19 Août 2015
Un Grand Merci , pour ces articles de presse et photos à AF pour ce grand moment de partage .
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il y a 40 ans
II - La révolte
La révolte des enfants de harkis en 1975 comporte deux niveaux. Premier niveau, la mutinerie est orchestrée par un homme : M’Hamed Laradji. Ce dernier, président de la CFMRAA (Confédération des Français Musulmans Rapatriés d’Algérie et leurs Amis), a déjà effectué plusieurs actions en vue de sensibiliser l’opinion publique et les médias sur le sort des Français Musulmans – dont les harkis – au travers de différentes grèves de la faim. À partir de 1975, il part à la rencontre des enfants de harkis dans les camps et est l’instigateur des révoltes de Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise.
Nous l’avons vu, les enfants de harkis qui ont grandi dans les camps ont pris conscience, au fil du temps, qu’ils constituaient une catégorie de Français foncièrement à part. Néanmoins, à aucun moment, ils n’ont été en mesure de se révolter collectivement contre le « système carcéral » et leurs conditions de vie. Jusqu’alors les révoltes sont diffuses, sporadiques. M’Hamed Laradji, dans ce climat de tension latente, apparaît donc comme l’homme providentiel, celui par qui tout devient possible. Il organise des actions spectaculaires.
Second niveau, qu’il convient de ne pas négliger : les enfants de harkis. S’il est indéniable que la révolte de 1975 n’aurait vraisemblablement pas eu lieu sans M’Hamed Laradji, néanmoins, ses revendications trouvent un large écho auprès des enfants de harkis, les amenant à prendre les armes. M’hamed Laradji est le stratège d’une mutinerie dont les acteurs centraux sont les enfants des ex-supplétifs.
Si ces derniers, comme nous allons le voir ci-après, furent quelque peu manipulés, cependant, les événements de l’été 1975 précipitent la fermeture des camps de Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise.
a - Une révolte venue du dehors
Revenons brièvement sur M’Hamed Laradji, véritable meneur des événements. Tout d’abord, il n’est ni harki ni enfant de harki, mais est issu d’une famille de Français Musulmans, « issu d’une famille de notables de Novi ( Sidi Ghiles) » M’Hamed Laradji, Français-Musulman, âgé de 33 ans, en 1975, président de la CFMRAA qu’il a fondée le 2 avril 1973 à Lille, est à l’origine de plusieurs grèves de la faim.
En août 1974, il effectue une première grève de la faim à Évreux, ville où il réside. Son action est « suivie par une dizaine d’anciens supplétifs à Évreux, Roubaix, Lille, Longwy, Marseille et Saint-Étienne »Le 15 septembre 1975, il entreprend une nouvelle grève de la faim, tout d’abord à Évreux, puis devant l’église de la Madeleine à Paris . L’objectif visé est d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation des Français Musulmans Rapatriés.
En mars 1975, M’hamed Laradji s’illustre une nouvelle fois à Évian où il effectue une nouvelle grève de la faim pour le treizième anniversaire du cessez-le-feu. Le 19 mars, il y donne une conférence de presse. À partir du mois d’avril 1975, il entreprend de se rendre dans les camps et les hameaux de forestage, en compagnie du vice-président de la CFMRAA, Monsieur Christophe, ancien activiste de l’OAS . M’Hamed Laradji apporte avec lui une logistique qui lui est fournie par des nostalgiques de l’Algérie française – notamment des armes.
À partir de mai 1975, les enfants de harkis vont prendre les armes, s’affronter à l’administration des camps, effectuer des prises d’otages. Durant la période de mai à juin 1975, les camps de Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise se donnent la réplique. M’Hamed Laradji est présent à chaque action.
Le 7 mai 1975, M’Hamed Laradji se rend au camp de Bias. Suite à sa venue, les enfants de harkis prennent d’assaut les locaux administratifs. L’occupation dure deux semaines et se solde par une intervention des CRS, qui « ont fait évacuer les locaux et occupent le camp durant une semaine ».
Article du 19 août 1975
À Bias, comme dans d’autres lieux, des prises d’otages sont envisagées afin de laver l’affront des autorités algériennes et d’attirer l’attention des pouvoirs et de l’opinion publics sur la situation qui leur est faite. « On ne se plaint pas, il a été décidé de faire pareil, de prendre des gens en otage » (Moussa, 45 ans, militant associatif, demandeur d’emploi). Les enfants de harkis sont « manipulés » par « des anciens de l’OAS, des pieds-noirs nostalgiques, qui avaient fourni des armes, poussaient les harkis en avant, tout en faisant comprendre aux autorités, en coulisses, que c’était avec eux qu’il fallait désormais discuter » .
Le lundi 11 août, un « groupe de rapatriés musulmans, armés de fusils de chasse » occupe les locaux administratifs du camp de Bias. Le commando accepte de quitter les lieux, suite à l’intervention à l’aube du préfet qui s’engage à recevoir les occupants « pour exposer au ministère de tutelle leurs revendications ». Lors des négociations sont présents cinq représentants de la communauté pied-noir et quatre représentants de la communauté harki, dont M’Hamed Laradji .
Par le plus grand des hasards, les négociateurs « harkis » obtiennent que « les Français musulmans pourront désormais faire inhumer les leurs dans des cimetières aménagés à leur intention. L’un des cimetières serait aménagé en région parisienne et quatre autres dans diverses régions de France ».
Samedi 16 août, Djelloul Belfadel, dirigeant de l’Amicale des Algériens, est enlevé près de son domicile dans le département de la Loire. Il est alors séquestré par quatre enfants de harkis au camp de Bias. Redonnons la parole à Moussa : « Au départ, ce sont des nostalgiques de l’Algérie française (l’OAS) qui sont venus apporter leur aide, surtout le matériel et leur soutien.
Ils étaient prêts à aller débarquer en Algérie. Vu les moyens qu’on avait, ils ont reporté leur visée sur l’œuvre laïque algérienne. Ils l’ont amené au camp de Bias. » Cette énième prise d’otages a pour revendication principale la libre circulation des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.
Un communiqué de la confédération musulmane, met en garde l’État français contre toute intervention musclée : « Si une tentative est faite pour reprendre l’otage par la force, il sera abattu . »
Le camp de Bias est en état de siège, quadrillé par des CRS et des gendarmes.
Une Armée , ( hallucinant )
- 500 Hommes armés -
- Half-Tracks ( véhicules US 4x4 ) en photos plus haut
- Un hélicoptère
- 70 Hommes de la Crs d'Agen
- 100 Hommes de la Crs de Montauban
- 100 Hommes de la Crs de Limoges
- 70 Hommes Escadron de Gendarmerie mobile de Bordeaux
- Escadron de Gendarmerie d’Ussel
- 80 Hommes de la Crs de Toulouse
- Groupe intervention de la Gendarmerie de Mont-de-Marsan
- et 12 Tireurs d'élite.
Le lundi 18 août à 17 heures 30, l’otage est libéré, après négociations entre le préfet du Lot-et-Garonne et des membres de la communauté harki dont M’Hamed Laradji . (Au camp de Bias), « il y a eu des CRS, des automitrailleuses, des hélicoptères. À l’époque, FR3 était naissante. Ça a son importance car, au moment de la reddition et de la libération de l’otage, FR3 filmait avec son zoom tous ceux qui sortaient, et n’étant pas au courant des moyens technologiques, on était tous sortis à visage découvert. À l’époque, monsieur Poniatovski avait décrété une peine de réclusion criminelle de 17 ans pour tous les participants. » Les ravisseurs, après la libération, s’évanouissent « dans la nature sans être inquiétés » , car Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, ne souhaite pas que la tension remonte, au sein de la communauté harki, lors d’une éventuelle arrestation des preneurs d’otages.
Cependant, peu après que Djelloul Belfadel ait été libéré, le ministre de l’Intérieur déclare que « les auteurs d’actions illégales et criminelles seront poursuivis judiciairement » . Les CRS et les gendarmes effectuent une perquisition dans l’enceinte du camp. Trois fusils de chasse et trois carabines sont retrouvés. Ainsi s’achève ce premier mouvement de révolte des enfants de harkis. Les jours suivants, les auteurs de la prise d’otage sont activement recherchés par le SRPJ de Toulouse.
La révolte de 1975, pour être comprise, doit être analysée à plusieurs niveaux. Pour cela, nous avons distingué deux temps. Lors de la première période (de mai à juillet), les prises d’otages et occupations de locaux sont une réponse à la domination que subissent les harkis et leurs enfants. Cette domination associe la violence symbolique et une violence plus concrète.
Violence symbolique quant à la place qui leur est faite dans les camps ; violence concrète en raison de l’utilisation de la violence physique légitime : la répression de toutes rébellions par la contenance physique des personnes ou l’administration d’une « camisole chimique ». Lors de la première révolte, les enfants de harkis se soulèvent contre l’ordre carcéral des camps.
Les revendications sont centrées sur l’intégration, tout en sachant, comme nous l’avons vu, que les enfants de harkis, dans les années 1970, se heurtent au racisme à l’extérieur des camps. Lors de la deuxième période de la révolte de 1975 (le mois d’août), les prises d’otages n’ont plus pour cible des représentants de l’État français, mais ceux de l’État algérien via ses ressortissants. Les enfants de harkis revendiquent ici la possibilité de pouvoir retourner en Algérie.
Cette question de la libre circulation intervient après la mise en application du regroupement familial à compter du premier juillet 1975. Puisque les Algériens travaillant en France peuvent circuler librement entre les deux pays avec leur famille, les enfants de harkis demandent donc qu’il en soit de même pour eux, qu’ils puissent retourner en Algérie. Ce d’autant plus qu’en 1975, des femmes de harkis qui sont restées en Algérie n’ont toujours pas l’autorisation du gouvernement algérien de rejoindre leurs maris en France.
Par ailleurs, les ex-supplétifs ne peuvent envoyer des devises françaises en Algérie à leurs enfants et épouses n’ayant pu ou n’ayant pas voulu être rapatriés. Aussi, ces deux périodes de révolte des enfants de harkis en 1975 laissent apparaître deux thématiques omniprésentes : le bannissement de la société algérienne et le rejet de la société française. Ils demeurent donc des traîtres pour l’une et des citoyens de seconde zone pour l’autre.
Pour tout cela, la révolte qui couvait va trouver en M’Hamed Laradji son meneur. Celui-ci apparaît tout à la fois comme le pyromane et le pompier. Jouissant d’une légitimité aux yeux de l’État français, son association est jugée représentative et il apparaît tout à la fois comme le commanditaire des différentes actions et celui avec qui Michel Poniatowski négocie.
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