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Les ossements des vingt-sept enfants du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise (30) personnifient à eux seuls l’abandon et le drame des harkis

La découverte récente de corps d’enfants près du camp où 1 200 harkis ont vécu entre 1962 et 1976, dans le Gard, doit être la première étape d’un « nouveau processus de réparation pour sortir ces enfants de l’oubli », demandent, dans une tribune au « Monde », l’historienne Fatima Besnaci-Lancou et l’écrivaine Houria Delourme-Bentayeb, soutenues par un collectif de présidentes d’associations pour les droits des harkis.

Nous sommes plus d’une centaine de femmes, épouses, mères, filles, sœurs, toutes liées à l’histoire des harkis. Nous vivons dans les diverses régions de France, y compris en Polynésie française, mais aussi en Europe ou aux Etats-Unis.

Nous sommes bouleversées par la découverte d’ossements de vingt-sept enfants de harkis que les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont mis au jour, le 20 mars, à proximité du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard). Les fouilles continuent.

En effet, après des mois de recherches sans résultat, des fouilles archéologiques ont enfin permis de retrouver des ossements d’enfants dans un terrain vague, non loin des anciens camps de harkis de Saint-Maurice-l’Ardoise et de Lascours. Dans ce cimetière improvisé, des dizaines de nourrissons morts de froid et de maladie ont été jetés en terre à partir de l’automne 1962, sans sépulture digne de ce nom, et parfois sans que les familles soient informées des conditions d’inhumation.

Soixante-dix noms

Ainsi a débuté l’enfouissement de l’histoire de ces enfants. Doit-on y voir une résonance avec la bévue de François Missoffe (1919-2003), ancien ministre des rapatriés, qui, en 1964, qualifia les harkis de « déchets » à transférer aux camps de Bias (Lot-et-Garonne) et de Saint-Maurice-l’Ardoise, réservés aux « inclassables » et aux « irrécupérables » ?

Par la suite, des associations de harkis et des familles concernées ont inlassablement sollicité les autorités pour être aidées à retrouver les sépultures des enfants. En vain. Il aura fallu attendre 2019, quand une descendante de harki a découvert un procès-verbal de gendarmerie daté du 23 octobre 1979 sur la « création d’un cimetière sur un camp militaire », pour que le sujet soit enfin examiné.

Ce procès-verbal s’est appuyé sur un « registre d’inhumation provisoire au camp militaire de l’Ardoise », ouvert le 19 février 1963. Les indications relevées font état de soixante-dix noms et dates de naissance (dix adultes et soixante enfants), tous issus de familles de harkis. Pour trente et une personnes, il y avait aussi les dates d’inhumation et les causes du décès.

La découverte récente de corps d’enfants près du camp où 1 200 harkis ont vécu entre 1962 et 1976, dans le Gard, doit être la première étape d’un « nouveau processus de réparation pour sortir ces enfants de l’oubli », demandent, dans une tribune au « Monde », l’historienne Fatima Besnaci-Lancou et l’écrivaine Houria Delourme-Bentayeb, soutenues par un collectif de présidentes d’associations pour les droits des harkis.

L’enquête menée par les gendarmes révèle qu’ils avaient pu réunir des informations précises sur la localisation et l’organisation de ce qu’ils ont appelé « cimetière provisoire ». Par ailleurs, il aurait été question d’agrandir les cimetières de Laudun et de Saint-Laurent-des-Arbres (Gard) mais avec le départ des familles après 1975, ce projet est tombé dans l’oubli et les sépultures ont disparu sous les ronces.

« Il ne faudrait pas trop ébruiter l’affaire »

Pourquoi les autorités françaises, incontestablement informées dès 1979 de l’existence de ce « cimetière sauvage » n’ont-elles pas réagi alors que des dépouilles auraient encore pu être retrouvées ? La réponse se trouve aussi dans ce procès-verbal qui atteste que les autorités de l’époque avaient délibérément choisi de ne pas informer les familles et les associations : « Il ne faudrait pas trop ébruiter l’affaire qui risquerait d’avoir des rebondissements fâcheux, notamment si cela était porté à la connaissance des responsables de mouvements de défense des rapatriés d’Algérie – anciens harkis ».

Le 14 février 2022 a marqué un tournant, lorsque la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, Geneviève Darrieusecq, s’est rendue sur les lieux. Elle a qualifié le site de Saint-Maurice-l’Ardoise de « cimetière illégal, de fortune, puisque ce ne sont pas les règles d’inhumation dans notre pays », ajoutant : « c’est une erreur, c’est un manquement ».

Elle a annoncé avoir signé l’autorisation de fouilles sur le site, et a déclaré : « Tout cela doit être dit, connu et reconnu, comme une faute de la République ». Les archéologues de l’Inrap ont alors commencé leurs recherches, toute trace ayant disparu. A ce jour, seulement vingt-sept corps ont été découverts sur les soixante-dix noms relevés. Parviendra-t-on à retrouver les autres, les exhumer, les identifier et à les restituer à leurs familles ?

Pour mémoire, des milliers de familles de harkis vivaient comme des parias, parquées dans des « camps de transit et de reclassement », dont Saint-Maurice-l’Ardoise, pour certains entourés de barbelés et surveillés par l’armée. Ces personnes ont affronté les rudes hivers de 1962 et 1963 sous des tentes glaciales et des baraquements précaires.

Cimetières sauvages

Un rapport publié en 2018 a révélé l’existence d’autres cimetières sauvages au niveau des camps de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), du Larzac. Il n’était pas rare que des enfants décédés à l’hôpital à cette période, soient enterrés autoritairement dans ces cimetières improvisés, et souvent sans la présence des familles ou sans les informer du devenir du corps de leur enfant.

Comment ne pas relier cette surmortalité infantile aux conditions de vie inhumaines, aux maladies et aux épidémies dues à la surpopulation et à l’insalubrité des lieux ? Comment ne pas dénoncer les conditions déplorables d’accouchement sous des tentes non chauffées et une prise en charge médicale et sanitaire particulièrement déficiente ? Ces personnes fragilisées par la violence de leur abandon en Algérie, donc devenues particulièrement vulnérables, n’avaient-elles besoin d’aide de toute urgence ?

Pourtant des rapports d’archives prouvent que la tragédie était prévisible. Début 1963, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), est alerté de la situation dramatique dans les camps, notamment par le docteur Roger Steinmetz, ancien délégué du CICR et président de l’Action de secours aux harkis repliés en France. Une lettre d’une citoyenne suisse relate aussi : « L’hiver rigoureux a rendu les conditions de vie des camps de Saint-Maurice l’Ardoise et de Lascours en dessous de ce que l’on peut admettre pour des êtres humains. Les enfants présentent des syndromes, œdèmes par sous-alimentation ».

Passé douloureux

Par ailleurs, la docteure Andrée Heurtematte, de l’hôpital Sainte-Marthe d’Avignon, déplore (dans une lettre adressée le 26 janvier 1963 au député-maire d’Avignon et au préfet du Vaucluse) la dégradation croissante de la situation sanitaire au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise : « Un enfant est mort pratiquement à l’arrivée en le posant sur la table, deux enfants sont arrivés agonisants et sont morts dans les deux heures. » Le député-maire et le préfet du Gard ont été informés de la situation. A défaut de mesure concrète, les six milles personnes concernées ont continué de grelotter sous des « tentes et baraques [qui] voguent sur une mer de boue quand il pleut ou à la fonte de la neige ».

Les familles de harkis qui sont passées par ces camps et qui ont été relocalisées par la suite dans d’autres régions ont dû refouler ce passé douloureux. Et lorsque, par le biais de responsables d’associations, elles ont tenté d’interroger les autorités locales sur les tombes de leurs enfants morts dans ces circonstances indignes, on leur a répondu. « Il n’y a rien à trouver ! ». Rien. Comment accepter que ces êtres humains soient rapportés à une chose insignifiante ?

Mais le souvenir de ces corps d’enfants est resté gravé non seulement dans le cœur des familles meurtries par ces deuils mais dans la mémoire collective de tous ceux qui ont transité par ce camp. Contrairement à l’Etat français, comment auraient-elles pu oublier ces enfants ?

Comment ne pourrait-on voir à travers ce symbole qui touche à l’humanité même, que ces corps d’enfants, plus que des vestiges mémoriaux, personnifient à eux seuls, encore une fois, l’abandon et le drame des harkis ?

Réparation indispensable

Pour le philosophe Alain David, (membre du conseil scientifique du Centre mémoriel et culturel du camp de Saint-Maurice l’Ardoise, présidé par Fatima Besnaci-Lancou), « cette découverte de cadavres d’enfants près de Saint-Maurice l’Ardoise me paraît très significative : outre l’horreur intrinsèque du fait, des morts sans sépulture renvoient à ce que l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe désigne comme « imaginaire génocidaire » – quoi qu’il en soit de la qualification juridique prise dans son sens rigoureux.

Monsieur le président de la République, vous avez déjà accompli des gestes forts vis-à-vis des harkis et de leurs familles. Permettrez-vous que la découverte de 2023 soit la première étape d’un nouveau processus de réparation indispensable pour sortir ces enfants de l’oubli ?

Après votre déclaration solennelle du « pardon » adressée aux harkis le 20 septembre 2021, nous vous demandons de bien vouloir annoncer, de manière aussi solennelle, la découverte de ces corps  et votre engagement à dégager les moyens nécessaires à la découverte et l’identification des restes d’enfants (et des quelques adultes également mentionnés plus haut), à la prise en charge de leur restitution aux familles et à leur inhumation dans des conditions dignes en fonction du choix de celles-ci, ainsi que la poursuite des recherches de cimetières sauvages, dont l’existence est désormais attestée, dans les autres camps de harkis.

Nous comptons sur vous.

Fatima   Besnaci-Lancou, historienne, présidente du Conseil Scientifique du Centre mémorial et culturel du camp de Saint-Maurice L’Ardoise

Houria Delourme-Bentayeb, pédagogue, romancière.

Liste des cosignataires

Présidentes ou membres d’associations

Fatiha Arfi, secrétaire de l’association Coordination harka ,

Fatima Benamara,, présidente de l’association harkis et droits de l’Homme,

, Aline Carabetta, présidente de l’association  Femmes de harkis,

Djamila Feniche, vice-présidente de l’association Harkis et enfants de Dordogne et de Nouvelle-Aquitaine,

Fatima Hamel, présidente de l’association Héritages des deux Rives,

Fatima Hamroune, présidente de l’association Génération Aquitaine des Français Rapatriés d’Algérie,

Zohra Larbi, membre de l’association Les Harkis et leurs amis,

Fatiha Mamèche, présidente de l’association Les Harkis Ces Français Oubliés,

Habiba Paillac, présidente de l’association Mémoire et Avenir des harkis, des Rapatriés d’Algérie et leurs sympathisants,

Fatma Sadi, membre de l’association Génération mémoire harkis.

L’ensemble des cosignataires

Fatiha  Adli, agent administrative, Josette Akcha, assistante référente santé, Houria Akli, journaliste (Belgique), Yamina Akrour, retraitée, Melissa Amor,  fonctionnaire territorial, Chérifa Amraoui,  juriste, Micheline, Dénia Amraoui,  travailleuse médico-social, Houria Anoun, adjointe administrative, Malika Arfi,  agent de police municipale assimilée, Fatima Arfi, profession non précisée, Dalila  Arfi,  agent territorial,   

Christine Badi, militante aide à la personne, Fatma Badji, directrice générale adjointe en charge de l’éducation et du sport à Saint Raphaël,  Aïcha Barry,  militante de la cause des harkis (Belgique), Fatima Benchir, technicienne de gestion et de logistique, Keltouma Benchir,  attachée de direction dans l’évènementiel, militante contre les injustices, Louazna Benchir, atsem, Yamina Benchir, agent d’entretien, Carla Benouahab, profession non précisée, Yamina Benzerouk, fonctionnaire, Ouardia Bouaouli, profession non précisée, Malika Boudjemaa, infirmière libérale, Nora Boufhal, employée, Malika Bouhezila, pâtissière, Salima Boursas, technicienne de laboratoire, Dalila Boutaba, agent territorial, Djouher Boutrik, retraitée secrétaire administrative, Zohra Bouzar,  retraitée, Fatiha Boyer, enseignante vacataire à Sciences Po,          

Louisa Chaïb, militante pour la cause des familles de harkis, Aïcha Chammi, Citoyenne franco-algérienne (Espagne), Jacqueline Chayé,  collaboratrice d’un groupe d’élus à Clermont-Ferrand, Ouiza Cherbi, retraitée de la fonction publique, Aïcha   Cousineau, citoyenne franco-américaine,

Abessia Dargaïd , retraitée, Louisa Dehiliz, employée auprès de personnes âgées, Fouzhia Derrough, aide-soignante, Hafida Diffalah-Bastide, sympathisante fédération André Maginot, Marnia Djegherif, profession non précisée, Dalila Djegherif,  élue municipale, Fatiha Djenane,  secrétaire de mairie, Zahia Djera,  militante pour la cause des familles de harkis, Yvette Drifa-Remous, auxiliaire de vie scolaire             ,

Raniha  El Yaagoubi, profession non précisée,

Madjouba Farhi , aide-soignante, Malika Farhi, attachée de presse, Zara  Filali, profession non précisée,

Zohra Gallien, profession non précisée, Yamina  Ghalouni, conductrice de bus, Hadjira Gharbi, profession non précisée, Lila Gimenez, Atsem/fonction publique, Liamna Gouasmia, retraitée de la fonction publique, Dalila Goutta, profession non précisée, Hakima Guerairia, retraitée, Nadjia Guerza, adjointe administrative,            

Hadjila Hadri, fonctionnaire, Djamila Herry-Bouras, conseillère sociale et militante, Heddize Houamria, profession non précisée,    

Cathy Kadri, retraitée, Karima Kaam, employée administrative, Hadjila Kemoum, co-fondatrice de l’association harkis et droits de l’Homme, Oujda Kerchiche, profession non précisée, Aïcha Kerfah, professeure des écoles,

Aïcha Lagoune, traiteur, Fatima  Laorana-Badji, zoothérapeute (Ile de Moorea – Polynésie française), Nassima Louvet-Bouyala, éducatrice spécialisée,

Louisa Maaref,  militante LICRA, Zehira Mancina, profession non précisée, Zackia Marès, assistante Ressources humaines, Paquita Mediani, élue municipale, Marisia Medina, secrétaire administrative à la Caisse des Dépôts , Fatima Mehabdi, comptable, Zohra Mehraz, ancienne conseillère municipale dans la majorité à Thionville, Zohra Mellouki, aide-soignante au centre hospitalier d’Arles, Dalila Merouane, assistante de vente, Soraya Messaoudi, responsable en recrutement, Jacqueline Meziane, fonctionnaire, Aïcha  Mezni, profession non précisée, Louiza Moualid, retraitée aide-soignante, Djamila Mouheb,  adjointe technique, Sophie Mouzaoui-Albert, infirmière psychiatrique,

Aïcha Naceri, agent administrative, Colette Nemri-Astier, maman à domicile,      

Naha Ouali, fonctionnaire, Kaki Ouldkacem, dirigeante d’un restaurant associatif,  Noelle Ounissi, profession non précisée,            

Mébarka Pécandom, retraitée   

Marinette Rafai, huissier, mairie de la commune d’Arles , Sonia   Rahal,  adjointe administrative principale, Thérèse Rassoul, profession non précisée, Hafida Redjouh, retraitée, Violette Remous, aide-soignante, Amaria Ribelles, profession non précisée, Fadila Richard, exploitante agricole,    

Dalila Saadi, agent service logistique en Ephad, Fadila Saadi-Leclerc, professeur d’histoire-géographie, Cherifa  Saloul, profession non précisée, Danielle Sebbani, militante pour la cause des familles de harkis, Djema Seloul, agent immobilier, Sabrina Smaïli, gardienne d’immeuble, Camélia Souanef, étudiante, Farah Souanef, étudiante, Ourida Souanef, retraitée, Sabrina Souanef, mère au foyer, Soubahi, profession non précisée, Fatima Soubisse, retraitée,       

Sylvie Talata, militante au sein de la diaspora algérienne en France, Rahima Témagoult-Gosse, assistante administrative, Abila  Toualbia, ancienne cheffe scoute,             

Chantal Valay, adjoint administratif de la fonction publique,        

Sophia Yalaoui,  adjoint administratif hospitalier ,

Zohra Zarouri, directrice d’une association caritative, Aïcha Zeffane, profession non précisée.

21/04/2023

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B
Ma peine est immense ! Une prière et une pensée pour ces petits anges jetés en terre sans sépultures. Je suis bouleversée, émue par la découverte des ossements de ces petits êtres.60 ans après, je ne comprends toujours pas l'enfouissement de ces enfants par les autorités françaises de l'époque et, sans que les familles soient informés des conditions d'inhumation ?! Pourquoi tant de haine ?!<br /> Ce que je sais, c'est que cette surmortalité est liée aux conditions de vie difficiles dans les camps et à une prise en charge médicale quasiment absente. Avec mes parents, à Sisteron, nous vivions dans un cabanon en bois. Les hivers étaient rudes. Mes frères et sœurs et moi étions étions souvent malades..nous avons eux de la chance 🙏<br /> Je ne peux retenir mes larmes, c'est trop dur, trop douloureux. N'oublions jamais ce pan de l'histoire et la vie dans les camps de Harkis. Amen !<br /> <br /> Bettayeb Naura fille de Harki.
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