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Harkis : l'Histoire sans fin...

Le groupe de travail installé par le gouvernement ne satisfait pas la communauté harkie.

Pour qui le combat continue.

Depuis 1962, ces hommes et leurs familles tentent de faire reconnaître le drame qu'ils ont vécu et les conséquences sur leur vie.

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Harkis : l'Histoire sans fin...

Cinquante-six ans. Plus d'un demi-siècle que les harkis mènent un combat. Après celui sur le terrain qu'ils menèrent en se rangeant du côté de la France durant la guerre d'Algérie, c'est face aux gouvernements successifs, à la population, aux préjugés et à l'injustice qu'ils luttent. Depuis 1962, ces hommes et leurs familles tentent de faire reconnaître le drame qu'ils ont vécu et les conséquences sur leur vie. Grèves de la faim, pétitions, mobilisations en tous genres, les harkis, rejetés par la communauté nationale car considérés comme des immigrés mais également par les immigrés eux-mêmes qui les assimilent à des traîtres, ont vu leur sort évoluer lentement. De loi en prise de position, l'État français s'est régulièrement penché sur leur situation sans toutefois régler le problème définitivement.

 

En septembre dernier, conformément à une promesse de campagne, Emmanuel Macron annonce vouloir mettre un point final. En janvier, un groupe de travail harkis (GTH) est constitué. La secrétaire d'État auprès de la ministre des Armées, Geneviève Darrieussecq, confie la présidence à Dominique Ceaux, préfet chargé d'une mission de service public. Son but est "d'évaluer les dispositifs de reconnaissance et de réparation existants" et de "prendre en compte la situation socio-économique des harkis" avant de "proposer des mesures afin de permettre la préservation de la mémoire et une réparation adaptée aux situations diverses que rencontrent les harkis et leurs familles".

Le groupe de travail, dont la dernière réunion s'est tenue mercredi dernier, était constitué de 22 personnes membres d'associations, de parlementaires, d'administratifs... Pendant six mois, le préfet Ceaux a arpenté la France pour découvrir des personnalités et des lieux harkis. D'Ongles dans les Alpes de Haute-Provence à Fuveau dans les Bouches-du-Rhône en passant par La Londe-Les-Maures (Var) ou Bias (Lot et Garonne), il a multiplié les déplacements et créé un espoir. Dominique Ceaux devrait rendre ses conclusions mi-juillet. Le 25 septembre à l'occasion de la journée d'hommage aux harkis, le président de la République Emmanuel Macron devrait faire des annonces. Mais il est d'ores et déjà acquis que le résultat ne sera pas à la hauteur des attentes.

"Les conclusions du préfet sont une insulte"

 

"Le préfet Ceaux nous avait demandé d'évaluer notre préjudice en termes de mémoire et de réparation, indique Boaza Gasmi, président du comité national de liaison des harkis et membre du GTH. On voulait faire appel à des experts, des médecins, des chercheurs... Car il faut évaluer les biens perdus en Algérie, le déracinement, la séquestration, l'absence d'égalité des chances... Nous lui avons remis plusieurs propositions. Ses conclusions sont une insulte ! Ce n'est pas une réparation qu'il propose mais de l'aide sociale ! Notre mécontentement est total."

 

Selon nos informations, le gouvernement pourrait offrir une simple réévaluation mensuelle de la rente de quelques dizaines d'euros... Bien loin de la réparation globale envisagée par les associations qui coûterait plusieurs milliards d'euros. L'État avance des contraintes budgétaires trop importantes pour une population potentiellement bénéficiaire estimée à 80 000 personnes sur un groupe social d'environ 500 000. Moins de 5 000 harkis sont encore en vie, le plus jeune étant âgé de 78 ans.

 

À l'issue de la réunion d'installation du groupe de travail en janvier, Geneviève Darrieussecq avait remercié ses membres d'avoir accepté cette mission en leur lançant : "Il faut maintenant avancer et préparer l'avenir. Je vous demande d'être unis et de réussir."D'union il n'y eut jamais. De réussite, on peut sérieusement en douter.

 

On aurait aimé interroger le préfet Dominique Ceaux sur sa méthode de travail et ses conclusions. Mais le proche de François Hollande nous a fait savoir qu'il ne souhaitait pas s'exprimer. Les harkis, eux, ne devraient pas rester silencieux face à ce qu'ils considèrent comme un énième rendez-vous manqué avec la France. L'histoire de leur vie. Sans fin.

 

Des associations provençales oubliées :

"On ne fait pas un état des lieux en 3 mois !"

Dès sa constitution le groupe de travail mis en place par le gouvernement posait questions. Des personnalités contestables, une absence de publication au journal officiel et surtout une représentation inégale. En Provence Alpes Côte d’Azur, deux associations reconnues n’ont pas eu droit de citer : le Collectif National Justice pour les harkis basé à Peyrolles et Aracan de Manosque. "Pourtant, on a travaillé sur un argumentaire dès septembre qu’on a envoyé en janvier quand la commission a été créée. On évaluait le préjudice en prenant tout en compte : échec scolaire, retraite, discrimination, vie dans les camps…", assure le coordinateur du CNDH, Khaled Klech et fils d’un sous-officier.

 

43 pages exhaustives et documentées basées sur la jurisprudence (notamment des victimes d’attentats) que le GTH n’a pas jugé bon de potasser. "On l’a mis en avant car la proposition de réparation était bonne", jure Boaza Gasmi président du comité national de liaison des harkis. Au fil des semaines, ce GTH dirigé par le préfet Dominique Ceaux a confirmé l’issue qu’on lui prédisait. "On ne fait pas un état des lieux en 3 mois !, s’insurge Khaled Klech. Il faut réaliser une vraie étude, avec des psychologues, des universitaires, des experts. Il faut lister les familles mais ça prend du temps tout ça. Ceaux n’a pas rencontré de familles. Il est venu en catimini. Les harkis de la commission ont compris qu’on les a baladés."

 

Pour Yamina Chalabi, coprésidente d’Aracan, "la réprobation dont les harkis et leurs familles ont fait l’objet semble avoir préempté toute logique de réparation notamment l’ensemble des préjudices subis et des traumatismes psychologiques. Au-delà des mots, nous attendons des actes. Cette question éminemment politique attend une réponse historique." On n’en prend pas le chemin…

 

Et maintenant ? "L’État a toujours une dette envers les harkis. Mais tout l’argent du monde n’effacera pas les souffrances, affirme Khaled Klech. On ne réclame pas du favoritisme, juste d’être traité comme tout le monde. Quelles chances à un jeune de la troisième génération aujourd’hui ? Et il y aura la 4e ! Il faut arrêter maintenant !" Les associations de harkis envisagent de porter l’affaire devant la Cour européenne de justice. "Il ne reste plus que ça, on ne cédera pas, à un moment il faudra bouger", conclut Khaled Klech.

Le Témoignage de la famille Aouachria de Manosque (04)

Trois générations portent le même héritage

Khelifa Aouachria (90 ans) et sa fille Nedjema (55 ans) ont connu la vie dans les camps et la discrimination. "On garde la tête haute", assure le patriarche.

À 90 ans, Khelifa Aouachria conserve l’œil vif et le verbe haut. Et sa tête ne le trahit pas quand il s’agit de faire un bond de plus de cinquante ans en arrière pour se remémorer ce jour de novembre 1962 où il débarque à Marseille en provenance d’Aïn Touta, une ville du nord de l’Algérie. Il était secrétaire d’état-civil pour l’administration française avant l’indépendance. "Pour moi, c’était sauve-qui-peut, raconte dans un français impeccable le vieil homme qui laissait sa femme et deux enfants pour fuir la persécution. Quand je suis arrivé, j’étais comme un chien errant, je ne savais pas où aller."

 

Après une halte à Sainte-Marthe, alors qu’il rêve de la Suède car "la France était un trou pour moi", il rejoint Valence puis Nancy pour bosser dans des usines et une mine. Deux ans plus tard, on le prévient que sa famille l’attend dans un camp à Rivesaltes. Dans la foulée, les Aouachria filent à Manosque où ils s’installent dans la cité des quatre saisons. Le harki bosse à Cadarache. "Je faisais la balayette (sic) alors que j’étais plus compétent que certains employés de mairie à l’état-civil", tance-t-il. Sa famille vit un quotidien atroce. Khelifa Aouachria se souvient d’un garde "qui faisait son business sur notre dos", d’un facteur "qui ouvrait le courrier car il croyait qu’on était du FLN".

 

L’homme parle en ancien franc quand il s’agit d’évoquer ce qu’on lui ponctionnait sur son loyer. Il n’a pas non plus oublié ces bars qui lui refusaient l’entrée. "Je ne supportais pas l’injustice", confie-t-il. Pourtant, son parcours en est clafi.

"C’est en France que j’ai connu la misère", estime-t-il.

 

"Au collège, on m’a traité de sale harki"

En face de lui, sur le canapé familial du petit appartement du centre de Manosque, sa fille Nedjema, âgée de 55 ans, écoute religieusement le récit du patriarche."J’ai des souvenirs d’enfance effroyables, glisse-t-elle. Mais j’ai toujours vu mon père travailler durement car il disait qu’on ne nous aiderait pas. Mes parents n’ont jamais raconté leurs souffrances, on nous a enseigné la discrétion. Je cherche encore ma place dans la société française. Pourtant, mes amis s’appelaient Christine, Isabelle…"

 

La femme, qui a vécu de plein fouet la discrimination de la 2e génération harkie, a eu deux enfants. L’un d’entre eux, Medhi (25 ans), a Bac +5. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il porte lui aussi le poids du passé. D’une extrême pudeur, le jeune homme peine à se dévoiler. "Tu vis avec ça… avoue-t-il gêné. Au collège, on m’a traité de traître, de sale harki. Tout ça parce que mon grand-père a fait un choix, celui de combattre pour la France… Quelle force ils ont eue ! Je suis fier d’eux et j’assume."

 

Sa mère ajoute : "On ne sait pas quoi dire à nos enfants. On ne peut pas mettre de mots sur la souffrance, il y a forcément de séquelles… J’ai sacrifié ma vie pour eux. Je les ai prévenus qu’il faudrait bosser deux fois plus que les autres."

Aujourd’hui, alors que l’espoir d’une reconnaissance et d’une réparation de l’État français s’évapore, la famille Aouachria ne croit plus vraiment à un geste. "Je suis fier d’être français, assène Khelifa Aouachria coprésident de l’association des rapatriés d’Afrique du nord (Aracan). Mes enfants ont tenu le coup. On a la tête haute mais la France, elle, a courbé l’échine. Nous voulons une justice. Jusqu’à quand ça va durer ?"

25/06/2018

La Provence

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