10 Octobre 2016
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Sous un ciel parisien chargé, le cortège présidentiel se dirige vers la cour de l’Hôtel national des Invalides, haut-lieu de la mémoire nationale. La République a une parfaite maîtrise du cérémonial, car il participe de sa mémoire et de son récit.
Rien n’est laissé au hasard dans de pareils moments de solennité.
De par leur rareté, ces temps forts élèvent momentanément le Président d’une République plébiscitaire au rang du Père de la nation. Pour certains chefs d’Etat, l’accès par la grande porte à l’Histoire passe par l’édification des monuments, pour d’autres il suit d’autres chemins périlleux faits de façonnement des symboles ou de re-substantialisation de l’imaginaire collectif.
Lorsqu’il a reconnu en 1995 la responsabilité de l’Etat Français dans les crimes commis contre les juifs sous l’occupation, Jacques Chirac achève un long et rude processus entamé par ses prédécesseurs. Avant lui, François Mitterrand a assisté à la commémoration en l’honneur des victimes du Vel d’Hiv en 1993, mais a refusé de reconnaître officiellement les crimes de Vichy.
Aujourd’hui, François Hollande, dans la perception intime de la justice qui est la sienne en tant que chef d’Etat, estime qu’il est grand temps que la France, nation millénaire dont le destin est scellé par le triptyque : liberté, égalité, fraternité, lève le voile sur un tabou vieux de 50 ans : il reconnaît solennellement « les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines de ceux transférés en France ».
Selon les historiens, 55 000 à 75 000 harkis ont été abandonnés en Algérie après les accords d’Evian de 1962. Ils ont été victimes de sanglantes représailles de la part des nationalistes du FLN. Aujourd’hui on estime la communauté des harkis en France à 500 000 personnes.
Le président honore certes une promesse de campagne et entérine au passage une reconnaissance faite en partie dans un hommage rendu déjà aux Harkis en 2012 par Kader Arif, alors ministre délégué aux anciens combattants.
Derrière les reconnaissances qui se succèdent mais qui ne se ressemblent pas court en filigrane l’intérêt presque obsessionnel que porte l’homme politique à l’Histoire. Celle-ci est devenue un sujet tellement sérieux que du point de vue de l’homme politique, elle ne peut être laissée aux seuls historiens.
Se saisir de l’Histoire, pour ne pas dire l’instrumentaliser, est une tentation qui guette constamment l’homme politique et le place en confortation continuelle avec l’historien. Mais se saisir de l’Histoire comme sujet est une chose ; en faire un discours politique électoralement porteur en est une autre.
Jean-Marie LE PEN, alors à la tête d’une extrême droite française en phase de normalisation, n’a jamais réussi à franchir la chape de plomb qui étouffe son mouvement depuis qu’il a évoqué « un détail de l’histoire » en désignant les chambres à gaz utilisées par les nazis dans l’extermination des juifs pendant la deuxième guerre mondiale.
Sarkozy s’est attiré les foudres de la communauté des historiens et une large partie de la société française en affirmant dans son discours de Dakar en 2007 que « …le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
Comme par enchantement, l’ancien président expie ainsi les méfaits, pourtant unanimement documentés par les historiens, de l’entreprise coloniale. Force est de constater que le rapport qu’entretient Nicolas Sarkozy avec l’histoire s’inscrit dans une logique frontale qui a toujours été une marque de fabrique de son discours politique. La provocation est un instrument du langage politique de Nicolas Sarkozy.
Mais la formule ne lui réussit pas toujours, surtout lorsqu’il s’attaque aux questions d’histoire. Dans l’esprit de M. Sarkozy, l’histoire passe de la science sociale à l’art romanesque à travers lequel il raconte sa vision personnelle de ce qu’est la France et de ce qu’est la nation française. Le tollé provoqué par ces récentes déclarations concernant « les Gaulois » qui seraient « nos ancêtres » dès l’instant où l’« on devient Français » en est une illustration.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’engouement des hommes politiques pour les questions d’histoire s’explique aussi par l’évolution des savoirs et des mémoires. Les écrits sur les responsabilités des gouvernements français, sur une relecture (et non réécriture) de l’histoire, voire sur le repentir font florès.
Robert Paxton dans « La France de Vichy » a démontré, à travers des archives allemandes, que Vichy a participé aux exactions contre les Juifs de façon autonome. Les recherches de Serge Klarsfeld, le retentissement des grands procès contre Klaus Barbie (1983-1987) et Maurice Papon (1997-1998), les films « le Chagrin et la Pitié » « Shoah » « La liste de Schindler » révèlent à quel point les mémoires alimentent les passions douloureuses.
Dans un échiquier politique davantage brouillé, fragmenté et caractérisé de surcroît par une banalisation des droites extrêmes et de leurs discours, les enjeux de la mémoire sont encore plus cruciaux et actuels.
Cruciales, les politiques de mémoire le sont sans conteste. Solennelles, elles doivent l’être. Mais elles doivent aussi trouver des traductions dans les législations à travers des mécanismes de réparation.
Jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements français refusent catégoriquement toute forme de repentir au sujet de la guerre d’Algérie qui continue pourtant à envenimer les relations entre les deux pays. Le repentir vaut reconnaissance de responsabilité. La responsabilité implique réparation.
C’est ce qui rend les politiques de mémoires risquées. En effet, elles ne peuvent se détacher ni des intérêts suprêmes de la nation, ni des enjeux de politique interne. Ainsi, du temps de Jacques Chirac, la France a officiellement reconnu en 2001 le génocide arménien de 1915.
Si le lobbying des réseaux (la puissante diaspora arménienne en France) est pour quelque chose dans cette position de l’Etat français, il n’en demeure pas moins que cette reconnaissance du génocide arménien reflète aussi le positionnement politique de la France à l’égard de la Turquie.
Pourtant, la même France qui a visiblement une certaine facilité à reconnaître les torts des autres a du mal à s’interroger sur les aspects destructeurs de sa politique coloniale et sur lésions provoquées par l’occupation dans les mémoires des peuples.
Parallèlement, « réparer » les injustices faites aux harkis s’invite dans la compagne des candidats à la primaire de la droite. M. Sarkozy pour qui les harkis ont voté massivement en 2007 et en 2012 n’a pas, du temps qu’il a été président, reconnu officiellement la responsabilité de l’Etat français à leur égard. Des années plus tard Il se réapproprie la question des harkis. Lors de son meeting le 24 septembre 2016 à Perpignan, M. Sarkozy souffle le chaud et le froid en s’engageant, s’il est réélu, à supprimer les commémorations du 19 mars qui célèbrent la fin du cessez-le-feu en Algérie.
Il affirme au passage que
« Le drame des harkis est celui de toute la France (…) Une tâche de sang indélébile reste sur notre drapeau…A travers les harkis, c’est tout notre roman national qui s’écrit : celui des femmes et des hommes du monde entier qui ont adopté la France, ses valeurs, sa nation. Parmi eux, une place privilégiée est faite aux Français musulmans morts pour notre liberté et notre drapeau. ».
Certes, il y a là de quoi provoquer Alger et conforter dans leurs positions ceux (encore nombreux en Algérie) qui continuent à croire dur comme fer qu’il y a un acharnement de l’Etat français sur l’Algérie, pour ne pas dire un complexe algérien au sein des gouvernements français.
Mais, il ne faut pas sous-estimer les usages internes de ce genre de discours politiques. Il y a manifestement dans ce cas précis une tentative de récupération des voix des harkis, et des pieds noirs (3 millions quand même), qui se sont massivement détournés de la droite républicaine et amplifient assurément le Front National.
Ce dernier continue à crier à la trahison en évoquant l’Algérie française et se dresse aujourd’hui contre toute forme de repentir à l’égard des algériens.
L’occasion est trop belle pour être laissée aux seules droites.
Et François Hollande n’agit pas seulement dans cette question en tant que chef d’Etat, mais aussi en tant qu’homme politique qui doit faire face à une échéance électorale, qui d’autant plus s’annonce risquée pour lui. En se saisissant de la question des harkis, M. Hollande coupe l’herbe sous le pied de la droite et l’extrême droite.
Il le fait en usant des institutions de l’Etat, des attributions que lui procure sa fonction présidentielle et des formules subtiles et justes que lui servent ses communicants : « La grandeur, disait-il dans son allocution, est toujours du côté de ceux qui réparent, plutôt que (de) ceux qui séparent ».
Du côté algérien, les prises de position de l’Etat français et des candidats à la présidence de la France n’arrangeront pas la situation. Mais il y a fort à parier qu’un débat algéro-algérien sur la mémoire soit engagé. Désormais des voix s’élèvent pour demander à ce que soit opérée une relecture de l’histoire de l’Algérie, notamment celle qui concerne le FLN et le passé de la résistance.
Un certain patriotisme-rentier a opéré un classement condescendant des Algériens, pris dans la tourmente d’une sale guerre. D’un côté, les miséreux gaillards jetés dans les casernes de l’armée française, et de l’autre, ceux qui ont rejoint les maquis suite aux exactions ou sous la menace du FLN. Qui est traître ? Qui est héros ? Qui est collabo et qui est résistant ?
Les Algériens devront, tôt ou tard, poser et se poser ces questions. Ils devront toutefois le faire dans esprit apaisé et loin des passions qui attisent la haine et empêchent la cicatrisation des plaies de l’histoire.
Il en va de leur mémoire nationale… L’essentiel, disait Gustav Mahler, c’est de « transmettre le feu (l’esprit de la résistance) et non de vénérer les cendres ».
Hamid DERROUICH
Docteur en science politique et
Réalisateur de documentaires
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