13 Avril 2025
Une proposition de loi transpartisane, notamment portée par la députée LFI Zahia Hamdane, a été déposée ce vendredi 11 avril. Elle vise à améliorer l'indemnisation des enfants de Harkis. À Amiens, trois d'entre eux racontent leurs souvenirs.
Pour M'hamed Bouchoucha, c'est une histoire qui a marqué jusqu'à son prénom. " Il a été choisi un peu par l’armée française : mon grand-père s’appelait Mohamed, il est arrivé en France et moi aussi, je suis arrivé et je m'appelais Mohamed, pour ne pas avoir d’homonyme, ils ont enlevé le O. Donc je m'appelle M'hamed ", résume l'homme attablé dans le soleil qui inonde la terrasse d'un café Amiénois.
M'hamed est enfant de Harki : ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l'armée française lors de la guerre de 1954 à 1962. Lorsque le pays est devenu indépendant, ils ont dû quitter l'Algérie et ont été accueillis en France dans des conditions indignes, puis parqués dans des camps pendant de longues années.
" On est arrivés à l’écurie du Petit Saint-Jean, ils ont vite nettoyé l’écurie, mis de la paille et des couvertures. Ma mère était enceinte de moi, elle a pu aller à l’infirmerie, puis on a déménagé à la Citadelle ", se souvient Ali Cherfi, né en 1962 alors que ses parents s'installaient à la Citadelle, aménagée en camp. "Je pense que la ghettoïsation nous a été préjudiciable : si on avait été dans un environnement cosmopolite à cette époque, on serait devenus des personnes différentes, peut-être."
Une Histoire douloureuse
M'hamed Bouchoucha avait pour sa part six ans, lorsque ses parents sont arrivés. " La citadelle, ce qui m’a tué, c’est dormir dans des ballots de paille. Pendant deux ans. Après, on est arrivés cité de Strasbourg, on a commencé à aller à l’école, se remémore-t-il. J’y allais en bottes en caoutchouc et en short, l’hiver. J’avais la chance d’avoir un petit manteau, assez épais. Comme tout gamin qui rentre dans une école, qui est complètement déstabilisé, car analphabète... Il se sent mal vu. Quand il rentre chez lui, il voit la souffrance de ses parents. "
Et cette souffrance est restée gravée dans sa mémoire. " J’ai un très mauvais souvenir pour mes parents, tous les soirs, je les voyais pleurer. Ils étaient déstabilisés. C’est comme un grand arbre, une fois que vous lui coupez ses racines, ils meurent. Mes parents ont été déracinés, nous aussi, car on était les bourgeons de cet arbre. J’avais de la tristesse, c’est tout ", résume celui qui milite maintenant au sein de l'association AJIR Picardie Hauts-de-France, qui œuvre pour la reconnaissance de cette histoire longtemps tue.
Ali Charfi, lui aussi, a vu ses parents perdre espoir : " Ma maman, en arrivant à Amiens, ne voulait pas rester. Elle s’est habituée, mais au fond d’elle, il y a un désespoir. Elle a laissé une partie d'elle-même. Ma mère s’est excusée, auprès de moi, de ne pas avoir pu nous aider à l’école, car elle ne sait pas lire ni écrire. Nous lui avons appris à parler français. Elle a bientôt 84 ans et ce chagrin qui émane d’elle, je ne ressens tout le temps. C’est impossible de réparer 60 ans. "
Il faudra attendre 2001 pour qu'un président de la République, Jacques Chirac, ne reconnaisse officiellement le rôle joué par les Harkis et les souffrances endurées lors de leur arrivée en France. Quinquennat après quinquennat, la question de l'indemnisation et de la reconnaissance progresse, mais trop lentement, aux yeux de ceux dont cette histoire a abimé la jeunesse.
L'épineuse question des réparations
En 2022, une loi est votée pour indemniser les enfants de Harkis. Premier problème : elle ne contente pas tous les descendants. " C'est à double tranchant : en 2022, quand l’indemnisation a été proposée, le Président a réveillé de vieux démons, explique Djillali Namoudi, descendant de Harki et trésorier de l'association AJIR. Pourquoi ? Elle indemnise certains quartiers, mais pas d’autres. À Amiens, seuls quatre quartiers sur sept ont été reconnus. On laisse 120 familles sur le carreau. Reconnus : cité de l’Avre (Longueau), cité de Strasbourg, cité de la briqueterie et Poix-de-Picardie. Il manque les bâtiments bleus, les bâtiments gris ‘Fafé’ et Brossolette. À une rue près, ce n’est pas la même chose. "
Autre grief, que la nouvelle proposition de loi portée par la députée LFI Zahia Hamdane entend adresser : le montant de l'indemnisation. " On ne peut pas chiffrer le préjudice par personne. Ce qui est proposé, c’est de l’évaluer de façon individuelle, il ne peut pas se faire de façon collective et aléatoire comme l’a fait la loi de 2022. Je ne sais pas qui a imaginé cette indemnisation en partant de 1962 à 1975, alors que des gens ont vécu au-delà de 1975 dans les camps... Attribuer 3 000€ par dossier ou 1 000€ par année dans un camp, pourquoi ? On n'a pas évalué le traumatisme et les dégâts que cette vie a pu avoir sur chaque personne ", constate Zahia Hamdane, elle-même fille de Harki, ayant grandi à la cité de la Briquetterie.
Pour l'élue, la question de quartiers non reconnus est une étape ultérieure d'un combat qu'elle entend bien mener, mais cette proposition de loi permettrait tout de même des avancées importantes. Elle fait suite à un arrêt de la Cour Européenne des droits de l'Homme, qui, en 2024, a reconnu que l'indemnisation accordée par la loi de 2022 à certaines familles était insuffisante, considérant les graves violations des droits de l'Homme dont elles avaient été victimes.
" Quand on voit ces conditions innommables, osons dire aujourd’hui que c’était peut-être même du racisme, à l’époque. C’était une exclusion d’une population jugée indésirable."
Zahia Hamdane Députée (LFI) de la 2e circonscription de la Somme
" Symboliquement, cette loi vient réparer quelque chose d’impensable : repositionner la citoyenneté française aux familles de harkis. En 1962, les familles ont dû refaire une demande de nationalité française en arrivant et payer cette demande, souligne Zahia Hamdane. La proposition de loi vient aussi réparer un peu plus conséquemment, financièrement et symboliquement, les préjudices subis du fait de leur accueil. Leur venue n’était pas souhaitée par le gouvernement français. "
Avec une indemnisation au cas par cas et une meilleure reconnaissance des souffrances endurées, la députée espère apaiser un peu les enfants de Harkis, qui, d'après elle, représentent aujourd'hui 1,5 million de Français.
" Cette loi vient réparer une injustice qui aurait dû être réparée en 1963, 64, 65. Quand on voit ces conditions innommables, osons dire aujourd’hui que c’était peut-être même du racisme, à l’époque. C’était une exclusion d’une population jugée indésirable ", conclut-elle.
La proposition de loi est portée par des députés représentant le PS, Les Écologistes, LR, Zahia Hamdane espère que d'autres vont rejoindre les rangs avant son examen, qui devrait avoir lieu lors de la semaine transpartisane, début juin à l'Assemblée nationale. Elle souligne aussi que plusieurs sénateurs de la Somme ont déjà apporté leur soutien au texte et espère qu'il poursuivra sa route en fédérant, pour, peut-être, atteindre une adoption qui viendrait panser de si vieilles blessures.
12/04/2025
Zahia Hamdane le 12 octobre 2024, lors d'une visio de l'Assemblée Générale à Aix-en-Provence d'Ajir France.
https://www.harkisdordogne.com/
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