1 Juin 2023
- Article complet du Figaro -
Nadia Ghouafria, fille de harkis, sur l’une des tombes d’enfants découvertes dans le cimetière sauvage de l’ancien camp de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard), le 20 mars. MiKAEL ANISSET/PHOTOPQR/LE MIDI LIBRE/MAXPPP
RÉCIT - L’État veut rendre hommage à ces soldats supplétifs de l’armée française, accueillis dans la misère après 1962 et dont certains ont été enterrés dans des cimetières de fortune.
Méprisés dans la vie et oubliés jusque dans la mort. Combien sont-ils, un peu partout en France, qui attendent encore qu’on leur rende l’hommage qu’on doit aux défunts? Le 15 mai, dans son premier rapport, la «commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis» et apparentés, présidée par Jean-Marie Bockel, a rappelé le problème des « sépultures abandonnées ». Notamment celles d’enfants, l’une des questions les plus sensibles liées à l’accueil de ces combattants et de leurs familles après 1962.
Nul ne sait le nombre exact de ces Français musulmans, recrutés comme auxiliaires de l’armée française entre 1954 et 1962, mais une chose est certaine : plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont été abandonnés sur place et 80 000 à 90 000, selon les meilleures estimations, ont été rapatriés et accueillis en France dans de très mauvaises conditions qui se sont prolongées dans le temps.
En 2018, un rapport commandé par l’État évoquait la tragédie « de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, pour une partie délaissés sur leur terre natale, désarmés, en proie aux exactions et aux massacres, pour une autre partie rapatriés en métropole, déracinés, exilés, ensuite relégués dans des camps, des hameaux de forestage, des cités urbaines . »
Histoire occultée
En 2021, après les mesures prises par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, Emmanuel Macron a demandé publiquement pardon aux harkis, reconnaissant un « abandon de la République française », et il a voulu la loi du 23 février 2022 « portant reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français ». Une loi portée par l’ancienne ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants Geneviève Darrieussecq, et dont fut rapporteur Patricia Mirallès, fille de rapatriés et actuelle secrétaire d’État chargée de ces mêmes domaines auprès du ministre des Armées.
La commission Bockel, créée par la loi de 2022, souligne les efforts menés depuis plusieurs années pour « mener une démarche d’identification et de valorisation des lieux d’inhumation spécifiques des harkis et de leurs enfants, à proximité des camps de transit et des hameaux de forestage ». Avec notamment des recherches effectuées en 2018 sur le site de Rivesaltes et l’inauguration l’année suivante d’une stèle avec 146 noms, dont 101 enfants. Ou encore la restitution à des familles de harkis de restes mortels de l’ancien camp du Larzac. Et la quête est loin d’être achevée. En plongeant dans cette histoire occultée, les services de l’État n’ont pas fini d’être confrontés à ce drame dans le drame, celui du destin des enfants en bas âge ou morts-nés, enterrés en catimini et dont les tombes ont été négligées ou tout simplement oubliées sur des sites mangés par la végétation. Un drame qui hantait depuis longtemps la communauté harkie, dont les représentants ont alerté pendant de très longues années avant d’être enfin entendus.
Dans le Gard, l’ancien camp « de transit et de reclassement » de Saint-Maurice-l’Ardoise symbolise à lui seul ces errements. De 1962 à 1976, l’endroit a accueilli des familles de harkis (après que des militants du FLN puis de l’OAS y ont été internés entre 1958 et 1962) et il fallut une révolte des jeunes du camp en 1975, en parallèle à celle du camp de Bias (Lot-et-Garonne), pour que le gouvernement décide la fermeture des camps et hameaux de forestage. Les bâtiments furent rasés et, à partir de 1984, le site devint un terrain de manœuvre du 1er régiment étranger de génie (1er REG), ce qu’il est toujours aujourd’hui.
À Saint-Maurice-l’Ardoise, les adultes décédés étaient pour la plupart inhumés au cimetière communal voisin de Saint-Laurent-des-Arbres. Mais il n’en fut pas de même pour plusieurs adultes, et surtout pour des enfants, morts notamment durant l’hiver 1962-1963, enterrés dans le camp lui-même. Des décès liés à la maladie, au froid dans des hébergements de fortune, à un accompagnement médical insuffisant et qui frappaient des femmes et des familles à l’état psychologique et physique précaire. On a ensuite perdu jusqu’à la trace de ces tombes de fortune, mais elles étaient toujours présentes dans l’esprit des familles et des associations de harkis.
Dans le Gard, la lumière est venue d’une femme, Nadia Ghouafria, fille de harkis « reclassés » à Saint-Maurice-l’Ardoise. Effectuant des recherches sur le camp, elle obtient en 2019 un procès-verbal vieux de quarante ans : il y est fait état de 71 personnes mortes dans le camp et dans celui voisin du château de Lascours. Cité en 2020 dans une remarquable enquête de la journaliste de l’Agence France Presse Lucie Peytermann, ce document donne des éléments de localisation et reprend un registre d’inhumation, avec un très grand nombre d’enfants. L’on se rend compte que le « cimetière » provisoire du Gard n’était pas un lieu oublié, ou du moins pas par tout le monde. Le PV précise ainsi qu’il serait préférable de ne « pas trop ébruiter l’affaire qui risquerait d’avoir des rebondissements fâcheux notamment si cela était porté à la connaissance des responsables du mouvement de défense des rapatriés d’Algérie, anciens harkis ». Quatre ans après les révoltes de Bias et de L’Ardoise, la mémoire des enfants et la douleur des familles ne pesaient visiblement guère devant le risque d’un désordre.
Lieu d’inhumation
Quarante ans plus tard, l’État répond enfin. Et la quête est une nouvelle fois affaire d’hommes et de femmes. Retrouver des sépultures non repérées sur un terrain de manœuvre militaire n’est pas œuvre facile. Et il a fallu l’expertise de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) et de l’Institut national de recherches archéologiques préventives pour y arriver, avec le rôle décisif de Patrice Georges-Zimmermann. Archéologue de profession, l’homme est également un spécialiste d’archéologie « forensique », très courue dans les pays anglo-saxons. En clair, ce réserviste de la gendarmerie nationale, expert auprès des tribunaux, aide régulièrement les enquêteurs dans des affaires criminelles contemporaines et travaille aussi avec le 17 régiment du génie parachutiste de Montauban sur les techniques de fouilles de charniers en zone de guerre. Les archéologues savent analyser le sol comme à livre ouvert, tirant parti des différentes teintes de terre, des différents modes d’enfouissement. Patrice Georges-Zimmermann reprend le dossier avec l’ONaCVG après une première fouille infructueuse début 2022. Le but est clair : repérer au moins deux sépultures pour confirmer le lieu du cimetière de fortune et déterminer ses limites. Un « diagnostic », dans le jargon professionnel.
En septembre 2022, une nouvelle analyse des indications du PV de 1979, de photos aériennes d’époque et de cartes du secteur permet d’identifier un nouveau site, à quelques centaines de mètres du premier. Fruit de la chance ou de la providence, l’endroit, boisé de petits chênes, était resté en marge du champ de manœuvre des engins de chantier du 1er REG. Les travaux reprennent début 2023, on décape le site et de vieux chasseurs de passage indiquent qu’ils savaient qu’il y avait « par-là » un lieu d’inhumation. Fin mars, la fouille permet la découverte des ossements de deux enfants et la localisation de 27 tombes potentielles, qui ne sont pas fouillées mais sur lesquelles est pris le maximum de renseignements sans porter préjudice aux vestiges.
L’histoire est loin d’être terminée. Elle ne fait même que recommencer. En 2020, Nadia Ghouafria parlait à l’AFP « d’enfants oubliés de l’histoire de France » et de « parents trahis une seconde fois ». Elle rappelait que les harkis réclamaient « à l’État français que des recherches soient entreprises pour retrouver les restes humains de ces enfants (…), que les parents soient contactés, qu’une sépulture décente soit donnée à ces enfants et une stèle ». C’est en partie chose faite. Mais aujourd’hui, pour des associations de harkis, des dizaines de corps manquent à l’appel. Et les lieux d’inhumation n’ont peut-être pas été toujours été préservés par miracle.
Le coup de tonnerre de Saint-Maurice-l’Ardoise a en tout cas déjà eu deux conséquences, l’une locale, l’autre nationale. Localement, le 1er REG, qui a accueilli et accompagné sur place les professionnels de la fouille, s’est saisi de la question dans une démarche mémorielle. « L’existence du camp nous était bien sûr connue, mais nous n’avions jamais entendu parler de ce cimetière, indique son chef de corps, le colonel Perrier. Ce fut d’abord un choc humain et aussi une leçon historique, car il s’agissait d’enfants de soldats qui se sont battus pour la France. » Dès avant la redécouverte du cimetière, outre un projet de mémorial à l’entrée du camp, le régiment a lancé, avec la communauté d’agglomération du Gard rhodanien, la mise en place d’un parcours mémoriel sur le site de l’ancien camp. Riche d’une quinzaine de bornes, il devrait voir le jour courant 2024.
« Mort de froid sur la poitrine de sa maman »
Sur le plan national, est venu le temps de la protection et de la mise en valeur du cimetière avec une forte implication de la secrétaire d’État chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, qui s’est rendue sur place le 21 avril. Patricia Mirallès, qui s’est entretenue avec les familles et les associations, évoque « le petit Raoul », le premier corps retrouvé, « mort de froid sur la poitrine de sa maman » et dont les parents ne savaient pas où il était enterré. Raoul, mort à 20 jours en décembre 1962, attendait depuis plus de soixante ans au lieu-dit de Rossignac.
« Nous irons jusqu’au bout pour que la mémoire soit apaisée, souligne la ministre, et j’ai aussi rassuré les familles et les associations en leur indiquant qu’elles décideront elles-mêmes de la récupération des corps pour les inhumer sur un autre lieu ou de leur maintien sur place avec la construction de sépultures et d’un site de recueillement. L’État accompagnera les familles et financera l’ensemble de ces démarches. On doit cette reconnaissance jusqu’au bout aux harkis, reprend Patricia Mirallès, le premier rapport Bockel recense ainsi 45 sites supplémentaires d’hébergement, y compris dans le nord de la France. Et la commission va continuer son travail. La première ministre a aussi demandé à ce qu’on puisse accélérer le traitement des dossiers. »
La secrétaire d’État insiste également sur le travail encore à mener sur les enfants morts. Patrice Georges-Zimmermann, qui a découvert le cimetière de Saint-Maurice-l’Ardoise et le petit Raoul, espère pouvoir retrouver d’autres corps, par exemple sur le site de l’ancien camp de Rivesaltes. Et peut-être demain dans d’autres lieux qui font leur retour dans l’histoire et la mémoire nationale.
28/05/2023
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