6 Septembre 2023
- Mis à jour le 06/09/2023 à 12 h 40' -
Une association demande la reconnaissance de la cité des Chaumines, à Buchelay (Yvelines), comme camp de harkis pour que 25 familles y ayant vécu puissent demander réparation.
Les préfabriqués de la cité des Chaumines, à Buchelay (Yvelines), ont été construits en août 1966 et détruits dans les années 1980. Le camp a accueilli des familles de harkis après la Guerre d’Algérie.(©DR)
C’est l’histoire d’une cité oubliée, à Buchelay (Yvelines), celle où ont vécu, dans les années qui ont suivi la Guerre d’Algérie (1954-1962), de nombreux harkis, « ces Français originaires d’Algérie qui ont soutenu la France pendant le conflit en tant que supplétifs, sous différents statuts (on estime qu’ils ont été environ 200 000 à avoir été recrutés durant les huit années de guerre, N.D.L.R.) », définit le site dédié à cette communauté sur harkis.gouv.fr.
Entre la construction des préfabriqués, en août 1966, et la destruction du camp, au tournant des années 1980, une centaine de personnes est passée par la cité des Chaumines, selon Ajir (Association Justice Information Réparation) pour les Harkis-Ile-de-France.
25 familles de Harkis demandent réparation à l’État français
Ce sont environ 25 familles qui sont potentiellement intéressées par la démarche de l’association qui veut faire reconnaître ce camp par la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH).
Marie Gougache, d’Ajir Ile-de-France et fille de harki, explique : « Tout est réuni pour que la cité des Chaumines, qui était habitée uniquement par des harkis, sans mixité sociale, isolée géographiquement et composée de préfabriqués insalubres, soit reconnue officiellement comme un camp de Harkis.»
« La Ville de Buchelay nous a permis d’accéder à ses archives pour prouver son existence afin que toutes les familles qui y ont vécu puissent être indemnisées. » Marie Gougache Représentante d'Ajir Ile-de-France et fille de harki
Pour une stèle du souvenir à Buchelay
Ajir recueille tous les éléments qui peuvent permettre de faire reconnaître les Chaumines comme l’un des trois camps construits autour de Paris pour les transmettre à la CNIH.
L’association veut aussi « organiser une réunion publique avec l’ensemble de la communauté qui réside sur Buchelay et Mantes-la-Jolie » et « faire poser une stèle en hommage à ces familles ».
Elle cible le 25 septembre 2024, journée nationale d’hommage aux harkis, aux moghaznis, et aux personnels des diverses formations supplétives et assimilées, pour organiser l’inauguration de la stèle et tenir une première cérémonie commémorative.
Un enfant de harki se souvient de son enfer
Lucien (le prénom a été changé), 62 ans, vit toujours dans la région de Mantes où il a débarqué il y a plus de cinquante ans en provenance du camp de Bias (Lot-et-Garonne), sorti de l’oubli depuis la condamnation, en 2019, de l’État français pour atteinte à la dignité de la personne humaine.
Dans son documentaire Bias, le camp du mépris, la journaliste, écrivaine et scénariste Dalila Kerchouche raconte l’histoire de ces milliers de harkis enfermés derrière des barbelés et privés de tous leurs droits après les accords d’Evian (mars 1962) et jusqu’à la dissolution progressive des camps, à partir de 1975.
Lucien était l’un d’eux. Il n’avait pas 10 ans mais le souvenir reste douloureux et la parole rare. Arrivés en France, ses parents et leurs six enfants ont été transférés de Bias à Buchelay en 1970.
« Encore aujourd’hui, je ne dis jamais à personne que j’ai vécu dans un camp. Nous avons passé deux ans et demi dans le camp d’internement de Bias. Mon père a fait deux guerres pour la France, 39-45 et l’Algérie, puis cinq ans de prison en Algérie après les accords d’Evian. »
Un enfant de harki passé par le camp des Chaumines à Buchelay
« Nous sommes partis parce que mon père avait trouvé un travail, poursuit Lucien. Nous avons vécu jusqu’en 1981 au camp de transit des Chaumines, dans une petite baraque avec des murs qui devaient être une sorte d’aggloméré.»
« C’était très mal isolé, chauffé par un poêle à mazout au milieu de la pièce principale, avec deux chambres pour huit personnes, décrit-il encore. Au bout de quelques années, nous avons pu déménager dans une chaumière, c’était leur nom, avec une chambre supplémentaire. »
Interdiction de passer par le village pour aller à l’école
Lucien raconte les punaises et les cafards, mais aussi l’isolement du camp, le poids des regards et la honte ressentie.
« Le facteur ne rentrait jamais dans le camp. Les boîtes aux lettres étaient à l’entrée, qui était fermée par une barrière. Le camp était clôturé, isolé à l’entrée du bois et à plus d’un kilomètre de l’école. Le garde champêtre nous interdisait de passer par le village. » Un enfant de harki passé par le camp des Chaumines à Buchelay
« Les Bédouins, ou pire… Les bougnoules »
À l’école, les enfants du camp sont « regroupés au fond de la classe ». « Nos parents ne parlaient pas français ou pas assez pour nous aider, explique Lucien. Nous n’avions aucun soutien scolaire dans le camp et nous étions stigmatisés dehors. Il était quasiment impossible de trouver un travail quand on avait le camp des Chaumines pour adresse. On nous appelait les Bédouins. Ou pire… »
Lucien a du mal à le dire, Marie Gougache prend le relais : « Les bougnoules, c’est le terme exact. Aujourd’hui encore, les harkis ne parlent pas de cette époque. C’est pourquoi le travail de recherche que nous menons est important, pour restaurer la mémoire. »
Faire sortir le camp des Chaumines de l’oubli
Les indemnités prévues, souvent perçues comme dérisoires, ne suffiront pas à réparer les traumatismes subis par la communauté, ni à oublier l’indignité de l’État français.
Néanmoins, pour tous les témoins de cette époque, c’est l’occasion de faire sortir le camp des Chaumines de l’oubli et de le faire entrer dans les livres d’Histoire, de notre Histoire locale, à sa juste place.
06/09/2023
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