1 Juillet 2018
Des membres du Comité national de liaison des harkis aux côtés de leur président Boaza Gasmi, ce lundi à Villeneuve./ Photo DDM, J.Sch.
« Est-ce que le président Macron est au courant de ce qui se passe et des propositions qui nous sont faites ? » La question revient sans cesse dans la bouche de Boaza Gasmi, président du comité national de liaison des harkis (CNLH) comme de Mohamed Badi, lui aussi membre du CNLH. Ils ont d’ailleurs demandé, ce lundi 25 juin, un rendez-vous avec le chef de l’État, qui les avait reçus à l’Élysée en septembre dernier.
Boaza Gasmi et Mohamed Badi sont deux des quatre représentants du CNLH à siéger au sein de la commission harkis, mise en place par la secrétaire d’État aux armées, Geneviève Darrieussecq, en janvier dernier, pour plancher sur la mémoire et la réparation due par la France à la communauté des harkis, ces soldats français nés en Algérie qui ont combattu sous le drapeau tricolore avant d’être renvoyés en métropole pour être parqués dans des camps. Après 6 réunions, le préfet Ceaux a proposé, le 20 juin, aux représentants des harkis, des modalités sonnantes et trébuchantes à 1 000 lieues de leurs attentes. Littéralement.
125 euros par personne
« Le préfet propose 10 millions d’euros par an sur 4 ans, soit 40 millions d’euros, pour améliorer les rentes viagères et les allocations de reconnaissances, pour 80 000 ayants droit de la première et deuxième génération de harkis. Ça fait 125 euros par an et par personne ! », tonne Boaza Gasmi. « Nous ne sommes pas restés jusqu’au bout de la présentation, nous avons quitté la table avant car nous considérons cette proposition comme une insulte. Ce sont des mesurettes, c’est indigne. Si ces mesures restent en l’état, nous les refuserons, nous préférons ne rien avoir de plus. »
Surtout, pour les membres du Comité de liaison, il y a un gouffre entre l’espoir de l’automne dernier et la réalité de cet été 2018 : « Nous avons cru à la promesse de M. Macron », insiste Mohamed Badi. « Jamais un président de la république ne s’était attaqué à la question harki au début de son mandat. Il nous avait promis de réunir une commission au bout de 6 mois. Il l’a fait, même si les membres ont été imposés et n’ont pas été choisis par nous comme il l’avait dit. Mais il disait vouloir régler une fois pour toutes la question harki. Les propositions de la commission ne sont pas en cohérence avec ses promesses. »
Un dossier de 52 pages
Le CNLH, lui, a fourni à la commission un document de 52 pages : « On nous a demandé de chiffrer notre préjudice alors que nous ne sommes pas experts », précise Boaza Gasmi. « Nous avons donc rencontré des personnes, téléphoné, étudié la jurisprudence, comparé avec des cas similaires et avons abouti à une estimation : entre 35 et 40 milliards d’euros. Pour 150 000 à 200 000 personnes. Car nous, nous incluons les harkis de la première génération, vivants ou morts. » 40 millions d’un côté, 40 milliards de l’autre, un rapport de 1 à 1 000. Des propositions à 1 000 lieues l’une de l’autre. « On sait qu’on n’aura pas ce qu’on demande », reconnaît Larbi Bouzaboun, autre membre du Comité de liaison. « Mais on ne nous a jamais répondu sur le budget, ou l’enveloppe budgétaire allouée. »
Mohamed Badi rebondit : « le seul qui nous a répondu, c’est un chef d’état-major des armées qui nous a expliqué qu’avec son budget, il devait acheter des porte-avions, des sous-marins et qu’il lui restait 10 millions d’euros, pour nous. Mais jamais nous n’avons discuté de nos propositions pour nous expliquer en quoi elles étaient excessives, pourquoi le périmètre des « réparables » n’était pas celui que nous préconisions. » André Hasni, lui, ne veut plus attendre : « je ne veux plus être français : je vais rendre carte d’identité et passeport et demander à vivre en Grande-Bretagne. On ne me donnera rien, je ne demanderai rien à ce pays. Au moins ce sera clair, car ici, il n’y a rien à attendre de ce gouvernement. »
« Français par le sang versé »
Mouloud Tabet tend sa carte de prisonnier en Algérie /
Photo DDM, J.Sch.
Au milieu du groupe, « Miloud » s’avance, tend une feuille et une carte verte. Une attestation du comité internationale de la Croix rouge ainsi que sa carte de victime de captivité en Algérie. Il parle d’une voix calme et un peu lasse : « Qui devrait avoir honte aujourd’hui ? Nous ? Ou la France ? » Tandis que Mouloud Tabet s’en va sans un mot de plus, Boaza Gasmi et Mohamed Badi disent la même chose, autrement : « On ne devrait même plus parler de harkis, mais de soldats français. Nous sommes français par le drapeau, dans notre cœur, par le sang versé. Jusqu’ici, nous avons été polis. S’il faut se radicaliser politiquement, on le fera. On ne peut pas accepter cette aumône, nous avons notre fierté. » Loin des promesses électorales, 56 ans après, la question harki n’est pas réglée.
25/06/2018
JEROME SCHREPF