3 Janvier 2017
Cinquante-quatre ans après la fin de la Guerre d’Algérie, les plaies restent profondes et vives pour les Harkis. Et un besoin de reconnaissance, toujours tu.
« Je suis un enfant de 1962, lâche sobrement Sahnoun Boussahra. Pour la France, je suis un fils de Harki. Pour l’Algérie, je suis un fils de traître ».
Sa voix est posée, mais son ton oscille entre lassitude et colère larvée, née à force de moqueries d’abord, de brimades ensuite puis d’exclusions et de rejets.
Assis à la table de cuisine du petit appartement qu’il partage à La Monnerie-le-Montel (Puy-de-Dôme) avec sa maman, Kheira, Sahnoun fait un douloureux voyage dans son histoire. Pour témoigner d’un abandon. Le sien, celui de sa famille et de la France.
Le cercueil ou la valise
Sahnoun est né à Thiers en 1964. Sa famille a vu le jour en France, deux ans auparavant, à La Cavalerie dans le Larzac. C’est là, dans les tentes de ce Centre d’Accueil des Rapatriés d’Algérie (CARA) que sont accueillis 12.000 Harkis et leurs familles. « Mon père avait 32 ans et il ne savait rien de son nouveau pays », explique son fils, quelques photos jaunies dans les mains.
Mohamed Boussahra, caporal-chef dans l’armée où il a servi pendant sept ans et demi, a dû tout quitter n’emportant que de rares effets, des meubles, une radio Philips mentionnée dans quelques lignes vieilles de 54 ans du Carnet familial du rapatrié, avec sa femme et leurs trois enfants. Arrachés de Saïda, dans la région d’Oran.
« On jetait des pierres sur les Harkis là-bas. On leur a dit : “ c’est le cercueil ou la valise ”. Ils sont partis ».
Mais l’exil est encore plus rude : « Mon père a fait appel à un ami « Pied-noir » avec qui il avait travaillé en Algérie et qui habitait à Dorat, près de Thiers, pour sortir ma famille de là-bas. L’hygiène était inadmissible et les gens crevaient de froid ». Là encore, l’intégration est quasi-impossible. « On vivait dans une ferme, dans le froid. Mon frère, Lakhdar, en est mort en 1963 », martèle Sahnoun, sa mère près de lui, les yeux embrumés à l’évocation de ces épisodes.
« Mon père se plaignait aux autorités », ajoute son fils. Mais rien n’y fait. La famille est ensuite envoyée à Saint-Rémy-sur-Durolle, durant six ans. « Les assistantes sociales voulaient nous attraper, sourit Sahnoun, heureusement, ma mère a fini par trouver un travail dans une entreprise de coutellerie. »
Cinq enfants, cinq au chômage
La famille passe par Thiers, La Monnerie-le-Montel mais les demandes de Mohamed Boussahra restent vaines : « Mon père voulait une place de garde forestier qu’on lui avait promise. Il l’a demandée jusqu’à son décès, en 1986. » Les courriers se multiplient, de même que les lettres et les refus. « Mon père allait à l’Anfanoma (Association nationale des Français d’Afrique du Nord, d’Outre-Mer et leurs amis) pour aider ses enfants, pour qu’on ait du boulot. Cinq enfants, cinq au chômage », baisse les yeux Sahnoun, en triturant sa tasse de café.
Lui aussi a voulu cette intégration, avec le service militaire d’abord – « pendant 18 mois, je suis même parti en République Centrafricaine pour aider la population » – et par l’emploi. « J’ai essayé de trouver du travail, j’ai passé des concours, j’ai suivi des formations… Je suis au RSA depuis qu’il existe. »
Mais la galère de la vie n’en a pas fini avec lui. En 2012, Sahnoun repart en Algérie « pour savoir d’où je venais ». Un choc, au propre comme au figuré.
Quelque chose là-bas
« Un douanier m’a questionné. Je lui ai dit : “Je suis un enfant de 1962 ”. Il m’a attrapé par l’épaule et m’a jeté en me disant : “ Bienvenue dans ton pays ”. J’en ai pleuré ». Là-bas, Sahnoun retrouve sa famille et découvre que 80 ha de terres lui reviennent.
« En France, mon père m’en parlait, mais il n’avait pas de preuves. Je l’entends me dire encore : “ N’oublie jamais que tu as quelque chose là-bas ”. » Sahnoun doit à nouveau lutter durant quatre ans pour récupérer son bien dont il aimerait vivre aujourd’hui. Faute d’aides et de soutien, son rêve reste chimérique. « C’est affolant cette terre, tout pousse, sourit-il, enfin. Les poivrons, les olives… On jette un être humain, il pousse? ! »
« Il m’a attrapé par l’épaule et m’a jeté en me disant :
“Bienvenue dans ton pays” » SAHNOUN BOUSSAHRA
Sahnoun se sent revivre, ancré dans cette terre nourricière. Avant de rebaisser la tête, ramené au sol par les difficultés financières, les siennes ou celles de sa mère qui ne peut compter que sur une maigre retraite de 900 €. Un courrier, reçu voilà quelques mois, a particulièrement été douloureux pour la mère et son fils. Ce dernier était adressé à Lakhdar… le frère cadet, mort à Dorat.
« J’avais demandé de l’aide pour ma maman, afin qu’elle touche une retraite de veuve de guerre », raconte Sahnoun, son père ayant été blessé à la guerre et l’ayant perçue de son vivant. « Dans le courrier, il est écrit que ma mère… est morte?! La voir pleurer, ça m’a fait quelque chose ».
Un énième événement de trop pour Sahnoun qui ne veut désormais plus qu’une chose : aider sa mère.
« Moi, je ne veux plus d’aide. Qu’ils la donnent aux migrants. J’ai 52 ans, j’ai assez patienté. Je dépose tout et je m’en vais, je reviens à ma place », achève-t-il. Déraciné. Victime collatérale d’un conflit qui n’a pas dit son nom, d’une histoire secrète aux blessures profondes.
« Je n’ai pas fait cette guerre, mais j’en subis les conséquences ».
https://www.harkisdordogne.com/
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