9 Février 2013
Jeannette Bougrab n'exclut pas de revenir en politique à la faveur d'un retour de Nicolas Sarkozy.Crédits photo : Stephan Gladieu
INTERVIEW - Dans un essai personnel et percutant, l'ancienne secrétaire d'Etat de Nicolas Sarkozy s'inquiète de la montée de l'islamisme et de la frilosité des politiques à défendre la laïcité.
Le Figaro Magazine. - En janvier 2011, alors secrétaire d'Etat à la Jeunesse du gouvernement Fillon, vous aviez été la première à réclamer le départ de Moubarak. Que vous inspire aujourd'hui son successeur, le président Mohamed Morsi ?
Jeannette Bougrab. - L'horreur. Quand je vois la mainmise des islamistes en Egypte, je suis totalement effondrée. Je pensais que la démocratie était possible, que l'application d'un certain nombre de principes universels comme l'égalité entre les hommes et les femmes, la liberté de penser, la liberté de conscience, y compris l'apostasie qui est interdite en droit musulman, étaient possibles. Mais les Frères musulmans et le mouvement salafiste al-Nour se sont approprié une révolution à laquelle ils n'ont pas pris part.
Faut-il le recevoir comme s'apprêtait à le faire François Hollande?
Non. Je ne vois pas au nom de quoi notre république peut s'abaisser à dérouler le tapis rouge à un dirigeant qui s'apprête à instaurer un Etat islamiste. Je fais bien la distinction entre l'islam et l'islamisme. C'est pour cela que je ne crains pas de dire que l'islamisme est une sorte de fascisme et de totalitarisme. Je ne peux comprendre que la France reçoive ces tyrans. Cela me choque. Je ne me sens pas obligée de faire des compromis avec des gens qui sont l'incarnation de la négation de l'Etat de droit.
En Égypte, comme en Tunisie ou en Libye, le printemps arabe n'a pas donné les fruits que vous escomptiez. Les révolutions arabes ont poussé au pouvoir des partis islamistes. La France a-t-elle fait preuve de naïveté?
Le problème, ce n'est pas la naïveté de la France, c'est le sentiment de culpabilité de ses dirigeants. Pendant des années, la France a soutenu des autocrates, des tyrans qui auraient voulu être des despotes éclairés. Aujourd'hui, en raison de cette culpabilité, elle verse dans une sorte de surenchère à l'égard de ces nouveaux gouvernements islamistes. Le 17 juillet 2012, c'est en grande pompe que le président tunisien Moncef Marzouki était reçu par le chef de l'Etat et le président de l'Assemblée sans, bien évidemment, que les questions qui fâchent ne soient abordées. Je ne peux que le regretter. Personnellement, je ne soutiendrai jamais un parti islamiste. Contrairement à Alain Juppé qui se persuade qu'il faut accompagner ces partis et félicite les dirigeants d'Ennahdha en Tunisie, je refuse d'être de connivence avec des gouvernements qui portent des valeurs iniques. La diplomatie ne sert pas toujours la démocratie. Laurent Fabius ne fait guère mieux aujourd'hui. Il poursuit la même politique. Les ministres changent mais la lâcheté demeure.
Vous étiez favorable à une intervention au Mali. L'intervention française est-elle un succès à mettre au crédit de François Hollande?
Je trouve pour le moins maladroit que le Président se soit précipité au Mali pour savourer la victoire des militaires français. Il faut certes saluer le professionnalisme de nos armées et notamment celui du 2e REP, mais il convient aussi de se garder de tout triomphalisme en matière militaire. Les colonnes de blindés ne suffiront pas à mettre un terme à cette guerre contre le terrorisme islamiste. L'Algérie en sait quelque chose, qui paie encore un lourd tribut à la guerre qu'elle mène depuis le début des années 90 à l'islamisme. Cette guerre contre le terrorisme est d'une nature nouvelle. C'est une guerre à fragmentation.
C'est-à-dire?
C'est simple. Trois jours après l'intervention de la France au Mali, le conflit s'était déporté en Algérie. Tant qu'on n'aura pas asséché les sources de financement de ces mouvements terroristes, ils seront partout à travers le monde. Nous vivons dans un monde globalisé. Le djihad se délocalise, s'exporte, s'importe. Un jour l'Afghanistan, puis le Mali, demain, l'Algérie, la France et l'Europe.
C'est pourquoi, selon vous, il faut se battre en France sur le terrain de la laïcité?
Le combat doit avoir lieu également en France contre l'intégrisme et le fondamentalisme. Il faut arrêter de céder à la première revendication communautaire ou anticiper des revendications qui ne sont même pas demandées. On ne peut tolérer dans notre pays qu'un dessinateur soit protégé par cinq officiers de sécurité pour avoir caricaturé le prophète, qu'un philosophe comme Robert Redeker vive caché sans pouvoir enseigner parce que des fondamentalistes en veulent à sa vie, qu'un petit commerçant d'origine égyptienne se fasse tabasser à Marseille pendant le ramadan. En ne réaffirmant pas avec force nos principes, nous allons de défaite en défaite. Quand le communautarisme triomphe, la république régresse. Nous devons nous montrer intransigeants. A cet égard, je trouve dommage que Jean-François Copé soit allé présenter ses excuses au CFCM (ndlr: après la polémique déclenchée par ses propos sur les «pains au chocolat»).
Le Conseil français du culte musulman n'a-t-il pas un rôle à jouer?
Je n'attends rien du CFCM. Quand on est laïc, on n'a pas à s'immiscer dans l'organisation d'une religion. Pour appliquer le principe de laïcité, il ne faut pas compter sur une organisation plus ou moins représentative des mosquées de France. Je suis très hostile à ces organisations qui viennent nous expliquer comment interpréter l'islam. Le politique n'est pas là pour interpréter l'islam, mais pour appliquer le principe de laïcité. Le principe de laïcité est un principe constitutionnel, pas un principe religieux.
De quoi se meurt la république, selon vous?
La France se meurt de ne plus affirmer ses principes. Voyez ce qui se passe aux Pays-Bas, pays que l'on érige en modèle de société communautariste. Le réalisateur Theo van Gogh est mort assassiné par un islamiste. La députée Ayaan Hirsi Ali a été contrainte à l'exil. Ils sont même parvenus à construire un hôpital «charia compatible» où les hommes sont soignés par les hommes et les femmes par les femmes. Je ne veux pas de ce modèle pour la France. Il existe malheureusement déjà partiellement. Certains territoires de la république sont déjà perdus. Il faut les regagner en n'acceptant plus les revendications communautaires. Lorsque j'ai présidé la Halde, j'ai constaté les ravages du communautarisme et du différentialisme dans l'esprit de gens pétris par une culpabilité postcoloniale. Il faut que cela cesse.
A qui la faute?
La gauche est la première responsable. Elle a été la première à abdiquer. Quand en 1989 Lionel Jospin, alors ministre de l'Education nationale, demande l'avis du Conseil d'Etat, dans le cadre des premières affaires de voile à Creil, il fuit sa responsabilité politique. Je me souviens qu'à l'époque Elisabeth Badinter avait dénoncé l'attitude de Lionel Jospin. On l'avait accusée de faire le jeu du FN. Idem pour Gisèle Halimi, qui avait rendu sa carte de SOS Racisme. Aujourd'hui encore, lorsque vous défendez la laïcité, on vous accuse de faire le jeu de Marine Le Pen. C'est dramatique. La laïcité est un principe constitutionnel. Je n'accepte pas qu'en demandant l'application de la Constitution, on puisse nous accuser de faire le jeu du FN.
D'où vient, chez vous, cet amour désespéré pour la France?
De mon père. Je suis une fille de harki. Mon père s'est battu pour la France en Algérie. Cette histoire particulière fait que chez les Bougrab, la perspective du retour est impossible. Encore aujourd'hui, mon père, même entre quatre planches, ne peut retourner en Algérie. A la maison, on parlait français. On ne faisait pas le ramadan. Cet homme a toujours voué une dévotion à la république. Il incarne plus que n'importe qui d'autre la république. Tout ce que je fais, c'est pour atteindre cet idéal républicain qui n'a probablement jamais existé qu'à travers mon père.
L'UMP a été au pouvoir pendant dix ans. Peut-elle s'exonérer d'un devoir d'inventaire?
Je refuse le droit d'inventaire. Quand on se reconstruit, on regarde devant, pas dans le rétroviseur. J'ai souvent été convoquée à Matignon lorsque j'étais ministre pour m'être exprimée à contretemps. Mais lorsque l'on a des choses à dire, on n'attend pas de ne plus être en responsabilité et d'avoir quitté le pouvoir pour les dire.
Vous n'avez pris position pour personne pendant la campagne pour la présidence de l'UMP.
Aujourd'hui encore, vous êtes en retrait de la politique. Qu'est-ce qui pourrait vous faire revenir?
Nicolas Sarkozy. J'ai une dette à son égard.
* Ma République se meurt, de Jeannette Bougrab, Grasset, 216 p., 18 €.
08/02/2013
Raphaël Stainville
*******
l'Association Départementale Harkis Dordogne Veuves et Orphelins , et le site http://www.harkisdordogne.com/ Périgueux