoignage
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