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TRIBUNE. "Le projet de loi a été rédigé 'pour' les harkis, mais sans eux"

- Article complet -

Charles Tamazount, juriste et président du comité Harkis et Vérité, et Dalila Kerchouche, grand reporter, scénariste et auteure de "Mon père, ce harki" (Seuil), regrettent la rapidité avec laquelle a été examiné le projet de loi de reconnaissance et de réparation du drame des harkis, et y voient une autre raison.

Emmanuel Macron le 20 septembre à l'Elysée. (Sipa)

La tribune : "'Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi'. Ces mots de Nelson Mandela n'ont jamais sonné aussi justes à l'oreille des Harkis et de leurs enfants. Depuis le 20 septembre dernier, avec le pardon de la République, le chef de l'Etat a aussi annoncé un projet de loi de reconnaissance et de réparation du drame des Harkis. Cette cérémonie a suscité un immense espoir. Après 60 ans de déni, l'ampleur de cette tragédie semblait enfin prise en compte par l'Etat français !

Las… Depuis, le texte annoncé a été préparé "pour" les Harkis, mais sans les Harkis. En cinq semaines, au pas de course, le projet de loi a été rédigé, soumis pour avis au Conseil d'État et approuvé en Conseil des ministres. Début novembre, il était prêt pour passer devant l'Assemblée Nationale. Après un examen expéditif en commission de la Défense, la chambre basse du Parlement l'a adopté le 18 novembre. Ce jour-là, les débats dans l'hémicycle se sont résumés au rejet systématique et mécanique par la majorité LREM de l'ensemble des amendements susceptibles de l'améliorer. Le projet de loi sera devant le Sénat à partir du 12 janvier prochain.

Pourquoi une telle précipitation de l'exécutif à traiter d'un drame qui attend son dénouement depuis près de 60 ans? Pourquoi la cérémonie du 20 septembre s'est-elle préparée dans l'urgence ? Certains invités ont été sollicités par l'Elysée au dernier moment. C'est le cas de l'une des auteurs de cette tribune, contactée le vendredi 17 septembre pour une prise de parole à la tribune 72 heures plus tard, juste avant le pardon aux Harkis exprimé par le Président de la République.

L'Etat français est mis en demeure de s'expliquer sur six chefs de violation des droits de l'Homme

Pourquoi une telle précipitation de l'Elysée et du Gouvernement pour faire adopter à la hussarde un projet de loi qui n'est pas du tout à la hauteur du pardon présidentiel ? Comment expliquer ce qui est difficilement avouable ? Comment justifier ce projet de loi inique sans fragiliser la sincérité du pardon présidentiel et les initiatives gouvernementales prises depuis le 20 septembre ? Telles sont les difficultés du président de la République et du gouvernement face aux Harkis et leurs enfants aujourd'hui.

En réalité, il manque à ce puzzle une pièce essentielle, gardée secrète par l'exécutif, qui explique le rythme soutenu de ce calendrier législatif.

En effet - et c'est historique - à la suite des requêtes déposées par deux enfants de Harkis soutenus par le Comité Harkis et Vérité, l'Etat français est mis en demeure, depuis le 7 septembre 2021, par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de s'expliquer sur six chefs de violation des droits de l'Homme. La Cour de Strasbourg les retient comme recevables et sérieux.

Notre pays doit désormais s'expliquer en particulier sur des "traitements inhumains et dégradants" prohibés par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la violation de cet article, qui prohibe "la torture et les traitements inhumains et dégradants", constitue une des atteintes les plus lourdes et les plus graves pour un État démocratique comme la France.

Notre pays va devoir également s'expliquer sur des atteintes à "la vie privée" et au droit à une "vie familiale normale" prohibées par l'article 8 du même texte européen. En outre, le détournement des prestations sociales de familles françaises pour financer le fonctionnement de camps, où la déscolarisation des enfants était de mise, constitue une violation respectivement des articles 1 et 2 du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme. Enfin, la solution rendue sur le drame des harkis par le Conseil d'État français le 3 octobre 2018 dans son arrêt Tamazount méconnaîtrait le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de ladite Convention.

Il s'agit donc pour nous, comme pour tout citoyen français et toute victime, de faire valoir notre droit à une véritable réparation

Depuis le début du mois de septembre, le Président de la République et le Gouvernement courent après la Cour européenne des droits de l'Homme. Car l'Elysée et Matignon ont une date en ligne de mire : le 12 janvier 2022. Ce jour-là, la France devra présenter ses explications devant la CEDH sur le traitement qu'elle a réservé à la "minorité harkie" à son arrivée en métropole à compter de l'été 1962. Celle-ci n'exclut pas de rendre un arrêt d'impact et de portée européenne.

La cérémonie du pardon à l'Elysée le 20 septembre dernier, tout comme le projet de loi de réparation à minima du drame des harkis, sont autant d'initiatives de l'État pour alimenter le mémoire en défense que la France doit présenter au plus tard le 12 janvier 2022 devant les juges européens de Strasbourg.

Cette information, éclairante et précieuse pour notre Parlement, n'a pas été portée à sa connaissance. En réalité, le projet de loi, rédigé à la hâte par le Gouvernement, n'a qu'une seule finalité : éteindre tout le contentieux initié par les harkis et leurs enfants devant la CEDH, et devant les juridictions administratives par une réparation a minima.

Les mots de Mandela se vérifient : le pardon présidentiel et le projet de loi de réparation en cours d'examen au Parlement ont été faits "pour" nous, mais sans nous. Et donc contre nous. Soixante ans après la fin de la Guerre d'Algérie, nous ne pouvons accepter cela.

Qu'on ne se méprenne pas sur notre démarche. Plusieurs dispositifs relevant de la solidarité nationale ont été mis en œuvre par le passé. Une partie du projet de loi propose d'augmenter le montant des pensions et allocations diverses. Mais ces dernières relèvent d'une logique de solidarité nationale, et non d'une démarche de réparation des préjudices à indemniser en raison des fautes commises par l'État. Il s'agit donc pour nous, comme pour tout citoyen français et toute victime, de faire valoir notre droit à une véritable réparation, aussi bien devant le Parlement que devant les juges. Nous sommes deux enfants nés au camp de harkis de Bias (dans le Lot-et-Garonne) en quête de justice et de vérité.

Nous attendons aujourd'hui du Parlement qu'il fasse son travail et joue pleinement son rôle de législateur. C'est pourquoi nous demandons au Sénat, la chambre haute du Parlement, qu'il renvoie le projet de loi adopté par l'Assemblée Nationale à une commission spéciale sénatoriale à même, conformément à l'article 43 de la Constitution, de procéder à une réécriture du texte sur un temps plus propice à l'émergence d'un véritable projet de loi de réparation du drame des harkis.

C'est avec cette ambition parlementaire que la France, le pays qui a créé les droits de l'homme en 1789, pourra s'éviter le déshonneur d'une condamnation solennelle de la Cour européenne des droits de l'homme.

 Les signataires :

Charles Tamazount, juriste et président du comité Harkis et Vérité

 Dalila Kerchouche, grand reporter, scénariste et auteure de "Mon père, ce harki" (Seuil)

18/12/2021

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Dates des rassemblements, pour la Reconnaissance, la mémoire, et la culture.
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B
Il est si regrettable que ce projet de loi a été fait sur mesure pour diviser les harkis rapatriés les abandonnés en Algérie et les rescapés ayant rejoint la France après 1962. La ministre Darrieussecq depuis son installation au ministère des anciens combattants ne fait que distinguer entre harkis et pupilles elle ne fait aucune égalité mais au contraire discrimine cette catégorie qui a combattu pour la France au détriment de leurs familles. UNISSONS NOUS
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P
Très bien vue de la part de Monsieur Tamazount et de Madame Kerchouche : La manipulation donc l'effet d'annonce comme nous le démontre Jean-Baptiste Poquelin dit Molière:"Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous deux pour le jeter dans nos intérêts. Et "Et il n'y a rien de si impertinent et de si ridicule qu'on ne fasse avaler lorsqu'on l'assaisonne en louange"
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S
Bravo pour votre combat.
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