6 Décembre 2022
40 - ème Festival du film de Turin.
Le temps semble s’être arrêté dans Bias. Les vieilles dames marchent dans les rues du quartier, parmi les bâtiments tout de même, portant les mêmes vêtements que soixante ans auparavant, les jeunes jouent au football dans la rue et les personnes âgées discutent assises autour de la table dans la cour de leur maison.
Il y a ceux qui ont appris Français et ceux qui, après tant d’années, n’en parlent toujours pas. Tout le monde dans la communauté se connaît ; Ceux qui sont restés après la fermeture du camp en 1975 ont vécu côte à côte pendant la majeure partie de leur vie, isolés du reste du monde.
Nous sommes en France, dans une ville du sud-ouest du pays, mais il semble que ce soit toujours en Algérie.
Dans le Bias et dans d’autres camps, après 1962, année qui a mis fin au conflit entre la France et le Front de libération nationale (FLN) en Algérie, les harkis, ces Algériens qui avaient servi aux côtés des forces militaires Français contre le mouvement indépendantiste algérien, ont été enfermés dans des conditions de privation et d’isolement. Avec la fin de la guerre et le retrait de Français troupes d’Algérie, les harkis sont désarmés et abandonnés à leur sort.
Ceux qui sont restés en Algérie ont été considérés comme des traîtres et ont subi de terribles représailles, ceux qui ont réussi à émigrer en France ont été séparés dans des camps de détention. À l’occasion du 60e anniversaire de cette page oubliée et coupablement tacite de Français histoire, un couple de réalisateurs, la journaliste Cécile Khindria et le scénariste et documentariste Vittorio Moroni, mettent en lumière les souvenirs cachés mais jamais oubliés de la communauté harki du camp Bias à travers le documentaire N’en parlons plus, en compétition dans la section dédiée au documentaire italien de la40e édition du Festival du film de Turin.
Celui à travers lequel les deux réalisateurs nous conduisent est un voyage sur le chemin des souvenirs d’une famille, celle de Sarah, narratrice du documentaire et notre guide, dont le grand-père, un harki, a dû fuir avec sa famille en France après la fin du conflit et a été interné pendant quinze ans à Bias. Le voyage est ardu, fait de portes closes et de silences assourdissants. Il est difficile de percer le rideau de douleur et de honte derrière lequel se cache le passé de la famille de Sarah et du reste de la communauté harki.
Plus personne ne veut en parler. Mais le désir de connaître sa propre histoire est devenu une nécessité pour Sarah qui, depuis qu’elle est devenue mère, ne peut s’empêcher d’accepter le passé de sa famille. Ou plutôt, avec ce qu’il ne sait pas de ce passé. Une question, en particulier, ne semble pas lui apporter la paix : « Pourquoi certains Algériens ont-ils décidé de lutter contre l’indépendance de leur pays ? »
La recherche de Sarah l’amène alors à frapper à la porte de ceux qui, après la fermeture du camp, sont restés vivre à Bias, ne sachant pas comment vivre en dehors de ce microcosme. Et ainsi, lentement, malgré la résistance initiale, les histoires et les souvenirs de la communauté commencent à s’ouvrir devant la salle, rendant à Sarah et à nous spectateurs les pièces d’un puzzle que nous ne savions pas que nous avions perdu. Une fois le premier passage ouvert, le fleuve des souvenirs éclate avec force répondant au besoin de partager publiquement, peut-être pour la première fois, sa propre expérience, et de la rendre aux nouvelles générations.
La force du documentaire de Cécile Khindria et Vittorio Moroni, en plus d’avoir traité d’un thème aussi important qu’inconnu de la plupart, est de l’avoir raconté de la manière la plus respectueuse et délicate possible. La caméra n’envahit jamais l’espace des personnes avec lesquelles Sarah dialogue, attend toujours à une distance de sécurité la permission de s’approcher et, lorsque celle-ci est accordée, s’approche sur la pointe des pieds, sans émettre de bruit. Les histoires privées et passionnantes des habitants du camp sont entrecoupées d’images et de films d’archives dans lesquels on retrouve, avec une certaine émotion, les visages immatures des protagonistes dont nous entendons la voix.
Les reportages télévisés de l’époque, qui rapportent une histoire édulcorée et loin de la réalité de la vie dans les camps, se heurtent violemment aux récits d’abus et de violations des droits racontés par ceux qui, jusqu’à récemment, n’étaient considérés ni Français ni comme des immigrés, tout simplement indésirables. Et même si, pas plus tard que cette année, Emmanuel Macron s’est personnellement excusé auprès des harkis, les reconnaissant publiquement par une loi, le titre du documentaire, une citation d’une phrase prononcée par Sarah dans le film pour rassurer sa grand-mère âgée, ne peut que sonner, aux oreilles du spectateur, comme une accusation sévère contre un État trop longtemps silencieux.
27/11/2022
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