20 Mars 2022
SPÉCIAL ALGÉRIE — Au collège, Linda entend que harki est synonyme de traître. Elle s’interroge alors sur l’histoire complexe de ses grands-parents...
Linda aux côtés de sa mère, Tabelaïd, et de sa grand-mère Oumelkheir. Caroline Chevalier pour Télérama
- Extrait -
Sous le panneau de basket, la vieille dame s’arrête. « Notre maison était là. Trois chambres, le sol en ciment et des cloisons fines, fines. Quand il pleuvait l’hiver, les murs gelaient la nuit. » Dans la douceur de février, Oumelkheir D. (la famille a préféré rester anonyme) rajuste son foulard crème, et arpente avec la lenteur de ses presque 90 ans le terrain de jeu où des enfants font du vélo. Du bout de sa canne, elle désigne l’emplacement des baraques disparues en murmurant les noms d’anciens voisins. « On a bien souffert… »
De 1970 à 1980, elle a vécu ici avec son mari Larbi et leurs neuf enfants. Le hameau de forestage de Timgad, à trois kilomètres du centre de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) avait ouvert en 1964, comme soixante-quinze dans toute la France, pour héberger les familles de harkis rapatriées depuis 1962. Les hommes travaillaient pour les Eaux et forêts, les enfants allaient à l’école du village, et les femmes restaient au camp, où « le boulanger passait le matin et des Françaises venaient parfois nous aider pour la langue et les papiers », raconte Oumelkheir. Sa fille, Tabelaïd, avait 10 ans. « On dévalait les talus pour jouer dans la rivière, se souvient-elle en contemplant la route en contrebas.
L’été, les enfants travaillaient au ramassage de fleurs, à Grasse. » En kabyle, les deux femmes se disputent sur les dates, suivies par une silhouette vive et impatiente. Linda, leur fille et petite-fille, les interpelle en français. « Elle vous manquait beaucoup, l’Algérie ? Et pourquoi tu dis que vous avez souffert, Nana ? » La vieille dame agite ses mains tavelées et soupire de sa voix rocailleuse, chargée d’accent : « Et qu’est-ce que tu veux, c’est comme ça. La guerre, elle a fait la misère à tout le monde. »
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