20 Juillet 2019
ENCORE -
Le titre, Et le cœur fume encore, est emprunté au grand écrivain algérien Kateb Yacine.
La pièce elle-même parle de l’Algérie, en particulier de la guerre d’indépendance qu’a vécue Yacine et dont il parle dans Nedjma ou dans Le Polygone étoilé.
Et le cœur fume encore , deuxième volet d’un diptyque sur les identités plurielles, convoque avec beaucoup d’humanité la mémoire de celle que l’on nomme, pour faire court, « la guerre d’Algérie ».
Que ce soit celle des membres du FLN, de soldats français, de harkis ou de pieds-noirs.
Ainsi, nous ne sommes pas dans un discours dogmatique mais plutôt plongés dans une réalité aux multiples facettes. Avec les deux jeunes metteuses en scène Margaux Eskanazi et Alice Carré, le théâtre documentaire sait être subtil.
Fondée sur le principe de l’enquête, la pièce part de témoignages recueillis auprès de personnes ayant vécu «la guerre d’Algérie », quel qu’ait été leur camp. L’officier zélé, persuadé du bien-fondé de sa mission, reconverti en terroriste de l’OAS aussi bien que le harki qui regrette son engagement trouvent ici une voix. Et leurs paroles, du fait même que ce soit les leurs, ensuite retravaillées pour les besoins de la pièce, sonnent juste.
Le spectateur perçoit leurs doutes, comprend leurs motivations… et ce, malgré le fait que tous les personnages ne soient pas sympathiques de prime abord, loin s’en faut ! Dans la première scène par exemple, – une scène surréaliste de veille de Noël dans un régiment français – Raoul, on le comprend vite, se révèle être l’un de ceux qui participent aux viols des Algériennes.
Pourtant, le personnage joué par l’une des jeunes comédiennes, marquant son entrain, une bouteille à la main, nous paraît plus grotesque et désespéré qu’autre chose.
Loin d’être une façon d’excuser les exactions et les horreurs commises par l’armée française, ces scènes donnent un visage aux monstres et nous rappellent simplement que ces derniers ont été des hommes bien réels.
La scène du procès de Jérôme Lindon, qui a dirigé les Éditions de Minuit, soulève quant à elle la question de la pratique de la torture. En France, les prises de position à ce sujet mènent à l’affrontement. En 1960, lorsque Lindon publie Le Déserteur, les ouvrages sont saisis et interdits. Il risque la prison pour « provocation à la désobéissance ». Le procès se déroule au milieu du public ; avocat et procureur se lancent dans une joute verbale de part et d’autre des rangées de spectateurs… une façon de les amener à prendre parti ! Une autre scène, celle de la première fois où Brahim évoque son passage au FLN avec sa fille, et enfin plusieurs moments à la fin de la pièce font le lien entre passé et présent.
Un Algérien communiste expatrié en France se voit en désaccord avec son jeune fils, qui fantasme une Algérie qu’il n’a pas connu, et de l’autre côté de l’Histoire, d’anciens combattants de l’armée française se retrouvent, grabataires, pour une cérémonie, qui malgré son aspect tragique, révèle son potentiel comique grâce au personnage de Jacqueline, veuve un peu trop zélée qui tient absolument à ce que « tout se passe bien ». Cependant, malgré tous ses bons soins, la soirée dérape et les fantômes, sous forme de regrets ou de délires, refont surface…
Très vite, ce qui frappe, c’est la qualité de jeu et la vitalité de la troupe des jeunes acteurs de la compagnie Nova.
Les sept comédien.ne.s sur scène, Noirs, Blancs ou ayant eux-mêmes des origines algériennes, filles et garçons, s’échangent les rôles et campent leurs personnages avec une facilité qui fait plaisir à voir.
Extrait vidéo
Et le cœur fume encore / Teaser 3'07"
Quelle que soit son apparence, chacun.e incarne avec beaucoup d’humanité Madeleine, la résistante française du FLN, ou bien le procureur à charge contre Lindon, ou bien encore Brahim, communiste et membre du FLN, et même les grands Kateb Yacine et Édouard Glissant, convoqués sur scène. Dès qu’il ou elle parle, on y croit, on y est, au plus près de l’humanité du personnage.
C’est cela que permet le théâtre, ne l’oublions pas, à partir du moment où il parvient à se placer à une distance salutaire des polémiques qui ont agité la Sorbonne en mars dernier. Une mise en scène exemplaire nous montre que tout le monde peut jouer un personnage avec sincérité, quel que soit son physique, son genre, etcætera. Et que le seul frein à une réelle diversité sur scène ne peut être celui d’une question de vraisemblance ou de fidélité à l’Histoire mais bien celui de la persistance de préjugés racistes ou sexistes.
Informations pratiques :
Théâtre 11 – Gilgamesh Belleville
11, boulevard Raspail, Avignon
Du 5 au 26 juillet 2019 à 18 h 05 dans le cadre du festival OFF d’Avignon
(Relâches les 10 et 17 juillet)
Théâtre Aimé Césaire de Fort-de-France
Du 17 au 19 octobre 2019
Théâtre Gérard Philippe à Paris
Du 7 au 20 décembre 2019
Visuel : © Loic Nys
18/07/2019
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