Il y a 60 ans finissait la guerre d’Algérie. Il y a 50 ans, naissait Bernard Goutta qui vivra ses premières années au sein du camp de harkis de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) où ont été « parqués » ses parents. Un héritage familial que le manager du SUA porte en lui et qui l’a construit en tant qu’homme
C’est dans la « salle des leaders » du tout nouvel Armandie que Bernard Goutta a choisi de s’asseoir pour se confier sur sa vie d’enfant de harki. Carnet à la main, celui qui est arrivé aux manettes de l’équipe du SU Agen au 1er janvier dernier propose d’abord de faire un tour du propriétaire de l’antre du staff bleu et blanc. Mais du terrain, il n’en sera que très peu question. Bernard Goutta a des choses à dire sur une histoire familiale marquée par l’exil d’Algérie, pays de ses parents, quand en 1962, comme des milliers de supplétifs de l’armée française, ils ont dû fuir pour échapper au massacre qui y couvait.
Est-ce que cela vous a étonné qu’on vous demande de parler de votre histoire d’enfant de harki ?
Non, car ce qui m’intéresse, c’est qu’on s’intéresse à mon histoire. Il n’y a pas que le manager, le rugbyman, il y a l’homme. Il y a un lien, je me suis construit à travers cette histoire, pas dans la sinistrose ou l’anarchie. Je trouve ça important de parler de mon héritage, de mon histoire et de ma culture. C’est une histoire peu connue, ou du moins dont on ne parle pas beaucoup parce que ce n’est pas une belle image de la France.
Est-ce un passé dont vous parlez avec vos joueurs, dont vous vous servez dans votre métier de manager ?
Je ne mélange pas mon histoire avec celle du club. Après, bien sûr, si des joueurs viennent me voir, on en parle en aparté. Ça m’est arrivé, notamment à la sortie du livre « Le Cri» (1).
Que vous évoque, 60 ans après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, l’histoire des harkis en France ?
Je pense que ce sont les enfants qui ont plus souffert pour leurs parents, qui sont pourtant arrivés dans des camps de concentration et encore, au début, c’était dans des tentes. Alors, soit j’utilisais l’histoire de mes parents pour construire quelque chose de fort, soit je tombais dans la dépression, le mal-être, le manque de repères qui ont touché deux générations sacrifiées de harkis et enfants de harkis.
Comment et pourquoi vos parents sont-ils arrivés en France ?
D’abord, il faut parler de mon père. Il a fait deux guerres, Indochine et l’Algérie. Il s’est engagé dans l’armée française pour faire l’Indochine et après, il a dû combattre son pays. Mes parents sont arrivés en 1962, grâce à des commandants qui avaient sous leurs ordres des harkis et qui ont refusé les ordres de l’État de les laisser en Algérie se faire massacrer.
Dans quelle arme était votre père ?
Je ne sais pas dans quelle arme il était. Parce qu’il n’en a jamais parlé. Il a été emprisonné deux ans en Indochine, et ensuite il s’est retrouvé à faire la guerre d’Algérie. Mon père faisait beaucoup de cauchemars, on l’entendait la nuit, mais il ne parlait jamais de ses guerres.
Ils sont arrivés avec leurs enfants ?
On est une famille nombreuse de neuf enfants, je suis le dernier né. Mon frère et ma sœur aînés sont nés en Algérie, et le reste de ma famille en France, dont trois à l’hôpital militaire du camp Joffre. Moi, je suis né à l’hôpital de Perpignan le 28 septembre 1972, où beaucoup d’enfants y sont décédés.
“J’étais jeune, je ne voyais pas toutes les galères, la souffrance de mes parents »
Quelle était la vie dans les camps de harkis, notamment celui de Rivelsaltes (Pyrénées-Orientales) où vous avez vécu ?
Au début, c’était un camp d’infortune, fait de tentes. L’hiver, il faisait froid. Ce n’est qu’après qu’il y a eu les baraquements militaires. C’était un camp où étaient passés les Tziganes, les juifs et les Espagnols qui fuyaient Franco. La vie dans ces camps n’était pas facile. Il y avait un couvre-feu, on était entouré de barbelés, il y faisait froid, tu avais faim. Et surtout, tu n’étais pas en contact avec les habitants des villages autour, tu étais vraiment parqué.
Quels souvenirs avez-vous de votre enfance ?
J’étais insouciant. Je n’avais pas conscience de là où j’étais, j’y suis resté pendant quatre ans dans ce camp. Bien sûr, j’ai des flashs. Mais, c’est dingue, parce que mes flashs, c’est les toilettes communes dehors, les toilettes militaires à la turque, et cette terre rouge, un peu aride. J’ai souvenir que j’étais malade, je faisais de l’asthme, je me souviens qu’un docteur venait au camp me faire des piqûres aux fesses. C’était des conditions précaires, aussi bien au niveau de l’hygiène que de l’alimentation.
Avez-vous eu conscience de ne pas avoir eu une enfance comme les autres ?
J’étais petit. Quand j’en discute avec mon grand frère notamment, il me dit que c’était très dur. Une fois, pour tourner des images avec « France 3 », je suis retourné au camp avec un harki, qui a eu la Légion d’honneur, et qui disait que le plus dur, ce n’était pas la guerre, c’était l’accueil qu’ils ont eu en France. Ça, ça a été dur.
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Était-ce possible de s’intégrer malgré l’étiquette d’« enfant de harki » ?
À la sortie du camp, on va habiter à la cité du Réart. On nous a encore parqués, à 3 kilomètres du village de Rivesaltes. Ce que j’aimais bien, c’était les champs autour qui étaient autant d’espaces de jeu. Mais j’étais jeune, je ne voyais pas toutes les galères, la souffrance de mes parents. Il n’y avait qu’un seul salaire, celui de mon père qui travaillait à l’Office national des forêts, les fins de mois étaient difficiles… Ça a été dur.
En avez-vous voulu à vos parents de choisir la France ?
Non, jamais. Il a fait un choix, celui de l’armée française, de la France. Je ne lui en veux pas. Mais, il y a plusieurs enfants, avec qui j’échangeais, ils regrettaient le choix des parents. Moi, non. Je savais que c’était pour le bien de leurs enfants. Ils se sont tus pour notre bien. Mais comme j’ai dit, je suis bien en France, je me suis bien intégré.
Vous avez voulu suivre les pas de votre père en vous engageant dans l’armée ?
Je me suis engagé dans l’armée à 17 ans à l’école militaire d’Issoire. Ça m’a plu, énormément. J’étais dans un milieu d’appartenance, avec un cadre, une discipline, avec un double projet militaire et scolaire. C’est là où j’ai vraiment appris, bossé au niveau scolaire et j’en suis sorti avec un BEP-CAP de technicien auto. Entre-temps, il y a eu le décès de papa d’un cancer du pancréas, j’avais 17-18 ans, lui venait juste d’être à la retraite. À la fin de mon engagement, je devais choisir une arme, mais ma mère ne voulait pas. Et comme la parole de ma mère compte, je ne me suis pas rengagé, je suis retourné à Rivesaltes auprès d’elle.
Vous en voulez à la France de l’accueil qu’elle a réservé à ses soldats ?
Je pense que les présidents de la République ne pourront jamais réparer l’Histoire. Je trouve qu’ils s’y prennent mal. Ils veulent donner un dédommagement dérisoire et après on n’en parle plus ? Ce n’est pas ce que je veux. Moi, j’ai une bonne situation, mais il y en a tellement qui sont dans la misère. Ce que je veux, c’est qu’on reconnaisse notre histoire, qu’on mette l’histoire des harkis dans les programmes scolaires, qu’on essaie d’accompagner cette deuxième génération, qu’on essaie de redonner un peu de respect et de dignité à nos parents, même s’ils ne sont plus là.
Bernard Goutta et son frère sont revenus au camp de Rivesaltes en compagnie d’un harki, ancien combattant. Archives personnelles
L’une des premières fois où vous évoquez publiquement votre passé c’est quand, en 2013, vous répondez à Georges Frêche, ancien maire de Montpellier, qui traite les harkis de « sous-hommes »…
C’était une erreur, tu ne dois pas mélanger le sport et la politique. Là, on ne me demandait pas mon histoire. Je ne sais pas pourquoi je l’ai sorti à ce moment-là, je n’ai pas compris non plus pourquoi Georges Frêche a dit ça, parce qu’il a eu quand même une bonne politique sociale. C’était remettre de l’huile sur le feu, trente ans après on te dit ce que tu es, comment on t’a traité. Peut-être que ça m’a touché là…
Vous sentez-vous un rôle de porte-parole de la cause ?
Faire connaître l’Histoire, ça m’intéresse, mais pas être le porte-parole d’une cause. C’est trop tard. Mais que ce soit connu dans les programmes scolaires, dans l’Histoire, comme toutes les guerres. J’ai été approché par des associations, mais pour le moment je suis dans une fonction qui ne permet pas d’être porte-parole d’une cause. Mais raconter mon histoire, celle de mes parents, je peux, c’est important. Tant que tous les présidents d’association ne seront pas tous d’accord, ce sera très difficile de revendiquer nos besoins, nos envies, nos réparations. Ce que je déplore, c’est la façon dont le gouvernement français s’est comporté à l’époque. Et encore pire avec le génocide qu’il y a eu. Mais on n’en parle pas car ça s’est passé sous l’ère d’un personnage important de l’Histoire, le général de Gaulle.
Votre famille est originaire de Boghari, êtes-vous allé en Algérie ?
Non, jamais. Peut-être plus tard, mais pour le moment, ça ne me donne pas envie. Ce n’est pas tellement le pays, bien sûr que j’ai envie de voir où mes parents ont grandi. Mais après, il y a la politique, on n’est pas tellement les bienvenus. Les cicatrices ne sont pas refermées. Et puis, la politique du pays ne me plaît pas du tout.
Comment parlez-vous de votre héritage à vos enfants ?
Je transmets. J’ai deux enfants encore en bas âge, mais ma plus grande connaît cette histoire, la mienne, celle de ses grands-parents. Mon regret, c’est qu’elle ne les a pas connus, mais je lui en parle. C’est important, l’héritage, la transmission. Elle peut comprendre comment je me suis construit, peut-être qu’elle peut en tirer une force, ça l’encourage à être forte, parce que la vie n’est pas facile.
La photo de famille avec, de gauche à droite : Rama, Michel, Jacques, Jeanette (en haut) ; Kouider et Saada (les parents), Kader ; Chremed, Dalila, Marie et Bernard. Archives personnelles
Histoire intime
Au nom du frère. « Dans chaque famille de harki, on tait un suicidé. Chez les Goutta aussi. Tout est recouvert d’une chape de plomb. Pleins de choses ont été étouffées. » Au moment de la parution de son livre biographique « Le Cri », le journaliste Vincent Couture décrivait ainsi, tout en pudeur, le drame qui a touché la famille du Catalan. Les épreuves traversées par Bernard Goutta ne font pas qu’écho à la grande histoire, il y en a de plus intimes sur lesquelles le Catalan se confie, un peu. Si son père est le héros d’un fils qui voulait lui ressembler, la fratie Goutta, dont il est le dernier né, a connu le deuil. Comme l’histoire d’un de ses grands frères, Chremed, qui a mis fin à ses jours.
« Ceux qui ont le plus souffert de cette guerre, ce sont les harkis et leurs enfants. Il y en a qui sont tombés dans la dépression, l’alcoolisme, dans la drogue… Comme toute communauté qui a perdu ses repères, on le voit un peu partout comme chez les Indiens d’Amérique. Il y a eu beaucoup de suicides chez la deuxième génération, j’ai un frère, aussi, qui a mis fin à sa vie. C’est comme ça… » C’est ainsi que l’homme, comme le rugbyman, s’est construit. « Être toujours combattant, ne pas se plaindre, ne rien lâcher, je suis dans la vie comme j’étais sur le terrain. »
(1) De Vincent Couture, paru en 2014 aux Éditions Talaia
Un magnifique récit de son histoire et un peu la mienne . Je suis un fils d'harki, j'ai connu la vie des camps et vécu les conditions inhumaines de ce passé.
ton histoire a ete vecu par tous les enfants d harkis pas d ecole les toilettes dehors avec la neige les francais ne nous parlaient jamais on jouais entre gosse l armee nous encerclait la souffrance elle est en nous a 8 ans je comprenais mes parents decede helas trimbaler de camp en camp fallait apprendre la langue francaise mais personne nous aidee nous survivons avec notre histoire fille d harki qui vous remercie pour votre recit