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1er Partie Abandon des HARKIS, témoignage de mr Brahim Sadouni " d'un passé lugubre"

- 1er Partie - 

- Brahim en 1960 à l'âge de 17 ans et demi -

Le 2 mai 1962, nos officiers nos réunirent pour la dernière fois, ils nous annonçaient la paix et la fin de la guerre en Algérie.

J’avais 19 ans et le plus âgé 55 ans. Nous avions eu droit à un méchoui, le méchoui d'une trahison ! Nous avions aussi eu de longs discours ! Mais après tous ces adieux, nous fûmes désarmés, abandonnés et laissés sur place sans aucune protection.

Le 5 mai, l'armée quittait furtivement et définitivement la région des Aurès, abandonnant tous les supplétifs ! J'étais encore jeune pour comprendre ces bouleversements ! Je pus rentrer chez moi malgré tout dans mon village, où je me suis réfugié pour me cacher.

Hélas ! Certains harkis qui n'ont pas eu la même chance furent arrêtés et jetés en prison de Lambèse. Notre calvaire venait de commencer, la plaie aura du mal à guérir.

La France avait commit l’irréparable et doit porter une lourde responsabilité pour l'abandon de tous ces hommes !

La guerre était partout, elle se cachait derrière un arbre, un rocher, les fossés devenaient soudain des endroits douteux et même dangereux, une pierre qui roule et c’est l’angoisse. Les oueds étaient des refuges idéals pour tendre une embuscade. Mon cœur battait avec le moteur du camion qui escaladait les pentes de la montagne. Il se balance et chavire !

Le convoi continue malgré tout de s’étirer lentement à la vitesse du temps ! Car ici, il n’y a pas de temps ! Il n’y a que la vie ! La vie qui se bat et la vie qui fuit. La curiosité qui m’anime de cet avenir dont j’ignorais totalement mon destin. Après avoir avalé une vingtaine de kilomètres de route goudronnée, nous attaquons vaillamment une piste sinueuse et chaotique. Notre ascension vers la montagne se fait doucement, il faut éviter le nid-de-poule, les cailloux trop gros ou même des rochers tombés par hasard.

La poussière jaunâtre nous suit comme un nuage et nous engloutit dans son ventre plein de poussière. Il faut tenir le coup, c’est la loi de la guerre. Je continuais de temps en temps à observer tous ces hommes qui semblaient vivre malgré tout, leurs fusils à la main, prêts à claquer un coup de feu et tirer à la moindre alerte. Une fois arrivé vers le sommet infini de cette montagne, nous dévalâmes aussitôt une descente pentue, mais rapide avec ses ravins s’imbriquant les uns dans les autres, attendant comme des crocodiles sur une berge prêts à dévorer leurs proies. La moindre faute du chauffeur, une roue qui dérape où qui glisse sur un talus et c’est le drame. Ici parfois on a plus peur de l’accident que d’une balle de fusil. Mais les chauffeurs paraissent avoir de la maîtrise et du talent. Ils arrivent à contrôler parfaitement leurs engins, car ils savent que les hommes qu’ils transportent leur font confiance, leurs vies dépendent entièrement de leur salut.

Nous sommes maintenant dans la vallée de BouzinaLes et les montagnes ne sont plus qu’un vieux souvenir. Le convoi reprit son souffle et les hommes aussi. On roule à vive allure, traversant les oueds, asséchés par une saison d’été aride.

En saison de pluie, ces endroits sont chargés d’eau submergeant ces lieux et ces berges avec leurs crues en furie, emportant tout sur leurs passages, ne laissant aucune chance à leurs victimes. Malgré la chaleur suffocante, le convoi arrive enfin à bon port, car la nuit commençait à devenir menaçante, ouf il était temps ! Notre terminus était une compagnie de chasseurs à pied implantés dans ces lieux sur une colline dominante.

Le poste militaire était érigé sur ce plateau avec des murs surélevés de deux mètres entourant la caserne. Un vrai château fort, pour les quelque 200 bidasses qui y vivaient, pour certains d'entre eux étaient des anciens, ils sont là depuis des mois. Je fus frappé par leurs moyens logistiques, une vraie force de frappe déployée à chaque coin de la caserne. Des armes lourdes, telle que le mortier à longue portée, mitrailleuse 12 – 7, à vrai dire des armes que je ne connaissais pas bien, même les half-tracks étaient positionnés de chaque côté de l’édifice, exhibant leurs armes vers le village de Bouzina en contrebas où vivent quelques centaines d’âmes. En cas d’attaque, l’adversaire n’avait aucune chance de prendre ce poste militaire fortement armé.

Tandis que les jeunes soldats français continuaient de s’ébattre dans leur vie militaire, la tenue à moitié dénudée, habillée d’un short, le torse nu, exhibant leurs pectoraux d’athlètes. Toujours bien caler dans le camion avec les harkis, je pouvais ainsi constater la différence entre ces Français venus d'ailleurs, parfaitement structurés et organisés grâce à leur instruction, alors que mes compagnons de fortune ne sont que des ignares de par leur statut d’analphabètes, il y avait comme un manque de considération à leur égard. Après une vingtaine de minutes d’attente dans cette ambiance de chaleur et de sueur, l’officier Gammard semblait maintenant avoir fini son entretien avec son homologue hiérarchique. Nous avions pu enfin rejoindre notre destination finale, la S.A.S de Bouzina, qui était située à une centaine de mètres environ en contrebas du poste militaire dominant. La descente fut facile avec quelques virages à droite puis à gauche.

Dans notre 4/4 Renault, secoués sans cesse, nous voilà arrivés dans un amas de gourbis où vivaient environ une soixantaine de harkis dont un grand nombre marié avec leurs enfants. Un Nouveau Monde, car ici je ne connaissais personne et je suis bien seul au milieu de tous ces étrangers. J’ai surtout été frappé par la différence du statut de ces Harkis, la comparaison avec les militaires que je venais de voir auparavant. Ces hommes-là, n’ont aucun savoir, ils sont tout simplement guidés par un destin aveugle. Leurs armes, de vieux fusils dont la longueur dépassait parfois le bonhomme. Leurs habits étaient faits de treillis et de djellabas, un calot ou un chèche leur servant de couvre-chef, des pataugas usés jusqu’à la trame, les plus fortunés avaient de vieux brodequins qu’ils recouvraient fièrement d’une bonne couche de cirage. Bref, la vie ici semble être de la survie.

Suite :

Ces hommes analphabètes, dont l’âge frappe l’imagination. Il y a une différence entre le plus vieux qui paraît la soixantaine et les plus jeunes tout juste 16 ans. La France, maîtresse du terrain, maîtresse du pouvoir, maîtresse de la vie et de la mort, semble profiter de toute sa puissance pour dominer ceux qu’elle a toujours rabaissés. Pratiquement aucun de ces hommes ne savait ni lire ni écrire et cela se voyait dans leurs comportements,

Une seule croix apposée sur un document faisait foi de leur engagement. La France a dominé leur faiblesse dont elle a su juguler et porte pleinement la responsabilité. Elle a toujours fait de ces pauvres bougres de la chair à canon. Avec un flash-back, comment ne peut-on pas se poser des questions à propos d’une telle attitude injuste et contraire à la morale humaine ?

La France porte une habilité incontestable devant l’histoire et l’humanité pour son crime envers ces hommes, pas un seul d'entre eux n’avait une vraie lucidité sur la situation dans laquelle ils ont été embarqués. Certains ne pourront jamais les comprendre, parce qu’ils ne voudront jamais les comprendre ?

Aujourd'hui, les réponses semblent plus faciles que les questions. Après avoir découvert les états de ces lieux, je me suis présenté à un caporal chargé des services logistiques dont il a la charge de réceptionner et de conditionner le camp des harkis. Mon premier abord avec lui fut impressionnant, l’homme d’un âge mûr.

Le visage dur et sec, un front plissé, des dents toutes en or lui décore la bouche. Plein d'autorité, il engage la conversation avec moi. Le ton est fort, il parle l’arabe, mais ne comprend pas un mot de chaoui, et c’est à moi de le comprendre, car pour lui le chaoui n'est pas une langue. Il commence par me donner une petite leçon sur sa vie de soldat en Indochine et tout son passé de guerrier, moi je faisais semblant d’écouter ses paroles, pour ne pas le contrarier. Mais, pour moi, la question principale était mon travail de mécanicien pour lequel je voulais faire référence avec lui pour éviter tout malentendu concernant ma présence dans ce milieu.

Comme pour éluder ma question, le caporal me confirma que je suis le bienvenu comme mécanicien dans son équipe. Il me conduit ensuite dans une espèce de gourbi transformé en poste d’avant-garde qui servait de guérite pour riposter contre d’éventuels assaillants. Quelques harkis s'y trouvaient à l’intérieur de ce vieux gourbi, ils étaient tous allongés sur des nappes d’Alpha à même le sol, attendant probablement leur tour de garde de la nuit. Il m’indiqua avec autorité le coin où dormir.

J’ai dû prendre quelques couvertures rangées sur une vieille étagère où étaient stockés des effets militaires. Dans la pénombre de la soirée, j’ai pu inspecter furtivement le quartier exigu qui servait de refuge à ces hommes qui semblent être lancés bon gré mal gré dans une guerre sans connaître ses vraies conséquences. Lors de cette démarche personnelle, je fus attiré par le regard d’un de ses anciens harkis, il paraissait vouloir me dire quelque chose. Il ne tarda pas à m’adresser la parole pour faire connaissance avec moi. Le jeune homme que je fus était sans repère. Par curiosité, je me suis rapproché de lui. Après nos rituelles salutations, le vieil homme, m’occultât soigneusement avec un regard sympathique. Le front plissé, des joues creusées par la fatigue de l’âge, apparemment lui aussi il s’est approché de moi. Son bout de cigarette collé aux lèvres et son calot rouge coquelicot sur la tête, il se mit près de moi avec délicatesse. Il voulait que nos voix soient inaudibles et me parler avec douceur : -d’où viens-tu mon garçon ?

— Je viens d’Arris, lui ai-je répondu spontanément.

— D'Arris, me dit-il, l’air surpris ?

— Moi aussi je suis d’Arris, je m’appelle Ali SNP, mais on m’appelle Bacha. — Moi, je m’appelle Sadouni,

— Sadouni ! Tu ne serais pas le fils à Ali.

— Oui, exactement, c'est mon père.

— Ton père est un vrai ami pour moi, j’ai beaucoup d’estime pour lui. – Connais-tu quelqu’un à Bouzina ? – Non, je ne connais personne.

– Écoute-moi, mon garçon, dans ce cas, pour ta première soirée dans ce pays. Je t’invite à venir chez moi ce soir, cela fera plaisir à ma femme, elle-même est native d’Arris. Pendant, que nous discutions de choses et d’autres, la nuit est maintenant partout, quelques harkis ont rejoint leur poste de garde comme sentinelle, Ali me suggère de rentrer pour pendre le dîner. Chez les chaouis, c’est toujours une tradition d’offrir l’hospitalité à un étranger et à ceux qui ne se sont pas encore établis. Effectivement pour ma première soirée, mon nouvel ami m’accueilli dans son logis ou Aldjia sa femme me reçu avec gentillesse et amitié.

J’ai tout de suite remarqué en elle son tatouage de femme berbère qui rehausse avec éclat son beau visage. De nature et grâce à notre éducation, j’avais un comportement très timide face à une telle situation, car je n’avais pas encore toutes les notions d’une personne adulte. Aldjia avait beaucoup de charme malgré son âge et se tenait toujours droite dans ses belles gandouras multicolores. Elle avait aussi une autre qualité, celle de faire de la bonne cuisine Chaouia.

Ali m’invita à m’asseoir par terre sur une nappe autour d’un plat en bois remplis de couscous encore fumant que sa femme venait de déposer devant nous avec des cuilleres également en bois. Tandis que nous dégustions cette bonne pitance, Ali se montra à la fois curieux et sage concernant ma venue dans la SAS.

– Ton père est un grand ami à moi, me dit-il très honoré, lorsque j’ai besoin de lui pour écrire mes lettres en arabe ou en français, il était toujours là pour moi, comme pour les autres d’ailleurs.

– Ton père est un homme serviable. Je l’admire beaucoup, c’est un vrai ami, on a même fait la guerre mondiale ensemble. Pendant qu’Ali me parlait, je l’écoutais avec attention. – mais dis-moi, fiston ! Sans indiscrétion, ton père sait-il que tu vas devenir harki ? –Non, répondis-je avec étonnement !

Je ne suis pas venu ici pour être harki, je suis venu comme mécanicien, lui dis-je avec insistance ! C’est surtout pour faire l’entretien des véhicules de la SAS. Mais Ali fit d’abord la moue avec un certain scepticisme et m'exprima avec un regard plein de douceur :

– Tu sais Brahim, dans ce monde, on ne peut jurer de rien et l’on ne sait vraiment pas où l’on va ! Cette soirée fut pour moi un bel accueil et rassurant. Je remerciais chaleureusement Ali et Aldjia, puis j’ai regagné dans une obscurité totale ma couche pour passer ma première nuit. En dépit d’une obscurité lugubre.

Je réussis à retrouver mon domaine. J’entre délicatement dans une petite pièce exiguë en forme de boite à sardines où étaient allongés côte à côte quelques harkis qui semblent dormir à poings fermés. Une bougie chancelante avec sa lumière pâle était posée sur une grosse pierre Après avoir pris ma place par terre sur la nappe, quelques questions me titillèrent l’esprit ?

Le souci sur ma nouvelle position était-il réel où un cauchemar ? Tout en fuyant les réponses, je ruminais dans ma tête les souvenirs d’une journée aussi chargée. Tandis que je cherchais mon sommeil malgré ma position couchée sur un sol dur et froid, je bute sur cette question difficile, voulant plus prêter attention au reste du monde. Mais mes songes s'arrêtèrent net, lorsque quelque chose me surpris et me fis sursauter, un coup de feu comme un coup de tonnerre vint de crever cette bulle de silence de la nuit.

Puis l’écho de la poudre, un silence retombe, aussitôt dehors des cris s'élèvent vers le ciel, des appels de secours et les appels des autres aux armes sont lancés dans la nuit sombre. On a tiré sur la sentinelle, toujours les cris des uns, le feu à volonté des autres. Les quelques harkis qui étaient là à l’instant devant moi se sont subitement envolés en quelques secondes comme des moineaux, les tirs qui se succédèrent aux tirs. Je réagissais, mais sans comprendre à tout ce tohu-bahut. L’orage a duré un bref instant ! Après le calme revint avec la peur qui s’installa en nous. J’entendis des voix qui commencèrent à s’élever à l’extérieur, on a tiré sur la sentinelle ! Il est mort ! Venez, venez vite !

Des pas succèdent aux pas à l’extérieur, avec tout ce brouhaha, j’étais sonné et je me suis assis pour retrouver mes esprits, cherchant parfois un regard rassurant, j’étais sans voix, presque sans vie lorsque je vis le mort. À la suite de quelques minutes, quatre hommes déposèrent dans la pièce un corps inerte. Frappé à mort, la tête retombée vers l’arrière, rougit par le sang. Les harkis déposèrent délicatement l’homme sur une couverture étalée à même le sol, juste là à côté de moi. Mon regard n’a pu supporter longtemps l’image d’un jeune homme qui venait de perdre la vie par une balle lui traversant la gorge. Quelques-uns hurlaient dans la nuit, c’est la sentinelle ! Disait l’un, il était en train de fumer, c’est un idiot, reprit l’autre, il faisait un point rouge total ! Une cible idéale pour l'ennemi, hurlaient encore d’autres harkis, venus en renfort pour voir le cadavre livide.

Fin de la 1er partie

Sadouni Brahim.

Cliquez sur la photo pour en savoir plus sur mr Sadouni

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