24 Novembre 2021
Un projet de loi étudié jeudi par les députés vise à réparer les préjudices des harkis rentrés en France dans des conditions indignes après la guerre d’Algérie. Mais ce dispositif exclut d’autres combattants rentrés en France sans passer par ces camps ainsi que ceux restés sur place. Jeannette Bougrab, fille de harki et ancienne secrétaire d’État à la Jeunesse, tance un texte qui divise la communauté.
L'ancienne secrétaire d'État à la jeunesse Jeannette Bougrab est fille de harki. Photo Bertrand GUAY/AFP
Emmanuel Macron promettait le 20 septembre dernier de «franchir un nouveau pas» vers la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans les souffrances des harkis. Quelque 200 000 d’entre eux ont combattu aux côtés de l'armée française durant la guerre d'Algérie (1954-1962). La traduction législative de ce discours arrive ce jeudi à l’Assemblée nationale. Le projet de loi porte des mesures à la fois symboliques et concrètes.
Il vise notamment à réparer les préjudices subis par les harkis rentrés en France dans des conditions indignes au lendemain de la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962. Cela signifie aussi qu’il exclut de ce dispositif tous les combattants supplétifs français rentrés sans passer par ces camps ou restés sur place. Jeannette Bougrab, fille de harki, juriste et ancienne secrétaire d’État à la Jeunesse sous Nicolas Sarkozy, exprime sa déception quant à ce projet de loi et et revient sur la fracture encore ouverte entre les harkis et l’Algérie.
Que pensez-vous de ce texte, qui ne concerne donc pas tous les harkis ?
Il y a en effet une sorte de raccourci qui est fait. En réalité, la loi ne vient réparer que la situation de ceux qui sont passés par des camps pour venir en France. C'est-à-dire les personnes qui ont subi un préjudice particulier, en allant dans ces camps - qui étaient des camps de concentration -, comme ceux de Rivesaltes, de Bias... Ce texte est important pour beaucoup de familles qui sont passées par ces camps, mais le problème c'est que c'est un texte qui divise la communauté.
Car plus de la moitié des Harkis ne sont pas passés par ces camps pour venir en France. Cette loi est donc très circonscrite en termes de réparations. Certains n'auront aucun euro d'indemnisation. Et ceux qui sont restés sur place, en Algérie, qui ont été privés d'un certain nombre de droits élémentaires, non plus. D'autant que le dommage moral n'est pas réparé. Je conçois que, parfois, il faille faire l'unanimité. Mais ce texte n'est pas satisfaisant, loin de là. Ça montre que c'est une petite loi qui va permettre à des gens modestes d'avoir un petit pécule, qui ne représente rien de la souffrance et de leurs conditions de vie.
Pourquoi faire passer ce texte maintenant ?
C'est toujours à la veille d'une élection présidentielle. Ce qui est d'ailleurs assez dérangeant, parce que celui qui a fait beaucoup pour les harkis, c'est Jacques Chirac. Je pense qu'on ne lui a pas suffisamment rendu hommage. Il y avait déjà eu deux lois de réparation en 1994 et 2005.
C’est lui qui a instauré une journée d’hommage national (le 25 septembre, par un décret du 31 mars 2003, ndlr). Mais ce texte est terrible, aussi, parce qu'en réalité, il y a actuellement des contentieux portés devant les juridictions administratives, notamment un devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ce texte permet donc au gouvernement d'éteindre tous ces contentieux. Sa dimension est donc aussi très utilitariste.
Vous évoquiez les harkis restés sur place, que leur est-il arrivé après la signature des accords d'Évian ?
Ils ont été massacrés, égorgés, émasculés, ébouillantés... Des femmes ont été violées, des enfants sont morts de faim... Quand on va déposer des gerbes au mois de mars sur les monuments aux morts ça me fait mal au cœur parce que le début du massacre des harkis, c'est au lendemain des accords d'Évian. En plus, ils ont été désarmés par l'armée française. Certains ont survécu après avoir été enfermés et torturés dans des geôles algériennes pendant des années, puis ont réussi par miracle à arriver en France en 1967 ou 1968.
Pourquoi la France n'a-t-elle pas immédiatement organisé le rapatriement de ces harkis ?
Il y avait deux choses : d'une part il y avait l'idée que ces Français - puisqu'ils étaient encore Français - d'origine algérienne n'était pas intégrables. Le général De Gaulle avait cette idée. Dans les mémoires d'Alain Peyrefitte, celui-ci raconte le tour de table d’un conseil des ministres avec une sorte de blanc au moment d’aborder le sujet, parce que l'on sait qu'il y a des massacres. Mais on disait "ils ne sont pas intégrables".
La deuxième chose, c'était l'idée qu'ils pouvaient être le bras armé de l'OAS (Organisation de l’armée secrète, ndlr). C'était notamment les deux arguments de Pierre Messmer (ministre des Armées de 1960 à 1969, ndlr) pour justifier cela. C'est honteux, c'est criminel.
Aujourd'hui, comment vivent les harkis ou leurs descendants ?
C'est des vies de paria. Ils sont injuriés, stigmatisés au quotidien, considérés comme des traîtres. Il y a des discriminations institutionnelles. Ils cachent qu'ils ont un père, une mère harki. Mes parents sont morts, mon père en février dernier, ils n'ont jamais pu retourner en Algérie. On avait aucune perspective de retour et, si on revenait, on savait qu'on pouvait se faire assassiner. Mais même mort, ils n'ont pas pu être enterrés en Algérie. Nos parents ne sont plus là et on continue d'utiliser le mot harki comme une injure. Il y aurait dû y avoir un volet pénal dans ce texte.
Je n'ai moi-même été que deux fois en Algérie. Une fois avec Jacques Chirac qui m'a emmené dans sa délégation pour négocier un traité d'amitié qui n'a pas abouti. La deuxième fois c'était quand j'étais invitée officiellement en tant que ministre. Depuis, je n'y suis pas retournée. J'ai demandé une fois un visa, on me l'a refusé.
Comment évaluez-vous le mandat d'Emmanuel Macron sur cette - délicate - question algérienne ?
Le gouvernement n'a eu de cesse d'aller dans le sens de l'histoire officielle algérienne et de stigmatiser à outrance ceux qui avaient choisi le camp de la France. C'était, pendant sa campagne présidentielle les "crimes contre l'humanité" commis par la France en Algérie. C'était Maurice Audin (mathématicien français, partisan de l'indépendance algérienne et assassiné par l'armée française, ndlr). C'était cet avocat algérien qui a été assassiné par les forces françaises en 1957 (Ali Boumendjel, torturé et assassiné pendant la bataille d'Alger, ndlr).
1957 c'est l'année où mon grand-père a été assassiné par le Front de libération nationale (FLN, principal mouvement indépendantistes, ndlr). Les victimes du FLN, personne ne s'en offusque. En réalité au moment du combat pour l'indépendance tout était justifiable, même le pire. Je ne parlerai pas de cela à mes enfants. Nos parents nous ont transmis beaucoup de choses, beaucoup d'amour mais aussi cette souffrance.
18/11/2021
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