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BRAHIM SADOUNI : TÉMOIGNAGE DE MON ONCLE ALI 1985. 2/3

Avant propos

Après notre demande, sur un écrit en trois parties concernant l’histoire de son oncle Ali,  cette publication vous est proposée avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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"Dans le contexte de notre histoire, vous avez tout à fait mon accord pour les publier et les diffuser afin d’informer l’opinion publique et en particulier nos compatriotes de la communauté harkie ! Notre histoire est trop triste, elle est injuste et dramatique,merci encore et vous souhaite bonne chance.​"

                                Rouen Lundi 13 Juillet 2015 Brahim Sadouni

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Le drame de Brahim Sadouni, jeune berbère, enrôlé dans l'armée française à 17 ans. Abandonné par l'armée après les accords de paix de 1962, rejeté par sa famille et risquant la mort en Algérie, il doit fuir en France pour survivre.

Déraciné, loin des siens, il va se battre pour travailler et s'intégrer à son pays, la France.  

 Face aux injustices, il décide de lutter et de s'engager pour défendre ses droits et ceux de ses semblables : les harkis.

Ouvrier soudeur hautement qualifié, c'est après ses journées sur les chantiers qu'il commence à rédiger cette biographie. Il nous livre, aujourd'hui, un témoignage accablant sur l'abandon des harkis par la France et un récit sur le combat d'un homme brisé mais déterminé à reconquérir sa dignité. 

***

- Témoignage de mon oncle Ali en 1985 -

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Deuxième partie : l’arrestation !

-et ils concluaient par ses injures et les coups qui ne cessèrent que lorsque la voiture s’arrêta devant la mairie de Medina.

Je fus d’abord conduit chez le maire qui m’interpella d’un ton arrogant :

 

– alors, on veut nous quitter ? On préfère la compagnie des Français à la nôtre ? Espérais-tu ne pas payer ton erreur ? Mais, tu mangeras du pain sec, tu marcheras pieds nus, tu m’entends !

— et il me laissa aux mains de la police.

– ta femme savait-elle que tu étais arrêté ?

Demandai-je à mon oncle.

– non, pas encore. Le lendemain, de membres du FLN et un civil m’attachèrent les mains derrière le dos avant de me conduire à Arris.

– dès mon arrivée, le commissaire, un grand gaillard, me traîna dans son bureau.

– je ne sentais plus mes mains, solidement attachées.

– ton compte est bon, mon lascar, me dit-il avant d’ouvrir une lettre qu’un de mes gardiens lui avait remise.

– quand il prit connaissance de son contenu, il s’approcha de moi, et j’entendis, sa grosse voix résonnait à mon oreille :

– alors, comme ça, tu comptais retrouver tes copains à Télaghema !

– non, me hâtais-je de répondre ? Je voulais aller à Batna pour effectuer quelques achats.

Me défendre ne servait à rien. Il continua à m’insulter et se mit à me frapper. Je fus surpris par une première gifle retentissante aussitôt suivie d’une autre tout aussi forte. Mes oreilles sifflaient et je ne pouvais détacher mes yeux de ses grosses mains en colère. Avais-je suffisamment payé ? Non, il sortit son revolver et le métal froid frôla ma tempe.

– à genoux devant moi, m’ordonna-t-il d’un ton impératif, fais ta prière, salaud !

– ses yeux exorbités me fixaient durement ! Je m’agenouillais ! Prêt à entendre le coup de feu partir, j’étais perdu. Personne ne pouvait me sauver.

– à vous, poursuit-il, où te rendais-tu ?

– je réitérai ma réponse. Il s’acharna alors sur moi, me frappa au ventre, là où j’avais subi mon opération. Je commençais à cracher du sang avant que sa grosse voix ne se perdît dans le brouillard, et que ces coups devinrent indolores. Je me suis évanoui !

— au milieu de la nuit quand je repris connaissance, j’étais accroupi dans un trou, les pieds baignant dans de l’eau, les vêtements trempés par des gouttes qui tombaient du toit. Je me relevais dans le noir complet, mais je me heurtais au plafond.

Cette pièce, la tombe n’avait qu’un mètre et demi de hauteur. Des planches sur lesquels on avait posé un énorme caillou réduisaient à néant tout espoir de fuite. J’entendais un petit ruisseau qui coulait à mes côtés. Après cette nuit de cauchemar, le commissaire désira m’interroger de nouveau.

– je n’avais pas pu fermer l’œil, et mes traits tirés laissaient apparaître une fatigue extrême. Il me permit de m’asseoir sur une chaise qu’il me tendit. Et il prit la parole :

– tu vas sans doute pouvoir mieux répondre à mes questions, aujourd’hui. Je veux savoir combien de djoundis tu as tués. Avoue avant que je me fâche. Et sa grosse main resta suspendue au-dessus de ma tête. Le souvenir des coups infligés s’imposa de façon plus tenace encore.

– je vous jure que je ne mens pas ! Sans doute ai-je assisté à des combats, mais, jamais quelqu’un n’a tué, un homme devant mes yeux. Je ne suis pas un assassin, croyez-moi !

– hélas ! Il me frappa de nouveau, je n’en pouvais plus ! Lorsqu’il cessa, les policiers me prirent sous le bras et me ramenèrent à mon cachot.

– je pensais que j’allais mourir et l’inquiétude me tenaillait sur le sort, qui serait réservé à ma famille, une peine de plus s’ajouta à ces tortures. Je voulais que ma femme et mes deux filles survivent dans ce monde, même si cruel soit-il. Peut-être, plus cruel que celui que je connaissais depuis la guerre.

– Je ne savais que faire, ils ne me restaient plus qu’à prier ? J’étais épuisé, même le sommeil refusait de me gagner et de me faire oublier ce trou, cette boue, ces chaussures mouillées, ces habits trempés et ses douleurs qui me traversaient le corps comme des brûlures. Je dus passer ma journée dans cet endroit, sans boire, ni manger.

– au coucher du soleil, mes bourreaux me sortirent de ce lieu infâme, et me jetèrent dans une cellule.

– une couverture m’avait été accordée, en outre, ils me donnèrent un morceau de pain sec que je mangeais avec peine, tant je souffrais !

– je me déshabillais dans l’espoir de sécher mes vêtements collés par la boue. Je m’enroulais dans la couverture, et je ne tardais pas à m’apercevoir que des poux y avaient élu domicile, mais j’étais forcé de la garder sur moi ; vaincus par le sommeil, mes yeux se fermèrent. Lorsque la porte de la cellule s’ouvrit, un berger allemand se précipita sur moi. Pris de panique, je couvris mon visage de mes mains, je sentis les crocs du chien qui pénétraient dans ma chair.

– mon supplice ne prit fin qu’au sifflement du maître chien. La bête sortie, je n’osais plus bouger. Une voix m’interrogea :

– alors, combien de djoundis as-tu tués ?

– ma réponse ne varia guère, mais le chien se tenait toujours devant ma cellule pour m’empêcher de dormir, durant toute la nuit.

– Sais-tu si d’autres harkis que toi étaient emprisonnés ? Demandai-je à mon oncle.

– beaucoup de harkis connaissaient les mêmes traitements dans cette prison.

– Le lendemain de mon second interrogatoire, je rencontrais une trentaine. Ils étaient si mal en point que leur calvaire devait certainement durer depuis plusieurs semaines. Nos gardiens nous permirent de sortir deux par deux, sous leur escorte, du grand château qui servait autrefois de gendarmerie aux Français. J’avançais en titubant sous les huées et les menaces des soldats FLN.

– est-ce que certains visages de harkis ne t’étaient pas inconnus ?

– effectivement, beaucoup venaient d’Arris. Mais notre prison n’était pas la plus importante, c’est à Lambèse que la majorité des harkis était détenue. Un matin, je revis mes anciens camarades, je devais avec quelques-uns, retirer les fils de fer barbelé que l’armée française avait posés et laissait après son départ.

– chacun de nous avait les mains profondément meurtries, car nous devions effectuer cette tâche à main nue. À midi, notre repas fut servi dans des gamelles. Nous avions droit à une louche de pois chiches cuite à l’eau et à trois cuillérées de soupe d’harissa.

– nous ne disposions que de peu de temps pour avaler cette maigre pitance. Si nous avions soif, nous buvions dans une petite rigole qui s’écoulait avec ses eaux souvent savonneuses venant des maisons environnantes. Et dès le soir, la scène se répéta, je dus supporter les aboiements du chien à maintes reprises, et ses crocs s’enfoncèrent dans ma peau.

– au bout de quelques jours, notre tache changea : quand les fils de fer barbelés furent entièrement retirés, nous dûmes nettoyer toutes les rigoles des alentours.

– La première fois, après m’avoir donné une pelle, mon gardien m’ordonna de retirer mes chaussures, et de rentrer dans le petit ruisseau. Je le vis alors saisir des bouteilles de bière vides, qu’il cassa et éparpilla les morceaux de verres brisés dans l’eau. Il accompagna ses gestes de cette phrase :

– ces bouteilles ont été abandonnées au même titre que toi d’ailleurs, par tes amis les Français !

– la justesse de cette remarque me vexa.

Les Français n’étaient-ils pas responsables des tortures que je subissais ?

Ne payais-je pas au fond pour eux ?

– un coup de matraque sur l’épaule suivie d’un ordre sec me tira de mes pensées amères.

– je devais enlever les bouts de verre dans l’eau qui me pénétrait dans la peau, le sang mélangé à la boue remontait à la surface, et s’écoulait sans cesse.

– Je cherchais dans la mesure du possible, à dégager mes pieds, et à les poser dans un endroit susceptible d’éviter de nouvelles blessures.

– mais, si mon bourreau estimait que mon travail manqué de rapidité, il déversait à nouveau les bouts de verre que j’avais préalablement retiré.

– le soir, je n’eus pour tout réconfort que le même repas frugal déjà servi à midi : pois chiches cuits à l’eau, agrémentée de plusieurs cuillerées à soupe d’harissa. Ce menu ne se modifia pas au cours des jours suivants, c’est à peine si nous trouvions parfois dans nos gamelles des lentilles à la place des pois chiches.

– beaucoup d’entre nous ne supportaient pas un tel régime et ils tombèrent malades. Je tins le coup trois semaines, j’épluchais des pommes de terre, je l’avais la vaisselle, et je faisais le ménage. Je bénéficiais de ce traitement de faveur parce qu’ils avaient compris que ma résistance était à bout.

– 15 jours me suffirent pour récupérer quelques forces, puisque je mangeais mieux et que j’étais traité moins durement. Mais, mes compagnons ne connaissaient pas ce répit et leurs tortures se poursuivaient.

– j’avais eu plus de chance qu’eux, et je recouvrais ainsi ma liberté, alors que les autres souffraient toujours. Je pouvais remercier ma mère, elle n’avait jamais cessé depuis mon arrestation de se démener et de présenter des requêtes à différents responsables du FLN.

– grâce à ces interventions et celle du lieutenant Malim, j’évitais l’enfer de la prison de Lambez donc aucun homme en bonne santé n’était sorti de l’enceinte.

– mais comment et pourquoi le lieutenant Malim est-il intervenu ? Le connaissais-tu ?

– oui bien sûr, nous étions comme des frères puisque ma mère l’avait allaité. Quand la guerre a éclaté, il est devenu harki, et par la suite il déserta et rejoignit le camp adverse et s’est battu farouchement contre les Français.

– que pensais-tu alors de sa désertion ?

– que veux-tu ? Je ne lui en voulais pas. Et l’attitude qu’adopta plus tard la France vis-à-vis des harkis le conforta dans son choix, et je ne peux que le féliciter qu’il ait pris une telle résolution puisque c’est elle qui permit ma libération.

– mais pourquoi ?

Parce que je n’étais pas encore hors de danger. Des groupes isolés guettaient les anciens harkis qui sortaient de prison dans le triste dessein de leur régler leur compte, et une famille qui n’ignorait pas le lieu de mon incarcération, m’en voulait personnellement. Cette haine datait du soir où j’étais de patrouille, à 5 km d’Arris, près de l’oued le Labiod. Une lumière qui provenait d’un groupe de maisons attira mon attention, puisque le couvre-feu avait été sonné. Mon supérieur m’ordonna alors de me rendre dans la maison éclairée, et de faire respecter les consignes.

J’obéis, et une fois la porte franchit, je trouvais à l’intérieur de la maison deux hommes, des enfants et trois femmes dans l’une d’elles venaient d’être mariées. Cette dernière s’effraya, les hommes me prirent aussitôt à partie et me reprochèrent vivement mon intrusion ! Une dispute éclata, suivie d’injures. Mais, je ne cédais pas et ne partis qu’une fois la mission accomplie. Le lendemain, mes supérieurs reçurent une lettre de protestation.

– cette famille se plaignait qu’au cours de ma visite, je lui avais manqué de respect et que je n’avais pas hésité à proférer des menaces.

– sans doute espéraient-ils par ce stratagème éviter l’amende qu’ils risquaient de se voir infliger ! Et malheureusement, de semblables situations se représentèrent souvent.

– ton supérieur était-il harki ?

Non, c’était un adjudant français. Il prit évidemment ma défense, puisque lui-même était à la tête de cette patrouille. Mais depuis ce temps, ces gens ne m’avaient pas pardonné. Leur haine était d’autant plus grande qu’ils avaient dû payer l’amende. Tu comprends mieux pourquoi, j’ai préféré le soir de ma libération pour faire ce trajet Arris, Medina en taxi, discrètement !

– disposais-tu de papiers nécessaires pour te déplacer dans le pays ?

– Oui, je possédais la carte nationale que les Français ne m’avaient pas reprise après leur départ, mais j’avais besoin d’un laissez-passer, chaque fois que je désirais quitter le village.

– le soir de ton retour à Medina, as-tu retrouvé ta famille ?

– ma femme, informée par ma mère de l’intervention du lieutenant Malim et de son succès, elle m’attendait également. Comment décrire cette joie intense qui me submergeait ! Je revois ma petite fille Kamsa se précipiter à ma rencontre, alors qu’elle avait à peine trois ans. Elle courut si vite qu’elle tomba, et du sang lui coula de la bouche. Elle était si contente, la pauvre enfant !

– ma femme me disait que durant mon absence, elle n’avait cessé de me réclamer. Chaque soir, Kamsa se mettait devant la porte, criant mon prénom comme d’habitude, en me rappelant qu’il était l’heure de rentrer papa !

– Plus tard, je me rendis chez quelques harkis pour les saluer. Certains avaient disparu, d’autres étaient morts. Les plus chanceux avaient rejoint les camps de l’armée encore présents sur le sol algérien. Ceux que je rencontrais avaient pu échapper à l’emprisonnement, ils n’étaient plus des hommes. Tant leurs visages étaient usés par la misère et la souffrance de chaque jour. Quand les minces réserves que les Français leur avaient laissées n’étaient pas encore épuisées, le FLN leur confisquait le reste.

Sans travail et sans argent, quel était leur avenir dans ce pays ?

( Suite… mardi 28 juillet 2015 )

1er partie l'abandon ici

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