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Depuis l’ancien camp de Saint-Maurice, les harkis demandent réparation

Hocine Louanchi lors de sa prise de parole sur le camp de Saint-Maurice-l'Ardoise, ce samedi (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)L’ancien camp harki sert aujourd’hui de terrain d’entraînement à la légion étrangère (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Les années passent, mais les revendications restent pour les harkis, rassemblés ce samedi matin sur le site de l’ancien camp de transit de Saint-Maurice-L’ardoise, à Saint-Laurent-des-Arbres.

C’est Hocine Louanchi, meneur de la révolte de 1975 qui a mené à la fermeture du camp dans lequel étaient parqués plusieurs milliers de harkis l’année suivante, qui, plus de 45 ans après, assume encore ce rôle. Le président de la Confédération des Français musulmans rapatriés d’Algérie et leurs amis, qui a pris en otage avec trois complices le directeur du camp à la mairie de Saint-Laurent au printemps 1975 après avoir été convaincu de passer à l’action par le militant harki M’Hamed Laradji, garde une colère intacte de ces années-là.

Des années qui ont vu la France, entre 1962 et 1976, utiliser ce camp qui avait servi par le passé à retenir des prisonniers allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, puis des Algériens soupçonnés d’appartenir au FLN, puis des militants putatifs de l’OAS, pour y regrouper entre les barbelés et les miradors des familles de harkis, ces Algériens qui avaient choisi de défendre la France lors de la guerre d’Algérie.

Hocine Louanchi lors de sa prise de parole sur le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, ce samedi (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

« On était dans des baraques, il n’y avait pas d’isolation, rien », se remémore Saïd Badji, qui a passé un an et demi à Saint-Maurice-L'ardoise avant d’être envoyé avec sa famille dans le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Et si les conditions ici étaient plus que spartiates et encadrées par une discipline militaire, « par rapport à Rivesaltes, c’était presque le Club Med », glisse-t-il. À Saint-Maurice, « il y avait sept villages, avec des WC collectifs et une douche collective, nous vivions dans une peur permanente des représailles, avec une discipline militaire, tout le monde était dépersonnalisé », rejoue Rachid Guemrirene, présenté comme « la mémoire du camp » par les harkis. « Ce qui m’a marqué, c’était l’humiliation », ajoute-t-il.

Rachid Guemrirene a passé 13 ans dans ce camp, dans ces baraquements de trois pièces sans portes « pour tout le monde, que vous soyez une famille de trois ou de quinze, avec extinction des lumières à vingt heures », se remémore-t-il. L’école était située à l’intérieur du camp, où on trouvait aussi des geôles. Aujourd’hui, il faut avoir une bonne imagination pure se figurer le camp : il n’en reste qu’une dalle de béton et un escalier. Les légionnaires du régiment tout proche utilisent ce terrain militaire pour leurs exercices.

Une pierre de plus dans le jardin des harkis. « Le camp de Saint-Maurice est un haut lieu de mémoire des harkis et de la révolte, nous le revendiquons jusqu’au dernier millimètre », lance Hocine Louanchi. C’est ici qu’après avoir écouté M’Hamed Laradji dire « Jeunes, révoltez-vous, vous n’êtes pas venus en France pour vivre dans un ghetto », Hocine Louanchi et ses acolytes Mohamed Laref, Mebarki Berezoug et Mohamed Bouriah ont mené la prise d’otages de la mairie de Saint-Laurent-des-Arbres. « Après, la France a commencé à tendre l’oreille », affirme-t-il. « Il n’y a que des actions comme ça que le Gouvernement écoute », lance Rachid Guemrirene.

De fait, cet acte aura de grandes répercussions. « Ce camp, ce n’est pas l’État qui l’a fermé, c’est nous », martèle Hocine Louanchi encore aujourd’hui. Ce camp, les harkis veulent en faire un lieu de mémoire, aussi car certains d’entre eux y ont été enterrés. « Où sont enterrés nos morts ? », lance-t-il, alors que des fouilles n’ont rien donné. « Ils n’ont pu chercher qu’à un seul endroit », regrette le militant, qui craint que ces harkis morts dans le camp n’aient été « incinérés comme à Rivesaltes ou donnés à la médecine. »

Les harkis revendiquent aussi « une grande loi de réparation, on n’obtient que des miettes », avance Hocine Louanchi. Le dispositif actuel est jugé largement insuffisant de l’avis général. « Les terres de mon père en Algérie je n’y ai pas accès, je veux une réparation », lance-t-il. Plus globalement, « il faut une réparation pour que les nôtres puissent terminer leur vie dignement », ajoute-t-il. « La France nous a volés ! », estime pour sa part Rachid Guemrirene, arguant de ces nombreux harkis ayant travaillé au noir dans le camp et qui « aujourd’hui ont des petites pensions de retraite. »

Rachid Guemrirene (à D.) milite pour une loi de reconnaissance pour les harkis (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Et à leur mort, leurs enfants ont parfois dû rembourser l’ASPA, l’aide accordée par l’État pour compléter les petites retraites des personnes à qui il manque des annuités, soit plusieurs milliers d’euros. « C’est le droit commun, mais les biens des harkis sont censés être insaisissables ! », s’étrangle Kamel Ben Moussa, militant harki. Il dit attendre une décision de justice prochaine qui doit faire jurisprudence. « Ce qu’on nous donne d’une main, on nous le reprend de l’autre », ajoute-t-il. 

L’argent est donc le noeud gordien de la question harka. « Le Gouvernement actuel, personne ne peut faire mieux que lui sur la reconnaissance, mais sur la réparation, aucun ne peut faire pire, tonne Rachid Guemrirene. Il a les caisses fermées. » Et la situation perdure, alors certains, comme Saïd Badji, n’y croient plus : « On aura des miettes, mais jamais une vraie loi de réparation », souffle-t-il. Il reprend : « La traitrise des hommes politiques français, je ne la pardonnerai jamais » , avant de rajouter que « même si le traumatisme est toujours là, j’adore la France et je suis très heureux d’être là aujourd’hui. »

28/05/2022

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