10 Avril 2015
LA REALITE "Ces évènements allaient servir à la propagande des excitateurs des foules musulmanes." Colonel Groussard Soixante cinq ans plus tard, un autre excitateur de foules, Bouchareb, reprenant le mythe de la répression massive, lancé par la radio du Caire et par les frères musulmans, à cette époque, tente à son tour, d’exciter les populations musulmanes de France et d’Algérie à travers son film-fiction « Hors la loi » et de la propagande qu’il véhicule.
Si, la plus grande part d’entre nous, survivants de la guerre d’Algérie, n’a pas connu l’insurrection de 1945 à Sétif et dans sa région, nous savons, pour l’avoir vécue, que celle de 1954 à 1962 n’a épargné, ni femme, ni enfant, ni vieillard,
dans la communauté européenne.
L’horreur des crimes qui nous sont décrits dans ce rapport ne nous sont pas inconnus. Nous les avons côtoyés, même pour certains d’entre nous subis, pendant ces sept longues années. Ce rapport des évènements de 1945 ressemblent en tous points aux massacres subis par notre population pendant ce que l’on nomma les « évènements d’Algérie ». Il est, on ne peut plus, identique à la réalité que nous avons vécue. Et tout ce que peuvent et pourront encore inventer les criminels qui les ont perpétrés, ne pourront jamais travestir les faits réels qui se sont produits. Voici, dans son intégralité, le récit circonstancié des émeutes qui ont vu le jour, à Sétif, le 8 mai 1945 et de la répression qui suivit cette insurrection, par
le colonel Adolphe GOUTARD, historien militaire, tel qu’il l’a écrit pour Historia Magazine La Guerre d’Algérie.
Sétif était une subdivision de la division territoriale de Constantine que commandait le général Duval. Nul mieux que lui n’a défini l’insurrection qui embrasa cette subdivision. « Dès le 8 mai, écrit-il dans son rapport, l’insurrection prend le caractère de la guerre sainte, de la djihad. Elle se développe avec une soudaineté, une violence et un fanatisme qui démontrent que l’âme fruste du berbère n’a pas changé depuis des millénaires. L’insurrection s’est déroulée sous le signe de la haine du roumi et de la France. Elle n’a épargné ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfants. Ceux qui ont vu les scènes de carnage et les corps atrocement mutilés en garde une impression d’horreur. »
C’est jour de marché. De nombreux indigènes venus des douars voisins emplissent les rues.
Vers 7 heures, un rassemblement se forme devant la mosquée. La troupe scoute musulmane Kechafat el-Hyat est autorisée à défiler pour se rendre au monument aux morts. Vers 8h30, elle se met en marche, suivi par un cortège de
7 000 à 8 000 personnes. En tête, trois hommes portent un drapeau français et deux drapeaux aux couleurs du prophète. Derrière eux apparaissent des pancartes sur lesquelles on lit : Libérez Messali ! Nous voulons être vos égaux ! Vive l’Algérie indépendante ! Vers 9 heures, le cortège arrive rue de Constantine où il se heurte à un barrage de police.
Le commissaire central somme les manifestants de faire disparaître les pancartes séditieuses. Sur leur refus, la police essaye de s’en emparer. C’est le signal de la bagarre. Des coups de feu éclatent. Le cortège se disperse et les manifestants se répandent dans la ville assaillant à coups de pistolet, de couteau, ou de bâton, les européens rencontrés dans les rues ou assis à la terrasse des cafés. On entend les cris de N’Katlou ennessara ! (Tuons les européens !).
Les femmes poussent de stridents you-you. Rue Sillègue, M. Deluca président de la délégation spéciale s’efforce de calmer les excités. Il est abattu. D’autres meurtres sont commis. Quand vers, midi l’ordre est rétabli, on relève dans les rues vingt et un cadavres d’européens.
D’après le procès verbal détaillé, on voit que treize de ces cadavres ont le crâne complètement enfoncé, un est éventré et un autre émasculé. Dans l’après midi, les troubles s’étendent au nord de Sétif. *A El ouricia, à 12 kilomètres, l’abbé Navarro est abattu. *Aux Amouchas à 10 kilomètres plus au nord les maisons européennes sont pillées mais leurs habitants ont pu fuir. *A Périgotville, les insurgés pénètrent dans le bordj et s’emparent de 45 fusils Lebel, et de 10 000 cartouches puis ils attaquent les européens et pillent leurs maisons.
Au soir, quand le village sera dégagé, on relèvera 12 cadavres sauvagement mutilés. *A Sillègue, le garde champêtre M. Mutschler est tué ainsi que sa femme et le cantonnier. Les maisons européennes sont pillées puis incendiées. *A La Fayette, de gros rassemblements d’indigènes se forment mais sur l’intervention de l’administrateur, aidé par des notables musulmans, les attroupements se dispersent. Il n’en est pas de même malheureusement à Chevreul, à 60 kilomètres au Nord de Sétif.
A 2 heures du matin, le village est pillé et incendié. La plus part des européens s’étaient réfugiés à la gendarmerie, mais ceux qui ne l’avaient pas pu sont massacrés et mutilés. Le lendemain quand les secours arriveront, on trouvera 5 cadavres dont ceux de trois hommes émasculés.
Le garde forestier Devèze et les agents des Ponts et Chaussées Coste et Bovo et ceux de deux femmes : Madame Devèze et Madame Bovo, celle-ci est mutilée des deux seins. En outre quatre femmes ont été violées dont Mme Ruben, âgée de 84 ans, madame Grousset et sa fille Aline âgée de 15 ans. Pour ce premier jour on dénombrera au total dans la subdivision de Sétif : 84 tués dont 13 femmes.
Dans l’après midi du 8 mai, autour de la place du marché ou les associations patriotiques se sont réunies pour célébrer l’armistice, de nombreux indigènes se massent portant des pancartes et l’étendard du prophète.
Quand le cortège arrive devant le monument aux morts, les manifestants se mettent à scander : libérez Messali ! Tapant des mains en cadence et levant l’index vers le ciel. L’intervention de la police déclenche une bagarre à laquelle met fin l’arrivée d’un renfort de policiers. Bilan 46 blessés chez les agents et les civils européens, un tué et 30 blessés chez les manifestants. Le 9 mai, un nouveau foyer s’allume autour de Guelma ; Croyant la ville aux mains des insurgés, de nombreux groupes de musulmans armés descendent de leur montagne sur Guelma mais ils se heurtent au bataillon d’instruction du 7° tirailleurs et aux civils français que l’énergique sous-préfet Achiary a fait armer conformément au « Plan de défense des centres de colonisation ».
Cependant les abords et les communications ne seront dégagés qu’à partir du lendemain avec l’aide du groupe mobile motorisé de Combourieu envoyé d’urgence de Tunisie. Dans les départements d’Alger et d’Oran l’ordre n’est pas troublé. En somme, le 8 mai 1945 un foyer insurrectionnel a éclaté à Sétif, fief de Ferhat Abbas et de ses « Amis du Manifeste » et a gagné les environs. Il s’agit maintenant d’éteindre cet incendie avant qu’il se propage dans toute l’Algérie. Le 8 mai 1945, les unités de campagne de la division de Constantine sont en Allemagne.
Pour maintenir ou rétablir l’ordre dans cette immense région sous-administrée qui comporte des massifs comme ceux de l’Atlas tellien, de l’Aurès et des Babors, difficilement pénétrables, le général Duval ne dispose que d’un effectif total de 9 000 hommes en grande partie composé de dépôts et unités de garde, inemployables en opérations. En fait, il n’a, comme éléments mobiles, que le 15° régiment de tirailleurs sénégalais, un bataillon de marche du 3° zouaves, le 9° spahis, privé des deux escadrons détachés en Tunisie, un escadron motorisé de la garde, un peloton motorisé de légion, un goum marocain et un groupe d’artillerie.
La gendarmerie n’a que 523 gendarmes présents disséminés sur tout le territoire en 74 brigades. Il est évident que, pour arrêter le massacre avec si peu de moyens et avant l’arrivée d’importants renforts d’Algérie et du Maroc, il fallait agir vite et fort. C’est ce que le général Duval exposera au ministre, par lettre du 26 mars 1946, en réponse aux accusations de Ben Djelloul : « J’ai hautement conscience, non pas d’avoir dirigé des opérations de répressions, mot qui choque mon sentiment de soldat et de français, mais d’avoir rétabli la sécurité en limitant, dans la mesure du possible, l’emploi de la force… Si le mouvement insurrectionnel n’avait pas été étouffé à ses débuts, l’incendie aurait embrasé tout le constantinois, puis l’ensemble de l’Algérie.
Il me souvient non sans émotion de la période critique, qui dura jusqu’au 18 mai, où l’on sentait les masses indigènes des campagnes en transes et poussées à la guerre sainte, guettant la proie facile des villages et des fermes isolées, prêtes à se lancer au pillage au premier succès d’émeute. » Le 7 mai au soir, inquiété par certains renseignements, le général Henry Martin, commandant le 19° corps et la X° région militaire à Alger, avait prescrit à ses trois divisions territoriales Alger, Oran et Constantine, de constituer des piquets en armes.
En conséquence, le 8 mai à 5 heures, le colonel Bourdila commandant la subdivision de Sétif qui dispose de la valeur d’un bataillon fait rassembler dans la cour de la caserne deux compagnies, faisceaux formés, avec ordre au chef de détachement d’ «éviter à tout prix, s’il doit intervenir, de faire usage des armes, sauf le cas de légitime défense ».
A 9 heures, un agent de police arrive en courant à la subdivision, et se précipite vers le colonel : «Mon colonel, on tire du côté de l’Hôtel de France !». Aussitôt, l’ordre est donné au commandant Rouire de se porter avec le détachement dans le centre de la ville.
La troupe s’y rend au pas cadencé. Le chef de bataillon s’avance avec un clairon au-devant des manifestants et ses sommations, sans aucun coup de feu, aident la police à dégager le centre de la ville.
A 11 heures, le commandant Rouire reçoit l’ordre de se porter avec une compagnie au marché arabe où, comme nous l’avons vu, plusieurs milliers d’indigènes sont aux prises avec la police. Là, sa troupe repousse les manifestants à coups de crosse, sans tirer, malgré la découverte exaspérante de cinq cadavres d’européens affreusement mutilés. Vers midi, le calme est revenu à Sétif, où l’on relève les 21 cadavres d’européens que nous savons. Mais l’insurrection a gagné les environs.
A 10 heures, la division de Constantine a reçu ce message de Sétif :« Emeutes ont éclaté. Morts et blessés dans la population européenne. Situation semble très grave. » Un second message dit : « Rassemblement inquiétants à Oued-Zenati » Le général Duval dirige alors de Philippeville sur Sétif un peloton de 5 half-tracks de la garde mobile et une compagnie du 15° sénégalais en camions. Le peloton de la garde arrive à Sétif à 15H30. On lit dans le journal de marche de l’unité : « De Sétif, le half-track du capitaine Mazucca repart immédiatement pour dégager Périgotville, qui est encerclée. Aux abords de ce village, le half-track est stoppé par un barrage de pierres et pris sous des feux assez nourris.
Les balles s’écrasent contre le blindage. Il riposte à la mitrailleuse et fait sauter le barrage. Son arrivée dans Périgotville coupe court aux massacres. Une douzaine de cadavres sont relevés, sauvagement mutilés. Les faces sont en bouillie. De larges flaques de sang s’étalent sur le seuil des maisons aux portes ouvertes. Poursuivis par le feu des mitrailleuses, les assaillants se retirent dans le djebel. » Quant à la compagnie sénégalaise, retardée par des pannes, elle n’arrive à Sétif qu’à 22 heures. Une partie est aussitôt envoyée sur Sillègue, qu’elle trouve en flammes à 2 heures. L’autre partie, comprenant deux sections sous les ordres du lieutenant Bentegeat, est dirigée sur Aïn-Abessa, à 18 km au nord de Sétif.
Quand elle y parvient, vers 1 heure, la situation est la suivante : depuis la veille au soir, le bordj où la population européenne s’est réfugiée et dont la défense a été organisée par le chef de brigade de gendarmerie, est assiégée par un millier d’indigènes conduits par Debache Seghir, membre influent des « Amis du Manifeste ». Ils arrosent le bâtiment de rafales de mitraillette et de coups de fusil. A l’arrivée du lieutenant et de sa petite troupe, les assaillants se retirent. Une patrouille envoyée dans le village délivre la famille Heyberger, également assiégée dans sa maison. La patrouille arrête plusieurs des assiégeants, pris les armes à la main, dont le secrétaire général des « Amis du Manifeste ». En fouillant le village, on découvre le cadavre de M. Fabre, tué à coups de pistolet et de gourdin.
Autre délivrance :
Le 9 mai, au matin, le lieutenant Poutch est envoyé avec un petit détachement sur Kerrata. Il fait irruption dans le village en plein massacre ! Son arrivée y met fin. On lit dans son rapport :
« Nous trouvons cinq cadavres, dont ceux du juge de paix M. Trabaud et de sa femme. Vingt personnes se trouvent sur le toit d’une maison en flammes. Je réussis à les sauver et après avoir dispersé à la mitrailleuse les assassins, je rassemble la population européenne au château Dussaix, sous la protection des gendarmes. »
Autre sauvetage de justesse : celui de Chevreul.
Nous avons vu que le 8 mai, les habitants européens, qui avaient échappé au premier massacre, s’étaient réfugiés à la gendarmerie où se trouvaient en dépôt les armes du centre colonisation. Les deux gendarmes du poste les avaient distribuées aux hommes. La gendarmerie fut investie et le siège commença. Pendant toute la journée du 9 mai, les insurgés, postés aux alentours, tirèrent sur les fenêtres. Ils coupèrent la conduite d’eau, privant les assiégés d’eau potable. Dans la soirée du 9 mai, ils parvinrent à s’emparer du rez-de-chaussée. La défense se concentra alors au premier étage.
Ce n’est que le 10 mai au matin, qu’arrive devant Chevreul le détachement du commandant Rouire (une section de half-tracks et une compagnie de zouaves). Le commandant envoie une section à l’est du village et une autre à l’ouest pour le cerner. La section de l’est met en fuite les rebelles et capture des bourricots chargés de tapis et autre butin que les pillards abandonnent. « J’entre moi-même dans le village, avec des half-tracks, relate le commandant et je marche sur la gendarmerie. A notre arrivée, la joie et l’émotion sont intenses. Les habitants hommes femmes et enfants sont émus jusqu’aux larmes d’avoir été sauvés in extremis car les rebelles avaient déjà répandu de l’essence au rez-de-chaussée ».
Mais nos détachements ne peuvent intervenir partout.
Le 10 mai, à Tamentout, près de Djidjelli, la maison forestière est attaquée. Les deux gardes, leurs femmes et deux enfants de 10 et 3 ans sont massacrés.
Dans la subdivision de Bône, lorsque les gendarmes arrivent à Peitt, ils trouvent 4 cadavres affreusement mutilés, dont celui du gérant de la ferme Lucet, massacré par ses ouvriers indigènes.
En revanche, dans la subdivision de Constantine, une compagnie de zouaves et 2 half-tracks de la garde recueillent à Djemila, 5 européens qui ont été sauvés par les ouvriers indigènes du chantier archéologique.
Le 11 mai, au nord de Sétif, villes et villages sont dégagés. Refoulés vers le nord, les insurgés ont atteint la côte. Aux Falaises, dans le golfe de Bougie, ils tuent l’hôtelier, blessent grièvement sa femme et pillent l’établissement. Puis, ils marchent sur Mansourah, mais un bateau de guerre intervient et en quelques salves, les disperse.
Dans la subdivision de Constantine, 2000 indigènes armés de fusils, de haches, de faux et de bâtons se rassemblent près de Jemmapes, mais l’arrivée d’un détachement de Philippeville permet à l’administrateur de faire entendre raison aux chefs locaux des « Amis du Manifeste » qui renvoient leur troupe.
« Au soir du 12 mai, lit-on dans le rapport de la X° région, l’insurrection est jugulée. Cependant des régions étendues ne sont pas sûres. Leur coup fait, les insurgés se sont retirés dans la montagne. Ils ne descendent plus dans les villages, mais ils surveillent les routes. Des villages entiers sont vides, les européens les ayant évacués et les indigènes les ayant fuis de peur des représailles. Il reste à obtenir la soumission des rebelles réfugiés dans les massifs de Tamesguida, du Babor, et du Ta-Babor (arrondissement de Sétif) et dans les djebels Arouz et Mahouna (arrondissement de Guelma). C’est à cette tâche que la division de Constantine va s’employer à partir du 13 mai. »
Pour réaliser cette pacification, des renforts importants sont mis à la disposition du général Duval, commandant la division de Constantine qui peut, ainsi, comme il l’écrit lui-même :
« Envisager des actions méthodiques et profondes, caractérisées par la surprise, la rapidité et la puissance. L’idée directrice est la suivante :
· Dans un premier temps, délivrer les villages et les fermes encore bloqués et rétablir la circulation routière et ferroviaire et les communications par fil ;
· Dans un deuxième temps, par des opérations de police, réduire les bandes armées et en obtenir la soumission. »
On distingue trois zones opérationnelles : la zone est (Guelma), la zone centre (Constantine-Philippeville) et la zone ouest (Sétif), la plus dure.
Dans la zone EST, une première opération exécutée par un escadron de half-tracks du 9° spahis et un bataillon ne donne pas de résultats. Les dissidents ayant fait le vide devant la progression de nos troupes.
Une deuxième opération de même force est exécutée, le 20 mai, sur les douars au sud de Villars. De quelques mechtas, les indigènes tirent des coups de feu. Une centaine d’entre eux sont amenés à la gendarmerie de La Verdure pour être interrogés. Des fusils de chasse sont livrés. Cette opération produit une grosse impression. Les douars Aouaïd et Bahouna rentrent dans l’ordre.
Le 24 mai, une opération plus importante est menée entre la route Guelma Sedrata et les mines du Nador, sous la direction du colonel Schmidt, disposant du groupe mobile de Guercif et de deux escadrons du 9° spahis. Sa mission est la suivante : « Rechercher et capturer les éléments rebelles. S’abstenir de toute action non justifiée par une attitude hostile des habitants. Prendre contact avec les chefs rebelles et tenter de les amener à résipiscence. Ne rien prendre sans paiement. Remettre aux autorités civiles les troupeaux abandonnés. »
Le colonel fractionne sa troupe en détachements qui, partant de points différents, pénètreront concentriquement dans le massif dont Mahouna constitue l’observatoire central.
Ces opérations se déroulent dans les meilleures conditions. Elles prennent fin le 30 mai. La présence de nos forces répandues dans tout le massif et les vols d’intimidation exécutés par quelques avions amènent la soumission des douars de la région Laperrine.
Le 28 mai, les douars de Millesimo se soumettent à leur tour. 1116 fusils de chasse et 74 de guerre sont livrés ou saisis. Dans la zone centre, la plus calme, le colonel Serre, avec un bataillon de sénégalais et un escadron de la garde mobile et une compagnie de fusiliers marins se borne à maintenir la sécurité par des déplacements constants.
La zone ouest (Sétif Djidjelli) est non seulement la plus contaminée, mais aussi la plus accidentée avec des sommets élevés. Ce sera donc la plus longue à pacifier. Une force de 3 670 hommes y sera employée (Le 10° et le 15° régiment de tirailleurs sénégalais, école de cavalerie de Hussein Dey, groupe mobile n°2 de la légion de Sidi bel Abbès et une batterie de 75).
Cependant, la première série d’opérations qui s’ouvre, le 13 mai, dans la région de Kerrata et celle de Tizi-N’Bechar se déroule sans grande difficulté. Des scout-cars parcourent le bled et la montagne, convoquant la population respectivement à Kerrata et Tizi-N’Bechar, pour le 15 mai. Au jour dit, les indigènes descendent en groupes compacts. A 11 heures, il y en a 6 000 à Kerrata et 2 800 à Tizi–N’Bechar. Le colonel Bourdila va recevoir leur soumission, successivement. Mais il reste à pacifier les massifs redoutables du Babor et du Ta-Babor, deux chaînons parallèles qui culminent l’un à 2 004 mètres, l’autre à 1 960 mètres, à l’est de Kerrata.
Quatre groupements, de trois compagnies sénégalaises chacun, encerclent le massif dans lequel ils pénètrent concentriquement le 19 mai. Sur un terrain de plus en plus accidenté, la marche est difficile. Les mechtas sont vides d’habitants. Le 20 mai, cependant, en approchant du Babor, on trouve des femmes, des enfants, des vieillards, mais tous les hommes valides ont disparu.
Pendant ce temps, au nord, entre la côte et le Ta-Babor, le commandant Bart, avec son bataillon du 15° R.T.S, procède à des opérations de reddition. De nombreux meneurs sont arrêtés et remis à la gendarmerie.
Impressionnés par ce déploiement de forces surgissant de tous côtés et par les interventions de notre aviation, dont deux appareils lancent des bombes, les 19 et 20 mai, de même que par la vue de nos navires de guerre qui croisent au large du cap Aokas, les dissidents demandent l’aman. Le 22 mai est la journée culminante de cette période des points de vue militaire et politique. Suivons-en le déroulement d’après un extrait de presse.
« Le 22 mai, par une radieuse matinée de printemps, dans le cadre de la plaine de Melbou, près des falaises, les tribus des communes mixtes d’Oued-Marsa et Djidjelli font leur soumission. Une interminable caravane d’hommes, de femmes et d’enfants encombrent la route. Le long du rivage sont rangés quelques navires de guerre. Près de 15 000 indigènes se déplacent face à la route nationale.
Soudain une nouba fait entendre le garde à vous. Ce sont les autorités civiles et militaires qui arrivent. Les troupes sont passées en revue. Sur une éminence, un grand mât est dressé. L’envoi des couleurs a lieu, au milieu des « you-you » stridents que poussent les femmes, tandis que les hommes saluent le drapeau. La fanfare des tirailleurs joue « la Marseillaise ». Les navires de guerre tirent des salves.
Tout à coup le silence se fait. S’adressant aux milliers d’indigènes rassemblés, le colonel Bourdila leur dicte d’une voix forte les conditions de la reddition. Puis, le général Henry Martin s’avance, flanqué de deux interprètes, sur une butte qui domine le terrain où sont massées les familles musulmanes. Au pied de cette butte sont alignés seize caïds aux burnous écarlates brodés d’or. Le commandant du 19° corps prend la parole :
« Louange à Dieu, le maître des mondes qui nous réunit aujourd’hui pour suivre la voie droite ! Hommes libres, c’est un homme libre qui vous parle au nom de la France ! Guerriers et anciens soldats, c’est un chef de guerre qui veut vous aider à retrouver la paix ! Satan a égaré les esprits de certains. Ils ont écouté les mensonges des gens ambitieux et cupides. Ils ont tué des hommes, des femmes et des enfants. Comme des hyènes, ils ont profané leurs cadavres ! Nous voulons que la paix règne dans nos campagnes et dans nos montagnes. Vous allez y retourner. N’écoutez pas les méchants qui prêchent la haine, les pharmaciens qui font des discours au lieu de préparer les remèdes bienfaisants. Restez dans la voie droite pour faire de l’Algérie française un pays où des hommes libres peuvent travailler en paix. Et vous vivrez longtemps. Et vous verrez vos biens grandir. S’il plait à Dieu ».
Quatre jours plus tard, le 26 mai, le commandant de la division de Constantine, peut donner à ses subdivisions les directives suivantes :
« La situation étant redevenue normale, l’intervention de la troupe ne pourra avoir lieu que sur réquisition écrite de l’autorité civile… S’abstenir rigoureusement de toute attitude agressive. »
Et, le 29 mai, le général Duval précise :
« La période de répression peut être considérée comme terminée. La phase qui s’ouvre exige des chefs militaires des qualités de tact, pour comprendre à la fois la mentalité des indigènes et celle des colons dispersés dans la campagne. Il faut rétablir la confiance chez ceux-ci, encore sous le coup des atrocités commises et, pour cela montrer la troupe en déplaçant constamment les détachements. »
On a parlé de « véritables massacres » exécutés par notre aviation. En fait, à partir du 10 mai, la division de Constantine disposa de 18 avions (P-39 ou 4-24) basés sur les terrains de Sétif ou de la Reghaïa. Ce jour-là, deux bombes furent larguées sur des rassemblements près de Fedj-M’Zala et deux autres sur les pentes de la Mahouna, près de Guelma.
Le 12 mai, il est demandé à l’aviation, pour le 13 mai, de survoler la région de Constantine, Guelma, et Souk-Ahras afin de signaler par radio les rassemblements suspects. La consigne est de ne pas tirer, sauf en cas d’agression au sol caractérisée. L’ordre de la division précise : « La présence, seule, de nos avions doit rassurer les populations fidèles et intimider les autres, sans risquer d’atteindre les premières. »
Le 14 mai, sur la demande des colonnes à terre qui sont en situation délicate, des bombardements sérieux et des mitraillages sont exécutés sur des rassemblements et des mechtas qui résistent. Nos appareils larguent au total 90 bombes de cinquante kilos et 41 bombes de 100 kilos et leurs mitrailleuses tirent 4 000 cartouches. C’est la seule opération aérienne de combat importante. La division rend compte à Paris le lendemain par ce télégramme sous n° 796 : « Bombardements aériens 14 mai ont causé environ 40 victimes chez insurgés région Guelma-Souk-Ahras. »
Les 19 et 20 mai, nouvelle action de combat, avec deux appareils seulement, comme appui aérien des opérations du Nador que nous connaissons. Deux autres appareils effectuent des vols d’intimidation au sud de Villars et sur les pentes nord de l’Aurès sans bombarder, ni tirer.
Après la soumission du 22 mai, les retraits d’avion commencent. Le 25 mai, la division ne dispose plus que de cinq appareils à Sétif pour les reconnaissances. Et, le 11 juin, les derniers appareils regagnent leur base de Marrakech.
Cela nous amène à la question des victimes de la répression. Une importante conférence eut lieu à ce sujet le 25 juin 1945 à Alger, à la villa des Oliviers. Y participaient :
*MM TIXIER ministre de l’Intérieur et CHATAIGNEAU gouverneur général de l’Algérie
*Les généraux Henry MARTIN et Pierre WEISS (général d’aviation)
*Les amiraux RONARC’H et AMANRICH
Le procès-verbal donne l’évaluation suivante des pertes infligées par l’armée :
*Région de Sétif : environ 250 tués et 50 blessés
*Région de Guelma : environ 150 tués et 200 blessés
Le général Weiss dit : « Tués par l’aviation au grand maximum 200 » et le contre-amiral Amanrich dit : « Quatre tués certains par les pièces de bord. »
Le chiffre officiel des victimes de la répression militaire serait donc de 600 tués indigènes, en face des quelque 150 civils européens massacrés et sans mentionner les pertes de nos troupes en opérations.
Mais le chiffre réel des pertes musulmanes est certainement supérieur. En effet, un nombre certain d’indigènes ont été victimes de l’indignation compréhensible de civils français qui venaient de trouver des parents ou amis chers assommés, éventrés, émasculés… Des faits impressionnants m’ont été cités par les témoins.
A Sétif, par exemple le 8 mai 1945, un agent d’assurance rentrait de sa tournée avec sa femme lorsque des arabes se mettent à tirer sur sa voiture et tuent son épouse. Il fonce, parvient chez lui, dépose le corps tout chaud de sa femme sur son lit et, fou de douleur et de rage, il ressort avec son fusil dans la rue, promettant d’ « en descendre une douzaine » !
A la gare de Guelma, des cheminots français ayant été massacrés par des collègues indigènes, le chef de district de la voie organise la résistance, parvient à s’emparer de l’un des meurtriers, le fait dûment reconnaître par les camarades témoins du meurtre et l’abat.
A Aïn-Abid, à 25 kilomètres du Kroub, c’est le spectacle révoltant d’une mère éventrée avec son bébé poignardé sur elle qui provoque des réflexes de vengeance et de meurtre, aux dépens d’indigènes sans doute innocents.
De tels règlements de comptes n’ont pu tous être enregistrés, mais en admettant qu’ils aient pu porter à 2 000 ou 3 000 le nombre officiel des morts musulmans, nous sommes loin des chiffres fantastiques qui seront donnés plus tard par les gens du FLN qui parleront de 45 000 morts ! Ferhat Abbas dira même 60 000 morts !
De tels chiffres sont tout à fait invraisemblables étant donné la nature des opérations militaires dans des bleds ou djebels à faible densité de population, les villes n’ayant connu aucune répression massive et aveugle même Sétif qui était au cœur de la sanglante révolte. Et les officiers français qui dirigeaient les opérations n’étaient pas des nazis capables d’ordonner ou d’exécuter ses massacres systématiques, voisins du génocide !
On parlera de « douars sans hommes, tous massacrés » ! Beaucoup de douars en zone rebelle ont été, en effet, trouvés vides d’hommes, mais c’était parce que ceux-ci avaient fui devant l’avance de nos détachements, par crainte d’arrestation ou de représailles. Et les coupables ou suspects arrêtés par nos troupes ont été remis à la gendarmerie qui n’était pas la Gestapo !
LA MORALE DE L HISTOIRE
Certes, la répression a été dure, mais les moyens dont disposait celui qui était chargé d’arrêter les meurtres d’européens et les actes de sauvagerie qui les accompagnaient et de rétablir l’ordre et la sécurité dans un immense pays, étaient extrêmement réduits. Or, comme écrit le colonel Groussard :
« Une répression est d’autant plus sévère que les moyens sont faibles. Mais ces événements allaient servir à la propagande des excitateurs des foules musulmanes. »
Lancé par la radio du Caire, « le mythe de la répression massive ayant fait des dizaines de milliers de victimes innocentes » fut sans cesse repris, par la suite, au point de convaincre le monde de son effroyable réalité.
A la fin des troubles, si ceux-ci s’étaient clos par un véritable massacre de musulmans, on n’aurait pas vu, chose tout à fait exceptionnelle – le cadi de Constantine venir inviter le général Duval, de même que le général Henry Martin, de passage, assister à la cérémonie organisée à la mosquée pour « remercier le Tout-puissant d’avoir rétabli la paix ». Et la cérémonie se déroula sans incident dans le plus grand recueillement.
De ces douloureux événements qui ont déchiré le cœur de ceux qui aimaient nos colons, pour les avoir vus à l’œuvre sur les terres qu’ils avaient fertilisées, et nos musulmans pour les avoir commandés avec fierté sur les champs de bataille, laissons le général Duval tirer, lui-même, la leçon.
Dans sa lettre du 16 mai 1945 au général Henry Martin il écrivait :
« L’intervention immédiate a brisé la révolte, mais il n’est pas possible que le maintien de la souveraineté française soit basé exclusivement sur la force. Un climat d’entente doit être établi. »
Et dans une lettre que sa famille a bien voulu me communiquer, il déclarait aux hautes autorités de Paris : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. Il faut faire des réformes sérieuses. »
Mais, l’orage passé, Paris s’endormira et rien de sérieux ne sera fait pour satisfaire les légitimes aspirations des musulmans. Et cette paix, ainsi promise durera presque dix ans – exactement neuf ans et demi - jusqu’à la Toussaint de 1954… marquée par les premiers attentats, prélude à l’insurrection.
Colonel Adolphe GOUTARD
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