L'Info-Lettre de janvier 2024 de la MHeMO d' Ongles (04)
18 Janvier 2024
Rédigé par MHeMO -HD et publié depuis
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La Maison d'Histoire et de Mémoire d'Ongles souhaite
à tous ses amis une excellente année 2024 !
Après avoir, dans notre première Info-Lettre, sortie en octobre 2023, présenté ce que fut la dernière de nos Journées d'étude annuelles, nous consacrons ce deuxième numéro à la présentation de notre action pédagogique.
A travers le cas particulier de l’exil d’une partie des supplétifs de l’armée française en Algérie, la Maison d’Histoire et de Mémoire d’Ongles garde la mémoire de ce pan douloureux de l’Histoire nationale que fut la décolonisation. Cethème figure au programme des enseignements d’Histoire en classes de Troisième et de Terminale.
A ce titre, la MHeMO souhaite offrir un support concret aux enseignants, leur permettant de nourrir le travail de leurs élèves. Dans cette nouvelle Info-Lettre, nous vous parlerons des actions pédagogiques que nous menons : dans une première partie nous évoquerons Une journée à la MHeMO, programmeque nous proposons depuis plusieurs années ; dans une seconde partie, nous détaillerons la nouvelle action Notre École Faisons là Ensemble, qui verra le jour en 2024.
Si vous souhaitez soutenir ces projets, vous trouverez ici le bulletin d’adhésion 2024 à notre association :
L’équipe de la MHeMO, conseillée par un groupe de professeurs des collèges de Banon et Forcalquier, a élaboré dès 2015 une proposition pédagogique complète intitulée Une journée à la MHeMO, s’inscrivant dans le programme d’Histoire des classes de Troisième et de Terminale.
Cette journée consiste, pour les élèves et leurs professeurs, en la visite commentée, durant la matinée, des trois sites que sont :
l’exposition permanente de la MHeMO Ils arrivent demain...,
l’exposition mobile de l’Office National des Anciens Combattants Parcours de Harkis et de leurs familles,
enfin le site de l’ancien « Hameau de forestage » où vécurent les familles de supplétifs rapatriées d’Algérie.
Elle inclut ensuite, en début d'après-midi, une table-ronde animée par des témoins de ces évènements, qui rend cette démarche d'autant plus précieuse : un fils de harki, un « pied-noir », un ancien « appelé », un ancien militant pour l’indépendance.
Côte-à-côte, sans amertume, mus par la volonté de partager leur vécu, ils expriment un message de tolérance et de paix.
Voici un extrait de ces témoignages lors de la première journée pédagogique de l'année scolaire 2023-2024, le 7 décembre 2023, àOngles. Nous recevions ce jour-là deux classe de Terminale d'un lycée de Salon de Provence.
Notre Dame de Santa Cruz
veille toujours sur Oran
Marie-Thérèse D.
« 11 février 1962. Ma vie va basculer… J’avais l’habitude d’aller à la messe comme tous les dimanches ».
En sortant de l’église, Marie-Thérèse et son amie Monique se dirigent vers le quartier où elles ont l’habitude, à cette heure, de s’offrir une gourmandise.
Dans l’épicerie, elles sont contraintes de se jeter au sol car des rafales d’armes à feu s’entendent, tout proche. Se relevant après la fuite de son amie, Marie-Thérèse découvre alors, allongé sur le trottoir devant la boutique, une silhouette familière, sans vie : celle de son père…
Dans la ville d’Oran, alors que lesAccords d’Evianviennent d’être signés, les attentats se multiplient, les évènements se bousculent et s’amplifient. Il faut fuir : « Partir où ? Allez où ? Notre pays c’était l’Algérie ! ».
Marie-Thérèseraconte d'abord son arrivée à Marignane avec son frère de 10 ans et leur mère, après avoir fui la terre natale en urgence : c’était« la valise ou le cercueil ! »
Elle raconte ensuite, le ballottage de centres en foyers pour les sans-abris, mais surtout, l’ambiance dans les dortoirs sommaires, sans âme et sans intimité, puis, ajoute émue : « Le plus terrible, c’était la nuit, entendre pleurer, crier, hurler… ».
Michel J.
En 1958, il manifeste contre le Général de Gaulle, qui " s’est emparé de la démocratie Française ".
Au début de ses 28 mois de service militaire, il est envoyé dans les troupes d’occupation en Allemagne. Son premier combat : obtenir la création d’une bibliothèque à l’intention des soldats. Il obtient des grands éditeurs l’envoi de littérature.
Il est ensuite envoyé en Algérie. Sa mission sera de sécuriser le barrage électrifié et miné mis en place le long de la frontière avec la Tunisie, la « Ligne Morice », que les hommes de l’Armée de Libération nationale (ALN) s’efforcent de couper.
Il rappelle que 11 millions de mines anti-personnel avaient été disséminées en Algérie par l’armée Française, essentiellement autour des barrages frontaliers Est et Ouest. Il comprend que l’armée a sciemment exposé certains de ses soldats « subversifs » à des postes à haut risque. « Qu’est-ce que l’armée dans ces conditions-là ? »
Plus tard, Michelse retrouve secrétaire d'un capitaine médecin. Cette mission semble prendre enfin sens : il est envoyé dans des régions isolées, vers ceux qui n’ont jamais été soignés, ceux qui n’ont jamais vu l’ombre d’un toubib.
Michel termine son témoignage en racontant qu’un jour, un vieux paysan, un «chibani », voyant arriver un petit détachement militaire, a cueilli une de ses roses pour la lui offrir. Michel conclut alors : « Eh bien, aujourd’hui, cette rose, je l’offre au peuple algérien !»
Notre Dame de Santa Cruz veille toujours sur Oran
Saïd M.
Saïd est né en 1955 à l’est d’Alger, dans un petit village de Kabylie qui s’appelle Cheurfa. Ce village à une particularité, il est doté d’une Zaouïa (école coranique) et d’une kouba, dédiée à l’ancêtre commun, Sidi Boubeker, qui est vénéré à des dizaines de kilomètres à la ronde.
En 1956, ce petit village de familles maraboutiques, de par son rayonnement, suscite l’intérêt des militaires français. Sa mère lui raconte que, régulièrement, des militaires français d’origine marocaine s’installent sur les hauteurs et aux entrées du village pour surveiller les allées et venues de ses habitants, manière d’instiller un climat où règne la peur pour que les villageois ne rejoignent pas l’ALN / FLN.
D’un autre côté, un émissaire l’ALN demande à la famille qui gère le lieu de culte de verser, dans un premier temps, un million d’anciens francs pour participer à l’effort de guerre, puis, deux millions, tout en exigeant qu'un membre de la famille rejoigne les rangs de l’ALN.
La famille sait qu'en prenant cette décision elle s'expose à de lourdes représailles. Elle demande alors protection à l’armée Française, pour qui c’est une bénédiction, et qui exigera que la population s’engage à ses côtés.
Sous la pression, un grand rassemblement est organisé par les militaires, où le chef religieux prend la parole devant des centaines d'hommes (musulmans). Puis les militaires distribuent des armes, convertissant ainsi des centaines d’hommes, en groupe d'auto-défense et en Harkis.
C’est ainsi que le père de Saïd devient Harki. Leurs missions : surveiller les marchés, fouiller les villages, participer aux ratissages de l’armée française, à la recherche des" rebelles ".
En 1983, il participe au mouvement de Marche pour l’égalité et contre le racisme. Il poursuit son engagement, auprès de Radio Gazelle durant plusieurs années.
Marseille, 1983.
Il est marqué par les nombreux crimes racistes qui touchent aussi bien les enfants d'immigrés que les enfants de harkis.
En 1998, Saïdcrée un Centre de Documentations sur les Harkis par le biais duquel il rassemble des objets d'époque, des photos de manifestations de harkis, des livres qui traitent de la guerre d'Algérie.
Ameziane A.
Ameziane, né en 1942, a vécu la guerre de ses 12 ans jusqu’à ses 20 ans.
Son récit évoque non-seulement ce que fut la guerre d’Algérie à ses yeux, mais il ponctue celui-ci de précisions historiques très riches et rappelle que : « La guerre d’Algérie est la conséquence de 130 ans de colonisation et de discrimination. Et elle s’inscrit dans un mouvement mondial de libération nationale ».
Ameziane remonte alors l’histoire :
En 1857, la région de sa famille, la Kabylie, n’est pas encore investie par l’armée, car c'est traditionnellement un peuple de résistants. Il fallut mobiliser pour la conquérir autant de soldats qu’il en avait fallu pour le reste de l’Algérie.
En 1871, son grand-père est arrêté et déporté à l’issue de la répression du soulèvement d’ El Mokrani. A son retour, cinq ans plus tard, la colonisation est devenue inexorable, tous les habitants de la région ont été spoliés, dépossédés de leurs terres agricoles, qui étaient les meilleures de la région et seront exploitées par les colons. « Les gens de chez moi ont été employés sur les terres réquisitionnées qui appartenaient à leurs ancêtres ! Vous imaginez ? Vous devez louer la terre qu’on vous a enlevée ! »
Ameziane ouvre une parenthèse sur le siècle suivant, en 1945 : « Quel paradoxe… Beaucoup d’Algériens ont combattu pour la France, jusqu’en Allemagne. Lorsqu’ils sont revenus en Algérie, ils ont trouvé des parents, des cousins, des frères, assassinés, alors qu’eux même avaient versé leur sang pour la France ! ».
Échanges avec les lycéens
Un lycéen : Est-ce que votre mémoire, vos souvenirs, sont en cohérence avec les manuels d’Histoire ?
Marie-Thérèse : Non. Chaque personne née en Algérie a sa propre histoire. Chacun essaie d’accéder à la « vérité » selon son histoire.
Saïd, fils de harki:On ne parle pas de ceux qui ont été abandonnés en Algérie. La moitié de ceux qui y sont restés ont été tués. On ne le dit pas.
Ameziane, ancien militant pour l’indépendance :L’Histoire n’est jamais objective. Par exemple, en cours d’Histoire on m’enseignait que mes ancêtres étaient Gaulois ! Vous qui êtes lycéens, à vous de vous faire une opinion de ce qu’est l’Histoire, en croisant le contenu de plusieurs ouvrages.
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Un lycéen :Qu’avez-vous personnellement retenu de cette guerre ? Est-ce qu’elle vous a transformé ?
Amar, fils de Harki :je suis né en France et n’ai donc pas vécu ces évènements. Mais porter témoignage, comme je le fais, de ce que furent notre exil et notre marginalisation sociale m’a rendu libre. Malgré tout… Libre, oui.
Michel :J’en ai fait tant de cauchemars ! Mais je me suis pris de passion pour l’Algérie. A l’époque nous n’en connaissions rien ! J’ai alors lu beaucoup d’ouvrages. C’est une transformation belle et douloureuse à la fois.
Marie-Thérèse:Oui. Ça m’a beaucoup changé. Ça a été très dur. Mais j’ai avancé. Doucement on arrive à raconter ce qu’a été notre histoire, et on arrive à se faire écouter. Ça m’a changé dans le lien. Je n’ai pas de haine… Oui, on a assassiné mon père, on a détruit ma famille… Mais le plus important, c’est d’aller vers la paix.
Thierryclôture la journée en évoquant l’excellent accueil reçu de la part des Algériens par les milliers de jeunes professeurs « coopérants » qui se sont succédés en Algérie après l’indépendance. «Nous n’avons rien contre les Français : nous avons voulu nous libérer du colonialisme ! Nous espérons que vous l’avez compris !»
L'action du Conseil national de la Refondation prévoit d’importants financements pour favoriser des initiatives locales d’innovations pédagogiques.
C'est dans ce cadre que nous construisons un projet avec Helohim, la maîtresse de l'école d'Ongles, des professeurs de collège et lycée, des inspecteurs de l’Éducation Nationale pour améliorer notre offre pédagogique et l'élargir aux élèves de cycle 3 (CM et classes de sixième).
Ce projet est piloté par le collège de Château-Arnoux. Il prévoit de créer :
- Une mallette pédagogique sous forme de padlet pour le second degré. Seront ainsi regroupés différents documents d'archive (photos, textes, documents administratifs …), des pistes pédagogiques, une bibliographie et les coordonnées des partenaires pouvant accompagner les professeurs dans leur démarche. La MHeMO y figurera en bonne place, avec le descriptif des journées d'étude proposées aux classes de troisième et de Terminale.
- Une mallette pédagogique pour les classes de CM et de sixième, contenue dans une VRAIE valise, qui proposera quelques documents d'archive numérisés sur une clé USB, des pistes pédagogiques, des atlas, des livres de littérature jeunesse. Ce support permettra aux enseignants de préparer ou de prolonger leur visite à Ongles, organisée dans le cadre de la liaison CM-6eme.
Un carnet de découverte pour les élèves de cycle 3 qui les accompagnera tout au long de la visite.
- Un court métrage réalisé lors de la première journée cycle 3 prévue le 4 juin (école d'Ongles + sixièmes du collège de Château-Arnoux) pour promouvoir cette nouvelle offre.
Nous espérons ainsi enrichir notre « vitrine » sur le Pass Culture qui permet aux établissements scolaires de s'inscrire en ligne pour réserver une journée à la MHeMO.
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Nous souhaitions, par cette seconde Info-Lettre, partager avec vous l'une de nos activités centrales. La MHeMO n'est pas seulement un lieu d'exposition, c'est aussi une équipe associative qui œuvre dans le partage de ce pan douloureux de l'Histoire nationale, pour la réconciliation des mémoires, par le biais notamment de ces actions pédagogiques. Cette année 2024 nous verra élargir notre action pédagogique à des classes d'âge plus jeunes et, par le truchement du Pass Culture, étendre notre action à de plus nombreux établissements scolaires.
Nous reviendrons en avril pour une nouvelle Info-Lettre, annonçant certainement quel sera le thème de notre prochaine journée d'étude en septembre, partageant avec vous une partie du travail que nous élaborons au côté de notre Conseil Scientifique.