Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Livre du week-end : « L’Agrafe » de Maryline Desbiolles, la réalité harkis jusqu’à l’os

 Maryline Desbiolles part d’une morsure de chien pour fouiller sans peur, intensément, l’âme meurtrie de l’histoire des harkis, qui reste une plaie ouverte.

La fracture est mauvaise. L’agrafe, cet « os frêle qui longe la face externe du tibia », a été broyée sous les crocs du molosse. Emma Fulconis, virevoltant dans les broussailles, ne pourra plus arpenter en trombe les sentiers escarpés de l’arrière-pays niçois, où elle est née. Surnommée « l’athlète », elle « courait à n’importe quelle occasion » : acheter le pain, aller et revenir du collège, traverser le pont… Dans les premières pages, Maryline Desbiolles épouse avec style ce corps épris d’espace, toujours en mouvement. La prose est vive, avec ses verbes d’action, ses mots penchés sur les suivants. Jusqu’à l’accident.

« Mon chien n’aime pas les Arabes »

Au plus fort de l’arrêt contraint, celle dont la jambe est menacée par la gangrène, s’interroge. Le maître du molosse, qui lui a broyé le tibia, a dit : « Mon chien n’aime pas les Arabes ! » Après des mois d’hospitalisation relatés par le menu, Emma se rend en claudiquant au village pour interroger son oncle, Akim, dit Jean-Pierre ou « JP ».

La plume ralentie de la romancière épouse le témoignage de cet homme. Né en Algérie, il a grandi dans un village de harkis, des « traîtres pour les Algériens, des moins-que-rien pour les Français »… Leurs voix étouffées hurlent entre les lignes. Maryline Desbiolles essaie de les contenir mais les mots se déhanchent pour mieux s’immiscer de travers dans le texte.

Ces harkis, la romancière les a vraiment rencontrés à L’Escarène, village des Alpes-Maritimes où ils ont été parqués. Un camp humide, dans un vallon ombreux. Leurs enfants allaient à l’école à pied ; deux kilomètres aller, deux au retour. Tous couraient pour ne pas arriver en retard.

Du haut de sa claudication assumée, la jeune fille au crâne rasé écoute la parole de l’oncle faite de mots manquants, de termes écorchés. Une parole à faire exprès sauter les points de suture. « Rien ne s’emboîte aussi bien que nos récits le prétendent », écrit la romancière.

Dans l’avant-dernier chapitre, « Déboîter », la petite-fille de harki, revenue de chez l’oncle avec une connaissance neuve du passé, parvient à s’émanciper et apprend à bouger du dedans, sans remuer le petit doigt… Cette éloquence tue contamine l’écriture. Elle évoque alors Matisse. Atteint d’un cancer du colon, contraint de garder la chambre, il
inventa, depuis son lit, l’art de découper des papiers colorés.

06/11/2024

- Pour commander, cliquez sur le livre. -

C-est-ici.gif

Continuez à être informé(e) en vous abonnant gratuitement - 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article