23 Mars 2022
Des harkis et leurs familles au camp de Rivesaltes après avoir quitté l'Algérie, le 16 septembre 1962 dans les Pyrénées-Orientales
Soixante ans plus tard, aigreur, larmes et colère: au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), devant les baraquements de fortune où ils vécu la faim, le froid et l'humiliation, des harkis et leurs enfants ont réclamé samedi le rétablissement de leur "honneur".
Au même moment à Paris, le président Emmanuel Macron commémorait le 60e anniversaire des Accords d'Evian et le cessez-le-feu en Algérie, plaidant pour un "apaisement" des mémoires sur les deux rives de la Méditerranée.
Hocine Louanchi, président de la Confédération des Français musulmans rapatriés d'Algérie et leurs Amis, lors d'un rassemblement au camp de Rivesaltes, le 19 mars 2022 à Salses-le-Château 24 © AFP, RAYMOND ROIG
"Nous sommes ici pour dénoncer la date de notre massacre. Le 19 mars 1962 n'est pas la fin de la guerre. Le 19 mars est la date à laquelle la France a désarmé mon père et l'a livré à l'ennemi", a lancé Hocine Louanchi, le président de la Confédération des Français musulmans rapatriés d'Algérie et leurs Amis, à l'origine du rassemblement.
Près de 300 personnes ont répondu présentes, dont plusieurs anciens militaires français. Le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, était également présent.
Jusqu'à 200.000 harkis ont été recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), mais au lendemain des accords d'Evian, le gouvernement français a rejeté leur rapatriement massif.
"Pour tourner la page sans la déchirer, nous demandons aux politiques une loi de réparation à la hauteur de nos souffrances", a martelé le septuagénaire qui a vécu neuf mois dans le camp de Rivesaltes.
Il faisait référence à la loi dite du "pardon", votée en février au Parlement, qui ouvre la voie à une indemnisation.
- "Des miettes" -
Des vétérans participent à un rassemblement de harkis au camp de Rivesaltes, le 19 mars 2022 dans le sud de la France 34 © AFP, RAYMOND ROIG
"Des miettes!", enrage M. Louanchi, encore profondément traumatisé par le sort réservé à son père, "arrêté et torturé" en Algérie après "son abandon par la France".
Seuls 42.000 harkis ont été évacués en France par l'armée. D'autres y parviennent clandestinement et au total environ 90.000 personnes arrivent en France entre 1962 et 1965, notamment dans des camps, où des enfants perdront la vie faute de soins.
Le texte de loi, qui reconnaît "les conditions indignes de l'accueil" en France, prévoit une "réparation" financière du préjudice subi par ceux passés par ces camps. Le nombre de bénéficiaire potentiels est estimé par le gouvernement à 50.000.
C'est "inique", "indécent", considère Jeanette Driss, 58 ans.
"Cette loi équivaut à inscrire dans le marbre une discrimination à l'égard d'une même communauté de destin", dit la femme aux yeux noirs, estimant que le texte exclut une grande partie des descendants de harkis, qui n'ont pas forcément vécu dans les camps, mais "qui ont autant souffert".
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Un peu plus loin, une femme de 70 ans montre à une amie le baraquement en béton où elle a vécu, aujourd'hui rongée par la végétation. "Souviens-toi, on dormait sur des palettes. On avait tellement froid!", se souvient Abessia Dargaïd.
Ses frères jumeaux, nés dans le camp, y sont morts.
- "Trop tard" -
"J'aurais voulu que mon papa soit là pour écouter le pardon de Macron", dit la septuagénaire, fondant en larmes. Elle estime que la loi de "réparation" arrive trop tard.
Assise sur un banc, un foulard blanc lui recouvrant les cheveux, Zinel Aggabi, 83 ans, murmure: "c'est douloureux de revenir ici. Tout ressort d'un coup. Trop d'horreurs, trop d'horreurs".
Le seul bon souvenir du camp de Rivesaltes, où elle est arrivée quand elle avait 20 ans, "c'est que j'y est rencontré mon mari", sourit la vieille dame.
Hocine Louanchi, président de la Confédération des Français musulmans rapatriés d'Algérie et leurs Amis, lors d'un rassemblement au camp de Rivesaltes, le 19 mars 2022 à Salses-le-Château 2/4 © AFP, RAYMOND ROIG
Pour elle, comme pour tous les harkis, leurs femmes et leurs enfants, M. Louanchi réclame "le rétablissement de leur honneur". "Il faut qu'on rentre dans l'Histoire, le pardon ils peuvent se le garder", assène-t-il, amer, demandant notamment à la France d'accorder la Légion d'honneur à tous les harkis encore en vie.
Et faire entendre cette voix depuis le camp de Rivesaltes, "haut-lieu de nos souffrances", était primordial pour lui.
Un choix que ne comprend pas Fatima Besnaci, historienne et co-fondatrice de l'association Harkis et droits de l'homme. "Porter des revendications politiques dans un lieu où des personnes ont été enterrées à la va-vite me semble d'un décalage énorme", s'indigne-t-elle.
19/03/2022
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