11 Avril 2015
Article Source : Fadila Mehal Fondatrice et présidente d'honneur des Marianne de la diversité,conseillère de Paris UDI-MODEM
DIVERSITÉ - J'ai rencontré Fatima Besnaci-Lancou au hasard d'une manifestation culturelle parisienne. Notre ville natale Cherchell, l'antique Césarée, capitale de Maurétanie de Juba II et de Cléopâtre Séléné, nous a rapproché. Très vite, je compris que Fatima était une enfant de la résilience.
Son premier livre Fille de harki donnait le ton d'une existence marquée par cette singularité, cette tragédie. Je découvris très vite que l'histoire de sa famille internée en 1962 dans les camps de Rivesaltes et de Mouans le Sartoux rejoint celle de milliers d'Algériens que la guerre d'Algérie a jeté dans le précipice de l'exil et d'une indépendance algérienne vécue à contre-courant.
De cette enfance aux camps, Fatima parle avec pudeur, avec la volonté de comprendre, plus que de juger. Pour elle, la grande histoire avec un grand H a dévasté ses rêves d'enfant. De cette enfance chaotique, Fatima ne tire ni gloire ni misérabilisme mais elle sortira grandie et nourrie par cette volonté de prêter sa voix aux plus démunis, à ceux que l'histoire a condamné d'avance et notamment les femmes dont les murmures ont été si longtemps étouffés.
Son attachement à la France est profond, à la mesure de son désir d'explorer son récit national dans ses heures les plus sombres comme dans ses moments lumineux.
Voici le portrait de Fatima, écrit par Ludovic Clerima, et publié dans le livre que j'ai dirigé, Marianne(S), les femmes et la diversité dans la République.
Priorité à l'école et à la culture
Pour Fatima Lancou-Besnaci, le passé est une odeur. Celle des petits plats mijotés ou encore le parfum coloré d'un thé bien chaud. C'est aussi le soleil de l'Algérie. La famille, les fêtes. Ce qu'elle nomme avec douceur "un paradis perdu". Mais cette enfance joyeuse sur le sol algérien coïncide avec la guerre d'Algérie. Née en 1954, Fatima grandit avec ce conflit en toile de fond. "Je me souviens des ombres... celles des militaires qui nous ont déplacés de la campagne vers la ville. Je revois des hommes, des femmes, des enfants et aussi des animaux descendre la montagne vers le village du bord de mer". Près de deux millions d'Algériens seront déplacés. Le père de Fatima rejoint sans conviction les harkis.
"Le Front de libération nationale (FLN) l'avait menacé de mort. La seule façon de protéger sa famille était de se rapprocher de l'armée française. Mais il n'y avait aucune idéologie dans cet engagement. Certains frères de ma mère appartenaient au mouvement nationaliste. Lors des repas de famille, eux et mon père s'entendaient à merveille. » Pendant huit ans la petite Fatima vivra au rythme des cadavres exhibés en place publique et des tirs de mitraillettes sans craindre pour sa vie. « La guerre me paraissait lointaine. Après la mort d'un des membres de la famille, j'ai compris qu'elle était toute proche."
"Tout miser sur l'école
L'été 1962 marque un point culminant dans la violence. Des harkis et leur famille sont massacrés et le grand-père de Fatima est assassiné. Le père de l'enfant décide alors de fuir le pays pour la France. "Il ne parlera plus jamais de l'Algérie. Ce pays lui avait pris l'essentiel, son père". Une fois arrivée, la famille est placée au camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales. Un lieu chargé d'histoire. En 1938, il accueille les républicains espagnols, puis les Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale.
"C'était un ancien camp de concentration à peine réaménagé. L'armée française en avait fait un camp de relégation. Nous étions encerclés par des barbelés. Des miradors nous scrutaient. Pendant les six premiers mois, pour sortir, il fallait une autorisation. Au départ, la presse n'avait pas le droit d'entrer. Les camions déversaient chaque jour une marée humaine de nouveaux arrivants d'Algérie. Nous dormions dans des tentes que plusieurs familles se partageaient. Ma mère pleurait ses parents et ses frères et sœurs restés en Algérie. Tous les adultes étaient déprimés. Nous attendions l'arrivée du camion-citerne pour récupérer de quoi boire et guettions la sirène qui sonnait l'heure du repas."
Après un an à Rivesaltes, Fatima passera ensuite quinze années de sa vie dans divers camps, aux règles plus souples. Elle fera la connaissance de Lucie, une bénévole de la Cimade. L'association accompagne au quotidien les demandeurs d'asile et autres réfugiés. "C'est elle qui m'a convaincue de tout miser sur l'école et la culture pour m'en sortir. Elle m'offrait des livres et m'emmenait au cinéma. Cela m'a permis d'avoir une vie en dehors des camps. Mes parents étaient, aussi, très favorables aux études."
Écrire pour la mémoire et l'histoire
Fatima poursuit sa route et sort des camps. Directrice d'une maison d'édition médicale à Paris, elle se consacre à son rôle de mère. Elle est de toutes les réunions de parents d'élèves et autres kermesses. Mais cette vie bien rangée bascule en 2000. Le président algérien est de passage en France.
Ce dernier refuse le retour en Algérie des anciens harkis. Sous le choc, Fatima décide de réagir. "J'avais déjà commencé la rédaction d'un livre que je voulais offrir à mes enfants sur cette histoire. Après cet événement, j'ai préféré le rendre public". Fille de harki sort en 2003. D'autres ouvrages d'histoire et de mémoire, sur le sujet, suivront. Fatima devient la plume de ces hommes et femmes, illettrés pour la plupart. Elle récolte leurs témoignages et multiplie les publications pour faire entendre ces voix.
Retour à Tipasa
Dès lors, Fatima sera de tous les combats pour la mémoire des harkis. Elle fonde en septembre 2003 un collectif de filles de harkis contre certains articles de la loi du 21 février 2005, dont l'article 4 qui vante les effets positifs de la colonisation. "C'était la première fois que les femmes de notre communauté manifestaient." Le collectif revendique également la reconnaissance de la responsabilité du gouvernement français dans l'abandon et le massacre des familles harkies à la fin de la guerre d'Algérie. De ce rassemblement naîtra une association: Harkis et droits de l'homme. "Notre combat majeur est la transmission de l'histoire des harkis dans les écoles." Sur la table basse de Fatima, des cartes indiquant les principaux camps de harkis en France. Sur les étagères, quelques livres d'Albert Camus. L'un d'eux, Noces, a sa préférence. "J'aime la description qu'il fait de Tipasa, c'est ma région d'origine. Lorsque nous étions au camp de Mouans-Sartoux, ma soeur Yasmina et moi aimions réciter tout haut le texte de Camus. Et le camp avait alors des allures de Tipasa. De ce lieu "habité par les dieux" où "les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru"...»
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