2 Mai 2020
Jeune homme en colère, Marc Garanger est envoyé faire son service militaire en Algérie en 1960, après avoir épuisé tous les sursis. SERGE DELEU/SAIF
Rendu célèbre par ses photographies sur la guerre d’Algérie, Marc Garanger est décédé à l’âge de 85 ans, entouré des siens. Son œuvre a donné par l’image la parole aux peuples en luttes, qu’ils soient Indiens de la cordillère des Andes, chibanis des foyers lyonnais ou ouvriers sur les chaînes de montage.
« Mon père a déposé cette nuit son appareil photographique à tout jamais. » C’est par ces quelques mots sobres que nous avons appris le décès du photographe Marc Garanger, le 27 avril 2020, à l’aube de ses 85 ans.
Enfant bègue, profondément complexé jusqu’à en devenir mutique à l’adolescence : ses photos parleront pour lui. Dès l’âge de 15 ans, il trouve refuge dans la photographie avec le vieil appareil photo de ses parents. « En bridant la parole, mon œil s’est aiguisé », dira-t-il des années plus tard. Pour son bac, son père lui offre son premier appareil photo, un Foca, mais photographe, ce n’est pas un métier… Il deviendra pourtant le sien, une fois son diplôme d’instituteur en poche.
Jeune homme en colère, Marc Garanger est envoyé faire son service militaire en Algérie en 1960, après avoir épuisé tous les sursis. Comme on lance un appât, il laisse traîner quelques photos sur le bureau du secrétariat où il a été affecté et le stratagème fonctionne : il est promu photographe du bataillon. Il se fait alors la promesse d’utiliser la seule arme dont il dispose pour rendre sa dignité aux colonisés : son appareil photo.
Les photos d’une « protestation muette »
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Vidéo de 3'57"
Envoyé dans les villages des contreforts de Kabylie, il est chargé de réaliser des photographies d’identité des « indigènes » en vue de leur faire établir des papiers. Il réalise près de 2 000 portraits en 10 jours, surtout des femmes – les hommes ont pris le maquis – contraintes de se dévoiler devant l’objectif. D’une sordide opération de mise en fiches de la population, il tire une série de puissants portraits cadrés à la ceinture, empreints de dignité.
Ensuite, dans la chambre noire qu’il s’est bricolée, il les recadre serrées sur le visage avant de les montrer à ses supérieurs.
Il pressent que cette expérience sera déterminante : « J’ai reçu leur regard à bout portant, premier témoin de leur protestation muette, violente. Je me suis juré de lancer un jour ces images à la face du monde. »
Ses portraits de femmes algériennes passés clandestinement en Suisse lors d’une permission, lui valent le prix Niépce en 1966, grâce auquel il pourra financer ses futures excursions. En 1984, il en tire un livre : La Guerre d’Algérie vue par un appelé du contingent (1) aux éditions du Seuil, passé plutôt inaperçu à l’époque. Depuis, ces portraits de femmes ont fait l’objet de nombreuses expositions en France comme à l’étranger, que soit aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles, à la Biennale de Venise ou Museum of Modern Art de San Francisco.
Donner la parole aux gens du peuple
À l’occasion du cinquantenaire du déclenchement de l’insurrection algérienne et à l’initiative du journal Le Monde, il y retourne en août 2004, pour retrouver les lieux et les personnes près d’un demi-siècle plus tard. « Témoigner de la violence des destins et des libérations individuelles ou collectives, renvoyer à ceux que je photographie le miroir de leur vie inscrite sur leur visage, cette façon de faire, c’est en Algérie qu’elle m’a été révélée », explique-t-il.
Cette même volonté n’a cessé de l’animer tout au long de son parcours : donner par l’image la parole aux peuples et aux gens du peuple, qu’ils soient Indiens de la cordillère des Andes, chibanis des foyers lyonnais, chamanes du Grand Nord sibérien, dissidents slovaques ou ouvriers sur les chaînes de montage.
01/05/2020
(1) Un regard essentiel sur l’Algérie "La Guerre d’Algérie, vue par un appelé du contingent", de Marc Garanger, Seuil, 134 pages.
Femmes Algériennes 1960 de Marc Garanger, Atlantica, 124 pages
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