15 Avril 2024
Ghalia Thami à la recherche de son frère enterré, le combat d’une vie
La native d’Oran a vécu quelque temps dans le camp de Rivesaltes avant d’arriver en France. Là-bas, elle y a perdu son petit frère, enterré ensuite dans un cimetière sauvage. Récit.
Après la promulgation de la loi sur la reconnaissance de la nation envers les Harkis, Ghalia Thami mène un combat de longue haleine, pour que commencent enfin, les fouilles dans le camp de Rivesaltes. En effet, il existe des cimetières sauvages, dont on a perdu la trace, dans les camps, et les familles veulent donner une sépulture digne aux défunts.
Née à Oran, suite à l’indépendance de l’Algérie, Ghalia Thami émigre avec sa famille en France à la fin de la guerre. " Nous avons été amenés en transit au camp de Rivesaltes, j’avais 8 ans. Nous vivions dans des conditions indicibles, dans des tentes, entourés de fils de fers barbelés, sans hygiène. Nous avons énormément souffert du froid, nous avions des engelures aux pieds, c’était très douloureux ", se souvient-elle.
Sa maman accouche dans des conditions très rudimentaires d’un petit garçon qui décédera trois jours après. " Je ne sais pas dans quel endroit du camp, il a été enterré. Tout le monde s’est muré dans le silence. "
Quelques jours après, la famille part à Villemagne, dans le Gard.
" Ma maman est décédée à l’âge de 48 ans, avec ses secrets. Je me suis sentie un peu inachevée, car nous n’avons pas pu parler de mon petit frère. Mais nous avons grandi et nous nous en sommes bien sortis. "
Retour au camp
Il y a deux ans, Ghalia a fait un voyage mémoriel à Rivesaltes. " Je ne savais pas quelle réaction j’allais avoir. Mais, quand je me suis retrouvée devant la stèle avec le nom de mon frère, tout m’est revenu. J’ai craqué. Où sont enterrés les corps ? J’ai alors rencontré Nadia Gouafria qui, grâce à un travail acharné et tous les obstacles, a découvert vingt-sept tombes dans le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, dans le Gard. Je suis allée la rencontrer et j’ai vu ce cimetière dans un terrain vague et j’ai cette image, à jamais gravée dans ma mémoire. "
Nadia Gouafria, quant à elle, a découvert ce camp grâce à ses recherches, notamment aux Archives départementales. " Pour ma part, ma petite sœur est décédée à Marseille et a été enterrée, elle aussi dans un camp. Nous sommes très concernées par ces cimetières sauvages. Il faut être tenace. Nous savons qu’il en existe un à Rivesaltes, il faut se battre. Notre union fera notre force ", souligne Nadia Gouafria, la présidente de l’association Soraya Mémoire.
" Faire notre deuil "
Soixante-deux ans après ces événements, Ghalia Thami se bat pour que les fouilles commencent à Rivesaltes. Elle a saisi la Secrétaire d’État, car les fouilles devaient commencer ce printemps 2024, mais ont été interrompues pour des problèmes administratifs et écologiques. " Quand allons-nous arriver à trouver ce cimetière et retrouver les corps, pour que les familles puissent se recueillir sur des tombes ? ", se demandent les deux femmes. 146 personnes sont enterrées, dont 85 % de bébés. " Notre combat avec Nadia est de faire accélérer les choses. Ma mère est partie trop tôt, sans savoir où était le corps de son enfant. Aujourd’hui, j’ai hérité de ce choc traumatique et c’est mon devoir de prendre mon bâton de pèlerin, mener mon combat pour la mémoire de ma mère et pour tous ces êtres meurtris ainsi que la mémoire des familles qui sont touchées dans leur chair par cette atrocité. Pour qu’on puisse enfin vivre tranquille et faire notre deuil. "
15/04/2024
- Abonnez-vous gratuitement -