21 Février 2022
Le parlement français a définitivement adopté mardi 15 février un projet de loi pour demander "pardon" aux harkis, qui ouvre la voie à une indemnisation pour certaines familles. "Je ne me réjouis pas de cette loi", réagit Syndia Hamoudi, présidente de l'association Harkis, devoir de mémoire, en Haute-Garonne.
Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, le Parlement a définitivement adopté mardi, par un ultime vote très large du Sénat, un projet de loi pour demander "pardon" aux Harkis, qui ouvre la voie à une indemnisation pour certaines familles.
Ce texte vient concrétiser un engagement pris par le président Emmanuel Macron qui, le 20 septembre, avait demandé "pardon" à ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l'armée française mais ont été "abandonnés" par la France après la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962. Il reconnaît "les conditions indignes de l'accueil" réservé aux 90 000 Harkis et à leurs familles qui ont fui l'Algérie après l'indépendance. Près de la moitié d'entre eux ont été relégués dans des camps, comme à Saint-Maurice-l ‘Ardoise, dans le Gard et des "hameaux de forestage", tel celui de Puycelsi dans le Tarn. Des lieux de bannissement qui ont meurtri, traumatisé et parfois tué, selon les mots de la ministre chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants Geneviève Darrieussecq.
Réparation du préjudice
Le projet de loi prévoit "réparation" du préjudice avec, à la clef, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, de 2 000 à 15 000 euros. Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé par le gouvernement à 50 000, pour un coût global de 310 millions d'euros sur environ six ans.
Soixante ans après, les plaies ouvertes par cette guerre meurtrière longtemps qualifiée d'"événements" dans les livres d'histoire (1954-1962, près de 500 000 morts) sont loin d'être refermées. Et la discussion du texte a suscité beaucoup d'émotion et de passion dans les hémicycles des deux assemblées, des tensions aussi dans la communauté Harkie.
Ainsi, Syndia Hamoudi parle sans fard : "Je ne me réjouis pas de cette loi", explique cette petite-fille et fille de Harkis. La présidence de l'association Harkis, devoir de mémoire, basée en Haute-Garonne mais qui compte quelques mille membres en France, a grandi dans plusieurs camps. "Cela rendra peut-être service à quelques personnes mais ça nous met encore dans une case, celle de la plainte. C'est un pansement sur une gangrène : comment peut-on chiffrer une douleur de soixante ans ?"
Ne pas être dupes : voilà ce que martèle Syndia Hamoudi, dans le combat depuis l'âge de treize ans pour une reconnaissance morale de la France. "On est en pleine campagne électorale. Emmanuel Macron n'a pas été le seul à faire un geste envers notre communauté avant des élections. François Hollande et Nicolas Sarkozy l'ont fait avant lui. Parce qu'en tant qu'électeurs, nous avons du poids".
"Nous avons porté la douleur de nos parents"
Syndia Hamoudi n'a pas répondu à l'invitation du chef de l'Etat, en septembre dernier, à discuter de ce projet de loi : "le silence est le meilleur des mépris", explique-t-elle. "Nous avons porté la douleur de nos parents, qui ont été l'objet d'humiliations et de railleries".
Des Harkis et leurs familles rapatriés d'Algérie à Marseille, en juin 1962. • © AFP
Jusqu'à 200 000 Harkis avaient été recrutés comme supplétifs de l'armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962. Mais après les accords d'Evian, ordre est donné de les désarmer et de pas favoriser leur rapatriement en France, les exposant à des représailles meurtrières. 100 000 à 150 000 Harkis seront massacrés en Algérie. Seuls 42 500 d'entre eux auraient finalement été rapatriés.
Sur le sol français, ils sont donc dirigés vers des camps ou des hameaux forestiers. La vie y est celle d'internés, avec couvre-feu, précarité alimentaire, brimades, exclusion. Et ce, jusqu'en 1976, après que des enfants de Harkis aient mené la révolte.
Depuis 2001, une journée d'hommage unique reconnaît officiellement le drame des Harkis qui reste "une des pages honteuses de l'histoire de France, comme l'ont été l'instauration du Statut des juifs ou la rafle du Vel d'Hiv", a notamment écrit la sociologue et politologue française Dominique Schnapper.
16/02/2022
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