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« Réfugiés et détenus de la guerre d’Algérie »: le regard de Fatima Besnaci-Lancou

Fatima Besnaci-Lancou est une historienne spécialiste de l’Algerie. Elle a publié plusieurs recherches sur la mémoire de cette guerre. Son dernier ouvrage : Réfugiés et détenus de la guerre d’Algérie, traite de différents types de camps en se basant sur les archives de la Croix-Rouge internationale et des interviews qu’elle a mené elle-même. Il y est question de différents types de camps de détentions pour les Algériens. Le festival « Maghreb si loin… si proche », qui se déroule dans les Pyrénées jusqu'au 29 janvier, l'a invitée à débattre du sujet. Au micro de RFI, elle est surtout questionnée sur les camps de regroupement des civils.

RFI : Dans votre ouvrage, vous racontez qu’entre 1955 et 1962, l’armée française avait déplacé des dizaines de milliers de paysans algériens, dans 2 000 camps, souvent dans la précipitation et l’improvisation. C’était dans quel but ?

Fatima Besnaci-Lancou : C’était principalement pour les contrôler puisque, dès le début de la guerre, la population paysanne était un enjeu pour les deux parties. Et les militaires français, pour les couper de l’influence des indépendantistes, les ont déplacés. Parce qu’il y a une idée reçue : les gens ont l’impression que dans les camps de regroupement, on avait mis plutôt des familles indépendantistes, en fait non : on a mis des paysans, et parmi ces paysans il y avait effectivement des familles d’indépendantistes, il y avait des familles de harkis, il y avait des familles neutres aussi parce qu’on ne parle pas de toutes les familles neutres qui ne se sont engagées ni d’un côté ni de l’autre. Alors c’était aussi pour que les hommes n’aillent pas rejoindre le maquis des indépendantistes, c’était aussi pour les empêcher d’aider matériellement ces hommes qui se battaient pour l’indépendance. Et puis, pour créer ce qu’on a appelé des zones interdites, c’est-à-dire que les militaires se donnaient le droit, une fois une zone évacuée, de tirer sur toute personne qui bougeait.

Vous expliquez dans cet ouvrage, en vous basant sur des témoignages et des photographies, que dans ces camps de regroupement, la situation sanitaire était très difficile pour les familles, et surtout pour les enfants…

Effectivement, il y a des camps où les gens ont terriblement souffert. Il faisait froid, il y avait la famine, etc., et puis d’autres où ils ont eu un peu plus de chance disons. Ça a commencé dans les Aurès ; les tout premiers camps, c’était en 55 ; les militaires les ont aidés, en tout cas matériellement, en leur donnant de quoi se nourrir, de quoi se chauffer, un abri... mais petit à petit, la situation leur a complètement échappé. Quand ils ont commencé à être des centaines de milliers sur les routes, voire un million et plus, à un moment [les militaires] ne pouvaient plus les prendre en charge, ce qui fait que dans certaines régions, les gens sont morts de faim. Dans certaines régions, les paysans ont pu prendre des poules et quelques chèvres par exemple avec eux et ça fait toute la différence.

Vous racontez également que ceux qui sont restés sur leur terrain n’ont pas pu résister et ont fini eux aussi par partir…

Au départ, quand les gens sont partis dans la précipitation, certains n’ont même pas pu prendre ce qu’ils avaient comme nourriture, donc ceux qui sont restés ont pu profiter un petit peu de ce qui était resté. Mais comme ce sont des gens qui n’ont pas beaucoup de moyens, rapidement ces réserves se sont effectivement épuisées, donc ils sont partis aussi.

En plus de ces déplacés qui ont été regroupés par l’armée française, il y a eu des paysans qui sont partis d’eux-mêmes, en raison des conditions difficiles créées par la guerre. Et ils étaient regroupés dans des camps au Maroc et en Tunisie, à la frontière avec l’Algérie…

Effectivement... il y en a eu beaucoup... ça se chiffre en milliers de personnes. D’ailleurs, le gouvernement français n’était pas très fier de voir ces ressortissants de l’Algérie, qui était encore française, fuir la situation. Donc eux donnaient des fourchettes entre 80 000 et 100 000 personnes alors que le FLN [le Front de libération nationale, NDLR], lui, il donnait des chiffres beaucoup plus hauts, situés entre 200 000 et 500 000 personnes, qui ont fui l’Algérie, ont fui la violence inhérente à la guerre. Ces populations qui arrivaient au Maroc ou en Tunisie, c’était des gens qui fuyaient l’armée française, alors que pour le gouvernement français, ces fuites étaient encouragées par le FLN pour pointer du doigt le gouvernement français, pour internationaliser la cause.

En Tunisie, par exemple, dans un premier temps, Bourguiba, qui était au pouvoir, voyait d’un mauvais œil arriver (ces réfugiés), parce que la Tunisie était fraîchement indépendante, pas très très riche non plus. (Les Tunisiens) ont vu ces réfugiés comme un fardeau supplémentaire dans un pays qui se relevait aussi. Et puis les Marocains non plus n’étaient pas très riches, ils étaient aussi fraichement indépendants. Mais il y a eu une solidarité de la population… Sur le plan sanitaire, les réfugiés au Maroc et en Tunisie, c'était une situation dramatique.

Votre travail, et cet ouvrage en particulier, participent-ils, selon vous, à l’effort de réconciliation des mémoires ?

Oui, j’espère que vous l’avez vu comme ça. Ce que je voulais montrer, c’est que tous ces systèmes de camp en Algérie ou au Maroc et en Tunisie, ont aussi bien concerné les familles d’indépendantistes que les familles de harkis, donc si vous voulez, l’histoire des camps n’a pas concerné que les indépendantistes.

22/01/2023

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Dates des rassemblements, pour la Reconnaissance, la mémoire, et la culture.
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