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«Je rêve d’un bateau qui larguerait les amarres du port de Marseille vers Alger»

( Temps ensoleillé avec fortes rafales de vent), c’est le titre du premier roman de Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde. Elle y évoque à la première personne la vie d’un pied-noir (inspiré de son père) à Philippeville (Skikda). Le jeune couple qu’il forme avec «la femme de sa vie» traverse toute l’histoire de l’Algérie. Du début de la guerre en 1954 jusqu’à l’indépendance en 1962. Alors que de nombreux Français d’Algérie prenaient le chemin du retour le cœur outragé, les parents de l’auteure ont choisi de rester et de vivre les premières années d’indépendance. En 1964, ils décident de s’installer sur la Côte d’Azur. Et si une nouvelle vie commence pour eux, cela ne veut pas dire qu’ils ont oublié le pays de leur jeunesse. Bien au contraire.

Entretien….  Source : Yacine Farah

-Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à raconter l’histoire algérienne de vos parents 48 ans après leur retour d’Algérie ?

Mon père souffrait d’une maladie neurologique qui lui a fait perdre progressivement la voix. Je le voyais aller inexorablement vers la mort. Un jour dans la maison médicalisée où il était placé, j’ai répondu à sa place à l’infirmière qui le sermonnait, car il était tombé de sa chaise roulante. Je me suis mise à dire à l’infirmière : «Ce n’est pas parce que je suis malade que je suis un imbécile. J’ai été prof de gym. J’ai juste surestimé mes forces en essayant de soulever les roues de la chaise.» A cet instant, mon père a souri. Dans la foulée, je me suis mise à écrire en disant «je» à sa place. Je savais qu’il allait partir. Je voulais alors qu’il parte serein, avec le sentiment d’une vie achevée, et lui dire qu’il avait été un vrai être humain.

-Comment s’est déroulée l’écriture du roman, d’autant plus que les faits et les histoires remontent à plusieurs années auparavant ?

En fait, au fur et à mesure que j’écrivais le livre, j’envoyais des pages à ma mère qui les lisait à mon père. Elle lui a tout lu, sauf le dernier chapitre trop douloureux, dans lequel je parlais de Zohra, cette aide-soignante kabyle qui s’est occupée, comme personne, de mon père, au point de lui baiser les mains par respect et par tradition et comme s’il s’agissait de son propre père. Toutefois, même s’il n’a pas lu le dernier chapitre, Zohra, il l’a connue dans la réalité. Mon père, en écoutant la lecture du livre, souriait. Ça lui a fait beaucoup de bien. Une fois, il m’a appelée pour me dire d’une voix presque inaudible : «Les soldats américains ne jouaient pas au poker dans le café de mes grands-parents à Constantine, mais aux dés.» Il m’a dit aussi que c’était mon livre. J’ai écrit «je» à la place du narrateur qui n’est pas moi, j’ai inventé certains faits et certains personnages. Au début, je ne savais pas comment appeler ce que j’avais fait, mais mon éditeur m’a dit que cela s’appelait justement un roman. Je n’avais pas prévu de le publier, mais une amie l’a envoyé à l’éditeur.

-Pourquoi ne vouliez-vous pas le publier au début ?

Au départ, je l’ai écrit uniquement pour mon père. Il était très malheureux. Je voulais qu’il ressente une sorte de fierté et de sérénité, car c’était pour lui que j’écrivais. Ce livre va au-delà de l’Algérie, car Temps ensoleillé avec fortes rafales de vent est finalement la météo d’une vie humaine. Il y a aussi un clin d’œil au climat méditerranéen, où l’essentiel de l’histoire se passe, d’une rive à l’autre. Je pense aussi que ce n’est pas uniquement une histoire de pieds-noirs et d’Algérie, ou un roman d’exil. Mes parents étaient jeunes et heureux lorsqu’ils vivaient en Algérie. D’ailleurs, ils ont quitté ce pays de leur propre gré. Peut-être se sont-ils rendus compte qu’ils ne pouvaient pas s’enraciner et qu’une autre vie les attendait ailleurs ? En fait, ils ont juste tourné une page et ouvert une autre sans rancune ni regret.

-Comment votre mère regarde-t-elle aujourd’hui l’Algérie ?

Elle aimerait y retourner. Elle a envie de sentir les odeurs de son enfance et l’affection des Algériens. Elle voudrait revoir Alger, Skikda et Palestro (Lakhdaria). Je ne connais pas de gens qui ne veulent pas retourner sur les lieux de leur enfance et de leur jeunesse. Ce qui me fascine, c’est qu’au-delà des ruptures et des déchirures, les ligaments qui lient l’Algérie et la France sont peut-être distendus, mais jamais coupés. En même temps, ma mère est aussi une résiliente. Elle devrait sûrement éprouver un peu de douleur, car il est clair qu’en quittant l’Algérie en 1964, mes parents ont un peu quitté leur jeunesse et leur insouciance. Aussi, les douloureux événements que l’Algérie a traversés ont fait qu’il était difficile d’y retourner. En revanche, moi j’y suis retournée. J’ai eu un accueil de folie. J’ai reçu de nombreux cadeaux et même un douanier, voyant que j’avais juste passé un jour à Alger, s’est exclamé : «Vous repartez déjà, une fille du pays comme vous!» Là, j’ai failli éclater en sanglots.

-Les relations entre la France et l’Algérie ne sont toujours pas au beau fixe 50 ans après l’indépendance de l’Algérie. Que faire pour les améliorer ?

On doit jeter des ponts et des passerelles pour nous rassembler. Ça suffit la stigmatisation. Il faut raffermir les liens entre les deux rives. Mes parents n’étaient pas politisés, ils aimaient beaucoup l’Algérie. Ils étaient contre les violences venant des deux camps. 50 ans après, il y a encore des gens en France et en Algérie qui ont vécu la même histoire. Je me dis que le temps des retrouvailles entre les deux pays est venu, d’autant que la génération d’avant a vieilli et va bientôt partir. Je rêve d’un bateau qui larguerait les amarres du port de Marseille en direction d’Alger la Blanche. A son bord, des jeunes «Beurs», des artistes algériens et français, des pieds-noirs, des intellectuels, tous prêts à traverser la mer pour faire une superbe fête de l’autre côté, le temps d’un week-end puis revenir.

Il y a des moments où l’on a envie de poser les valises du réalisme et de quitter la fatalité et les enjeux étatiques, pour laisser la place aux émotions et aux sentiments. Moi j’ai trouvé ce nouvel espace dans le roman que j’ai écrit. J’ai laissé tomber la rationalité politique, les rapports de force pour raconter une histoire humaine. De toute façon, les retrouvailles entre l’Algérie et la France se font déjà entre des personnes et n’ont pas nécessairement besoin de caractère solennel. Le cinquantenaire de l’indépendance n’est pas fini. Il y aura encore des choses qui vont se passer cette année entre ces deux pays, liés par l’histoire et les sentiments. 

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