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Refoulement - de Brahim Sadouni 2/2

Avant propos

Après une demande par écrit , cette publication vous est proposée avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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"Dans le contexte de notre histoire, vous avez tout à fait mon accord pour les publier et les diffuser afin d’informer l’opinion publique et en particulier nos compatriotes de la communauté harkie ! Notre histoire est trop triste, elle est injuste et dramatique,merci encore et vous souhaite bonne chance.​"

                                      Rouen Lundi 13 Juillet 2015 Brahim Sadouni

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Refoulement 2/2

On m'indiqua ensuite une petite pièce où je devais attendre pour reprendre l'avion du retour. Je rejoignis les quelques personnes qui étaient là consignées avant moi à rester dans cet enclos, probablement pour d'autres procédures.

La canicule de ce mois d'août était suffocante. Je pris place sur une chaise, cherchant avec un regard approximatif, où je pourrais voir un lavabo. Mon corps était inondé par une sueur continue, la chaleur m'avait desséché la gorge.

Pour apaiser ma soif, je m’adressais à l’un des agents de police présents dans le local, dans un geste sans réplique, il me suggéra d'aller voir à l'autre bureau. Effectivement en face, j’aperçus une porte entrouverte d’où sortaient quelques personnes. Discrètement, je traversais la pièce, et me présenta à l'employé pour lui demander de me donner un peu d'eau. Je le revois, il me toisa soigneusement du regard, puis il me réclama mon passeport, ce que je fis immédiatement.

Une fois le document dans la main, il jeta un rapide coup d'œil à l'intérieur puis à l'extérieur. Avec véhémence ? Il me cria, tu es un harki ! Dans ce cas, tu ne boiras jamais l'eau de l'Algérie ! Foudroyé, par cette réplique et de son regard, je dus regagner ma place et me résigner à ne plus rien demander à ces gens-là.

Je revins et me rassis, dépité, sans prêter attention à l'entourage, j’étais à la fois sonné et dégoûté. Assis à mes côtés, un Algérien semblait avoir remarqué toute la scène méprisable. Il me porta un regard plus agréable, confus, il m’aborda avec gentillesse, il me conseilla d'écrire en haut lieu pour obliger ces gens-là à me laisser entrer dans mon pays.

Sur une profonde déception, et par fierté, je lui dis toute ma reconnaissance pour sa gratitude, et lui répondis que malheureusement ma décision fut prise et que je devais retourner d'où je venais. Le remerciant à nouveau pour sa sympathie, ma dignité n’était pas négociable, je suis un homme libre dont la conscience reste tranquille et propre.

Non, je ne ferai rien, car ces gens-là m'ont jugé sans justice et m'ont condamné sans procès. Je continuerais à garder la tête haute malgré la souffrance et les vexations que je ressentais de la part de ceux qui m'ont refusé le droit d'aller revoir ma famille.

Après, quatre heures d'attente sans boire ni manger. Je suis en nage par la sueur, confiné dans une pièce sans ventilation. Seule une minuscule fenêtre servait d'évacuation d'air. Bientôt, une nouvelle équipe de polices fit son apparition pour remplacer l'ancienne, je profitais de cette occasion pour demander à un jeune agent, s'il pouvait me donner un peu d'eau à boire. Par curiosité, il sollicita d’abord à voir mon passeport, qu'il examina avec attention et sans autre problème. Il me demanda avec respect de le suivre jusqu'au bar de l'aéroport. C'est en chemin qu'il me posa la question :

— Tu as vraiment soif !

— Oui, cela fait quatre heures que je n'ai rien bu, ils me refoulent vers la France et refusent de me donner à boire ?

Lui ai-je parlé avec désolations ?

Étonné par ma réponse, il me demanda. Le pourquoi n'ont-ils pas voulu te donner à boire ? Sur ce je lui expliquais l'attitude et le comportement de certaines personnes avec quelques détails.

Devant ma déception, il se montra navré pour ce comportement qu'il jugeait méprisant, me rassura-t-il pour sa part. Devant ma déchéance, il m’invita à prendre une boisson au bar.

— Ce genre de choses arrive malheureusement trop souvent. Certains individus veulent faire du zèle et par la même instaurer leur propre justice c'est toujours la (hourra ! le mépris) dans notre pays. Me lança le jeune policier avec altruisme.

— Que veux-tu boire ?

— Une bière si tu me le permets. Avais-je répondu apaiser ?

                Il commanda au barman une bière. Aussitôt servis, je mis la bouteille à la bouche et l'avala cul sec ! Intrigué par cette descente rapide du liquide, il m'en proposa une autre que je repris avec plaisir. Après avoir étanché ma soif, je tenais à le remercier et lui fis mes excuses à propos de l'alcool.

Je lui expliquais ce que je venais de ressentir ? En particulier ce jour-là, il me semblait que l'islam m'avait abandonné en cette journée du mois d'août, et que ce sont des musulmans de mon pays qui m’ont empêché d'aller retrouver ma famille.

Pourtant cette terre est celle de mes ancêtres et de mes racines ! C’est ici ! Que je suis venu au monde et c'est ici que j’avais grandi. Pour cette faute commise à mon encontre, je ne pourrais jamais leur pardonner devant Dieu ! Et, si tel est notre croyance, alors ! Elle saura où porter sa violence et son désarroi !

Comment leur cœur peut-il brûler autant qu'un volcan ?

Comment le sang qui coule dans leur veine, peut-il devenir aussi brûlant qu'une lave de magma ?

Comment peut-on se revendiquer des lois de Dieu tout en se déviant de ses directives ?

Parfois n'y a-t-il pas une contradiction dans tous ces faits, que l'homme a inventés lui même pour ne pécher que contre lui-même ?

Si je résume dans ma théorie, je pourrais conclure avec une certaine vérité, c'est l'homme qui a peur de l'homme et pour lui Dieu n'est que prétexte ?

J’avais souhaité laisser mon adresse à cet homme resté humain, que la divinité a mis sur mon chemin, des gens courageux comme lui sont rares. Malheureusement, ce jeune policier ne pouvait rien faire pour moi à part consoler ma soif dévorante.

Vers dix-huit heures, je vis arriver le commissaire principal accompagné d'un douanier.

— Allez ! me dit-il. Tu rentres chez toi en France !

Ils me prirent entre-deux m'encadrant comme un forcené jusqu’à la caravelle.

En chemin, le plus galonné des deux me lança quelques piques :

— Tu es venu parce que l'Algérie a fleuri ! Me lança-t-il, le regard tendu ?

Mais je ne répondis pas à cette remarque.

— Je te parle, insista-t-il, toujours sur un ton brutal ! Irrité par mon silence ?

Je lui fis finalement cette réponse :

— Une fleur fane et tombe !

Mais cela ne lui plut pas du tout.

— De toute évidence, moi, ce que je voulais, c’était qu'il me foute la paix !

À cela, il me fit quelques menaces dans le but de me faire peur. Mais, je n'en tins pas compte.

Une fois arrivé au pied de la passerelle, je vis le Capitaine Pardon, commandant de bord qui me reconnut. Ce nom du commandant exprimait toute une parabole.

Pardon ! Pouvait-être aussi synonyme de paix.

Tout un symbole mêlé à l’histoire !

Le commandant avait piloté l'avion depuis Paris vers Alger, le matin.

— Qu'est-ce qui vous arrive ?

Me questionna-t-il ? Il me reconnut comme l'un des passagers ayant pris ce vol.

— On ne veut pas de moi à cause de mes papiers français ! Lui avais-je rétorqué l'air contrarié ?

En voyant ma mine, il semblait gêné pour moi. Dans son regard il y avait sûrement de la déception de voir à chaque fois d'autres gens victimes de cette même discrimination. Quelques passagers, des travailleurs immigrés algériens, montèrent en même temps que moi dans l'Avion, eux aussi repartaient pour la France. Ce jour-là, il y avait eu deux destins pour des exilés d'un même pays !

De retour à Rouen, j’écrivis une lettre à M. Poniatowski, ministre de l'Intérieur, pour l'informer de ce refoulement, lui demandant comment faire pour que je puisse retourner en Algérie sans me faire renvoyer à nouveau.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre de sa part dans laquelle il m'expliqua que les Algériens étaient libres de recevoir, qui bon leur semble et qu'en aucun cas la France ne pouvait leur imposer d'accepter qui que ce soit chez eux. Choqué par une telle réponse, parce que dans ma lettre, je n’avais jamais souhaité à ce que la France impose à l’Algérie son dictat ! Mais tout simplement d’appliquer avec respect les accords d’Évian signés entre ces deux pays.

Cette réponse était aussi une manière de se dédouaner de sa responsabilité, l’État français avait abandonné lâchement les harkis malgré des faits injustifiables !

Après ce refoulement, j’avais également informé mon père à Arris, par télégramme, en lui mentionnant « refouler pour cause de nationalité française » ! Abasourdie par cette mauvaise nouvelle, il ne comprenait pas,

pourquoi la douane m’avait refoulé ?

Mon frère m’apprit plus tard la tristesse qui avait hanté notre père. Il se prenait sans cesse la tête entre les mains pour pleurer et demander, pourquoi lui avait-on ôté son fils ?

Cette Algérie qu'il avait servie avec loyauté jusqu’au sacrifice, venait de lui ravir son fils ? Dans son chagrin, mon père disait, je me suis toujours battu pour libérer mon pays. Comment aujourd’hui, peuvent-ils tuer mon propre fils ? Toujours est-il que mon père ne s’était jamais bien remis de cette blessure !

La dernière fois que j’ai pu le revoir, c'était lorsqu’il fut hospitalisé d'urgence à Paris en 1985. Deux jours après son arrivée, je me suis rendu à son chevet pour l’embrasser, mais malheureusement, je suis arrivé trop tard hélas ! Mon père venait de décéder à quatre heures du matin en ce mois de mai 1985.

Ce jour-là à l’hôpital avec mon frère nous avions retrouvé notre père à la morgue. C’est là que je fis mes adieux à l’homme qui m’avait choyé lorsque j’étais encore petit garçon.

En l’embrassant sur le front pour la dernière fois, je lui avais dit :

Adieu papa !

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Refoulement - de brahim Sadouni 1/2

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