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Fatima Besnaci-Lancou, la mémoire de la fille de harki, le regard de l'historienne à Bourges (18)

Fatima Besnaci-Lancou préside le Conseil scientifique du Centre mémorial harkis du camp de Saint-Maurice l’Ardoise et siège au Conseil scientifique du Mémorial du camp de Rivesaltes. Photo Besnaci-Lancou

Harkis, les histoires et la mémoire

 Historienne spécialiste de la guerre d’Algérie et co-fondatrice de l’association Harkis et droits de l’Homme, Fatima Besnaci-Lancou donne ce lundi une conférence à Bourges, à l’invitation de l’association Filles et fils de harkis, héritages des deux rives.

 Elle a écrit sa jeunesse de fille de harki. La douleur de l’arrachement en 1962, l’arrivée dans le camp de réfugiés de Rivesaltes. Elle a donné avec pudeur la parole aux « mères », les femmes de ces supplétifs engagés au côté de l’armée pendant la guerre d’Algérie, découvrant une terre inconnue après avoir fui un conflit qui leur était souvent étranger. Avec Ils ont dit non à l’abandon des harkis, Désobéir pour sauver (éd. Loubatières), l’historienne Fatima Besnaci-Lancou et sa co-auteure Houria Delourme-Bentayeb explorent un nouvel angle de cette histoire : le rôle des civils et militaires pour sauver des familles de harkis menacées de mort à la fin de la guerre d’Algérie.

Pour la berruyère Fatma Hamel, présidente de l’association « Filles et fils de harkis, héritages des deux rives », qui entend faire vivre cette mémoire à travers événements culturels et artistiques, ce livre était nécessaire. Nécessaire pour dire les gestes de solidarité dans la tragédie, nécessaire pour construire des ponts entre les mémoires plurielles de la Guerre d’Algérie. Ce lundi aux Archives départementales, à l’occasion de la Journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, c’est le travail de l’historienne que l’association veut mettre en lumière. En amont de sa venue, Fatima Besnaci-Lancou nous a accordé un entretien.

Depuis plus de vingt ans, vous avez publié votre témoignage, fait parler d’autres voix, et fait un travail d’historienne sur la Guerre d’Algérie. Avez-vous identifié ce qui vous a porté vers ce chemin ?

 Ce sont des paroles, et l’absence de réaction forte qu’elles ont suscitée. En juin 2000, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, pour dire son refus du retour en Algérie des anciens harkis, a eu des mots à l’égard des harkis et de leurs enfants, que je me refuse à partager aujourd’hui tant ils me répugnent. J’attendais une réaction forte du côté français, peut-être un incident diplomatique. Il a fallu attendre le 14 juillet pour qu’un journaliste aille chercher l’indignation de Jacques Chirac. Je n’ai pas décidé d’écrire de suite, mais les choses ont commencé à cheminer. J’ai d’abord écrit pour mes enfants sur ce que j’avais vécu, sur l’histoire de ma famille. Ce texte a été repéré et soutenu, notamment par l’historien Mohammed Harbi, qui a écrit dans les colonnes du quotidien Le Monde, et par Germaine Tillion, dans La Croix. Ces deux articles forts ont donné une visibilité au livre, et des familles de harkis ont commencé à me contacter. Elles aussi voulaient raconter, témoigner. J’ai recueilli leurs paroles. Quelque chose se passait. En 2004 a eu la première marche de femmes et de filles de harkis à Paris. La suite du chemin a été la création de l’association Harkis et Droits de l’Homme, puis la reprise des études d’histoire, et une thèse sur la guerre d’Algérie.

 Vous évoquiez la marche des femmes et filles de harkis. Étaient-elles absentes de l’histoire telle qu’elle était racontée ? 

 Tout à fait. La guerre telle qu’elle était racontée, enseignée, était une histoire d’hommes. Or, les paroles des femmes, leurs mots simples, sincères, m’ont ouvert à la complexité. Les détails de la vie quotidienne, ce que la vie dans les camps inflige aux corps, permettent de mesurer la violence. Il y a les violences étatiques, c’est-à-dire l’abandon, et il y a celles du quotidien, des maladies, du froid.

Dans votre avant-dernier ouvrage, Ils ont dit non à l’abandon des Harkis, vous mettez dans la lumière celles et ceux qui ont sauvé les familles de harkis. Là aussi, il s’agissait d’un angle mort de l’histoire ? 

Il y avait beaucoup d’idées reçues. Notamment celle selon laquelle ceux qui avaient sauvé des harkis étaient des partisans de l’Algérie française. Mon intuition n’était pas celle-là. J’ai entrepris un travail avec Hounia Delourme-Bentayeb. L’intuition a été validée : les sauveteurs venaient d’horizons différents, avaient des religions, des idéologies, différentes. Dans la postface du livre, un spécialiste de l’enseignement de la guerre d’Algérie, Benoît Falaize, dit des choses fortes sur cette diversité, expliquant que dans les crises, il y a toujours des femmes et des hommes qui, au péril parfois de leur vie, font preuve d’humanité.

Comme Jacques Chirac et François Hollande, Emmanuel Macron a reconnu en 2021 un abandon de la République française ». Il est allé plus loin en demandant pardon. Comment regardez-vous cette déclaration, suivant d’une loi et de la mise en place d’une commission ?

Les choses se sont accélérées, sous l’effet des travaux, colloques, témoignages, manifestations. Emmanuel Macron a utilisé un mot fort : « pardon ». Mais si ce pardon a été bien accueilli, la loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie n’a pas fait l’unanimité. Le pardon, c’est la part symbolique. Il y a le volet de la réparation financière. Nous le savons bien : la perte d’un pays, le massacre d’un proche, la vie dans les camps, tout cela est irréparable. Ce qui pose problème, c’est le fait que seules les familles passées par les camps peuvent obtenir réparation, ce qui exclut celles qui sont passées par des lieux de vie. La réparation financière aurait dû être accordée à tous les harkis arrivés en France sur la base de ce qu’ils ont perdu, et non sur les lieux dans lesquels ils ont vécu.

04/12/2022

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Dates des rassemblements, pour la Reconnaissance, la mémoire, et la culture.
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