6 Août 2015
Rédigé par Brahim Sadouni et publié depuis Overblog
Avant propos
Après une demande par écrit , cette publication vous est proposée avec l'aimable autorisation de l'auteur.
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"Dans le contexte de notre histoire, vous avez tout à fait mon accord pour les publier et les diffuser afin d’informer l’opinion publique et en particulier nos compatriotes de la communauté harkie ! Notre histoire est trop triste, elle est injuste et dramatique,merci encore et vous souhaite bonne chance."
Rouen Lundi 13 Juillet 2015 Brahim Sadouni
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Refoulement 1/2
1975, je fais la connaissance d'un Algérien habitant à Rouen comme moi, lui était marié à une Française et possédait la double nationalité.
Un jour, il me conseilla très amicalement d’aller travailler en Algérie pour la Sonatrach (société nationale des travaux pétroliers en Algérie). Il me convia, que le directeur était un ami à lui et que ma candidature pourrait sûrement l'intéresser.
L'Algérie a besoin de gens comme toi, m'encouragea-t-il avec enthousiasme. Alléché par une telle proposition et sur son conseil, j'écrivis une lettre en bonne et due forme et l'envoie à la direction de la Sonatrach.
Un mois plus tard, je reçus une réponse avec un avis favorable, d’après mon CV, je serai amené à conduire une équipe, comme chef soudeur. Dans cette lettre, on me donna toutes les directives à suivre, lorsque j'aurai à me présenter devant la douane Algérienne pour éviter tout mal entendu et refoulement.
Enthousiasmé par cette réponse prospère, je me suis préparé, hélico-presto, pour faire mon passeport à la préfecture de Rouen. Trois semaines plus tard, j’étais prêt pour le départ.
Le 8 août de cette année, plus de dix ans après mon arrivée en France, je pris l'avion pour Alger avec mon contrat de travail en poche. Je me suis glissé sereinement à l'intérieur de l'appareil, déjà bondé de passagers, dont la plupart étaient des Algériens, qui retournaient au pays à l'occasion des vacances de l’été.
Bien calé dans mon siège, situé à peu près au milieu de la caravelle. Tandis que j’étais absorbé dans mes songes les plus prometteurs, je n’avais cessé de penser à ce qu'il pouvait m'attendre de l'autre côté. Serin, mais aussi inquiet, devant les mille et une questions qui se profilaient dans mon esprit, sur ce que j’allais rencontrer de l'autre côté ! L’aventure est toujours un mystère ! Calmement, je repris mes esprits et laisser le temps faire sa destinée.
Après quelques instants, notre avion se lança comme un bolide vers le ciel, pour se stabiliser quelque temps après au-dessus d’épais nuages en se cabrant pour son long vol. Les passagers assis à mes côtés dialoguaient à haute voix, s'exprimant librement. Certaines paroles ne m’étaient pas anodines ? La conversation tournait autour du sort réservé aux harkis en Algérie.
Certaines phrases me heurtèrent directement, elles étaient carrément violentes, dans cette diatribe, il y avait les enfants de harkis qui revenaient souvent dans leur conversation. Pour eux, les enfants de harkis devaient renier leurs parents s'ils veulent que l'Algérie les accueille. Répétaient certains !
Ces paroles infâmes avaient généré en moi de l'angoisse, l’aiguille était profonde, elle me taraudait amplement le cœur.
Une foule de questions se posa, mais sans pouvoir y répondre ! Pourtant, je me suis forcé en cherchant dans ma logique et ne pouvais m’empêcher de m’interroger !
Pourquoi ces musulmans ont-ils choisi alors et en toute liberté de venir vivre en France ?
Ce pays avait pourtant colonisé l’Algérie pendant 132 années ?
Comment ces croyants de l'islam peuvent-ils demander à des enfants de renier leurs propres parents ?
Comment peuvent-ils juger sans avoir jugé ? » Cela n’est-il pas contraire à toute morale dans ce monde, et indigne pour tout être humain ?
Moi, j’avais vécu cette longue guerre durant sept ans et demi avec son lot de larmes et de sang, voilà que je redécouvre tristement une haine d’un passé latent, animée par une passion viscérale.
Ces gens semblent n’avoir jamais reçu le goût de la souffrance. Ces questions ne faisaient qu'ombrager mon voyage et m'ont beaucoup remué. À cette époque, les actualités ne parlaient que des harkis vivant dans les camps de Bias dans le Lot-et-Garonne, de Saint-Laurent des Arbres, ou Rivesaltes et en particulier Saint-Maurice l'ardoise. Cela chauffait beaucoup entre le gouvernement et les harkis. Une révolte avait éclaté pour dénoncer les traitements scandaleux que faisait subir la France à cette population.
Avoir défendu ce pays, avoir versé leur sang pour subir un tel traitement, cela relevait incontestablement d’une grande lâcheté. J’avais entendu parler d'une prise d'otages à Saint-Maurice l’ardoise. Elle fut menée par des fils de harkis, aidés par leurs parents, pour sensibiliser l'opinion publique, afin que les gouvernements successifs cessent toutes les brimades dont furent victimes les harkis.
Le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, était intervenu en personne rappelant que les harkis devaient être considérés comme des Français à part entière. Personnellement, je n'avais pas encore bien conscience de toute la gravité des choses. La presse et les médias évoquaient sans cesse, la situation dramatique dans laquelle vivaient les harkis.
Après 2 h 30 de vol, il était midi, lorsque nous débarquions à l'aéroport d'Alger. Les passagers les uns après les autres descendaient de la caravelle, je suivis docilement le mouvement et prit la file qui s'était façonnée devant moi.
Je choisis délibérément l’arrière de la queue. La chaleur était torride, tout l’enfer descendait du ciel. C’était le moment le plus culminant ou le soleil expédiait toute son intensité. Au contact de ma terre natale, je ressentis une pression sanguine plus forte qu'auparavant, mon corps n’était plus que chaudière.
Normal ! C'était un effet magique pour quelqu'un qui revient dans son pays après l'avoir quitté depuis plusieurs années. Malgré cette lourde atmosphère, j’étais chargé d’émotions. Devant moi, chacun son tour, les passagers dégainaient leur passeport, puis lentement, ils quittèrent l'aéroport au gré des contrôles et de formalités.
Arriva le moment fatidique, mon passeport français dans une main, le contrat de travail dans l’autre. Je me présentais devant le jeune douanier qui ausculta d’un coup d'œil mon passeport. Il se leva et me demanda de le suivre chez l'un de ses collègues. Il lui montra mes papiers et lui lança !
— En voilà encore un autre !
Son chef ! L'homme cheveux grisonnants, dans la cinquantaine passée. Il me questionna !
— Tu viens de France !
— Oui,
— Où vas-tu ?
— À Arris, dans les Aurès.
Dans un geste naturel, il décrocha son téléphone et fit référence au responsable principal sur ma personne. Je perçus quelques bribes de phrases échangées, entre eux : l'officier lui répéta avec une voix glauque !
— Il est Français !
Puis, il se retourna vers moi et m'interrogea.
— Tu es né en Algérie et tu as un passeport français ! Pourquoi ?
Cette question exige une réponse de ma part ?
— Parce que je travaille en France. Je vis là-bas, c'est plus commode d'avoir un passeport français pour pouvoir voyager ! Avais-je répondu simplement ?
— Tu ne serais pas harki par hasard ?
Sachant que je n'avais rien à me reprocher, ni de près, ni de loin, sur mon passé durant la guerre. Je lui répondis le plus honnêtement possible :
— Oui, j'étais harki.
Son regard changea subitement ! Et il me lança des yeux menaçants.
— Alors tu es un traître !
— Non, je ne suis pas un traître.
Puis il reprit sur un ton plus agressif :
— Combien as-tu tué de nos frères ?
— Je n'ai jamais tué de ma vie. Vous pouvez regarder par vous-même l'âge que j'avais. À cette époque j’étais encore un adolescent.
Et puisque je suis ici en Algérie, il vous sera facile de vous renseigner auprès des gens qui vivent dans la région où j'avais servi comme moghazni. Vous ne trouverez jamais quelqu'un qui vous dira que j'ai fait du mal à une personne !
— Ce n'est pas vrai ! Tu me prends pour un idiot ! C’était donc un bâton que tu avais entre tes mains et non pas un fusil ! Me cria-t-il à nouveau. Tu as vendu ton pays et ta religion aux Français, maintenant tu reviens dans ce pays que tu as renié.
Face à un flot d'injures violentes et de calomnies verbales, j’essayais bon gré mal gré de me justifier ! Je choisis comme référence le livre sacré du Coran afin qu’il se montre compréhensif et qu'il soit plus clément envers moi.
— Je suis prêt à vous jurer sur le livre saint qui est le Coran, celui qui unit tous les musulmans au nom d'Allah. Je peux vous le jurer que je n'ai jamais fait de mal à personne !
Devant son obstination, j'avais l'impression que mes paroles volaient en l'air. Visiblement, il n'en avait cure de mes arguments. Devant son obstination, j'essayais de lui parler sur un autre ton, je fis référence au passé de mon père.
J’affrontais en même temps son regard de face et lui dis. Mon père lui a servi pendant la révolution algérienne durant toute la guerre, vous pouvez là aussi vous renseigner. Pour le convaincre, je lui fais savoir que mon père était un moudjahid !
Je pensais ainsi atténuer peut-être son arrogance.
— Oui mon père était un moudjahid ! Lui avais-je répété ?
Mais, j'avais beau lui parler, malheureusement, rien n'y faisait. Il avait déjà pris sa décision. Toujours le ton agressif, il me lança avec mépris !
– Un musulman. Toi ! J'ai l'impression que tu n'es pas un musulman, voilà ! Le doigt accusateur pointé vers moi telle une baïonnette. À cet instant, mon cœur se transperça, je comprenais que je ne pourrais plus rentrer dans mon pays.
Hanté par la haine, dans un flot d’injures, il prit mon passeport, l'ausculta machinalement et cracha dessus. À cet instant, le jeune douanier déclara alors !
— Refoulé ! ! !
La suite jeudi 12 Août 2015
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