12 Mars 2024
Attendues depuis plusieurs décennies par les familles de harkis, les fouilles pour retrouver le « cimetière oublié » des enfants décédés au camp de Rivesaltes ne vont pas pouvoir démarrer comme prévu au printemps. Le projet semble empêtré dans des difficultés environnementales et administratives.
Lézard ocellé, photo d'illustration © Maxppp - Philippe Clément
" Protéger les lézards, d’accord. Mais mon petit frère était aussi un être vivant ! " Depuis quelques semaines, Hacène Arfi ne décolère pas. Annoncées pour le printemps 2024, les fouilles pour retrouver les enfants harkis décédés au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) sont finalement reportées.
Ce contretemps s’explique notamment par la présence sur le site de plusieurs espèces protégées, notamment le lézard ocellé et la couleuvre de Montpellier.
Selon les dernières recherches scientifiques, le " cimetière oublié des enfants " se situerait en bordure d’une " zone de compensation " : ce site a été mis sous cloche depuis une dizaine d’années pour " compenser " les atteintes à l’environnement provoquées par la construction du mémorial de Rivesaltes. Toute intervention nécessite un long processus administratif et des dérogations préfectorales. Selon une source proche du dossier, les fouilles ne seraient donc pas compromises, seulement retardées. Aucun calendrier n'aurait encore été établi.
" C’est difficile pour les familles d’accepter que l’on donne la priorité à une petite bestiole ", réagit Fatima Besnaci-Lancou, docteur en histoire contemporaine, spécialiste de la guerre d’Algérie, notamment des camps d’internement. Pour cette fille de harki, membre de la commission scientifique du Mémorial de Rivesaltes, il faudrait " revoir l’ordre des priorités " : " je pense que ces lézards peuvent être déplacés autre part sur l’immense site du camp. Par contre, on ne peut pas déplacer ces corps qui sont sous terre. Il nous faut absolument les retrouver, pour permettre aux familles de faire leur deuil, et offrir une sépulture digne de ce nom à ce qu’il reste de ces petits corps ".
Le camp de Rivesaltes, en 2021 © Maxppp - Michel Clementz
Entre 1962 et 1964, au moins 50 bébés ou jeunes enfants de harkis sont morts de froid ou de malnutrition dans le camp de Rivesaltes, avant d'être enterrés en toute discrétion sans la moindre sépulture. C'est le cas du petit frère de Hacène Arfi : " Mon frère Rachid est né à la fin de l'année 1963. Ma mère a accouché dans la tente. Il faisait très, très froid avec beaucoup de vent. Le lendemain matin, mon père nous a réveillés pour nous dire que Rachid n'avait pas survécu. Je l'ai accompagné pour creuser la tombe. Il a mis le corps dans une serviette de bain et c'est tout. Je ne me souviens pas de l'endroit précis où nous l'avons enterré. C'était un terrain vague et, depuis, la végétation, a beaucoup poussé."
Hacène Arfi attend depuis 60 ans pour se recueillir sur la tombe de son petit frère. À ses yeux, le report de la campagne de fouille est " une honte ", " un scandale ". " Avec les autres associations, nous allons nous mobiliser et monter au créneau. Quitte à descendre dans la rue ".
Car il y a urgence. Comme le rappelle l’historienne Fatima Besnaci-Lancou, " la plupart des parents de ces enfants ne sont plus de ce monde. Leur mémoire est porté par leurs frères et sœurs, mais eux-mêmes ne sont plus très jeunes… ceux qui avaient 10 ans en 1962 en ont aujourd’hui 72. Ce serait faire preuve d’humanité que de retrouver ces corps tant qu’il y a encore des personnes qui les ont connus ".
11/03/204
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