8 Janvier 2019
Le président de l'association Coordination Harka, Hacène Arfi et Michel Ouameur, responsable de la commission juridique de la structure, ont présenté aux membres l'avancée de leurs recherches afin de les aiguiller dans leurs plaintes individuelles. Photos C.G.
Ils le savent, le combat sera long et difficile, mais leur décision est prise et leur détermination entière. Dès aujourd'hui, de nombreux descendants de harkis - 150 environ - vont porter plainte contre l'État français pour demander réparation de leur préjudice, après avoir séjourné dans des conditions déplorables au sein du camp de Saint-Maurice-l'Ardoise, entre 1962 et 1976. Tous se sont réunis en collectif au sein de la Coordination Harka, menée par le Gardois Hacène Arfi. Pour chacune de ces plaintes personnelles, l'association se portera partie civile.
Samedi, Hacène Arfi avait réuni, à la salle des fêtes de Saint-Laurent-des-Arbres, tous les descendants de harkis intéressés par la démarche. "Le but est de les informer du travail que nous avons fourni depuis plusieurs mois. Nous avons vu nos avocats et ficelé un dossier. Nous n'avons plus qu'à aiguiller les personnes qui souhaitent déposer plainte", explique-t-il.
Une décision du Conseil d'Etat ouvre la voie
Cette volonté d'obtenir justice, c'est en partie à Abdelkader Tamazount que les membres du collectif la doivent. "Il nous a ouvert la porte de la justice, en obtenant la condamnation de l'État, en octobre dernier, après avoir séjourné pendant 22 ans dans le camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne", poursuit Hacène Arfi. "Cette décision constitue un espoir de reconnaissance de la souffrance des harkis liée à leur condition d'accueil et de vie", affirme Me Serge Billet, avocat de la Coordination Harka.
Mais l'association ne s'arrêtera pas aux plaintes individuelles. En effet, une plainte collective pour crime contre l'humanité sera aussi déposée dans ces prochains jours. "Nous voulons dénoncer le non-respect des Accords d'Évian (mettant fin à la Guerre d'Algérie le 19 mars 1962, NDLR), qui a donné lieu à un véritable génocide avec la complicité de l'État français", explique Michel Ouameur, responsable de la commission juridique de la Coordination Harka.
C'est après un travail de recherche conséquent que la Coordination Harka a décidé de mener ce combat collectif, notamment en consultant des archives et grâce au concours d'historiens. "Nous avons pu établir, en mettant la main sur des documents officiels, que Pierre Messmer, ministre des Armées du général de Gaulle en 1962, et Louis Joxe, ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes, avaient donné l'ordre aux militaires français d'abandonner lâchement les harkis, qui ont ensuite été livrés puis massacrés par le FLN (Front de Libération Nationale) algérien.
Jusqu'ici unie seulement par sa tragique histoire, la grande famille harkie espère désormais partager autre chose : une victoire, en justice, contre l'Etat français.
Mohamed Djafour (63 ans) : "Mon père m'a dit 'attends, je reviens'"
Mohamed Djafour connaît toutes les dates par cœur. Quand les militaires sont venus arrêter son père, qui avait participé à la Deuxième Guerre mondiale, le 22 juillet 1962, "j'avais 6 ans, 9 mois et 22 jours, se rappelle-t-il. C'était un soir, nous étions chez nous. Trois personnes sont venues et l'ont appelé depuis le bas de l'immeuble, à travers la fenêtre. Il m'a dit " attends, mon fils, je reviens "", mais il n'est bien sûr pas revenu. Ils l'ont emmené et il a effectué six ans de travaux forcés, jusqu'en 1968. Avec d'autres, il refaisait les routes de Kabylie. Un jour, on nous a même obligés, avec ma sœur et ma mère, à aller le voir travailler. Et encore, nous avons eu de la chance, car cela ne s'est passé qu'une fois. D'autres familles ont dû assister à ce spectacle à plusieurs reprises". En 1968, toute la famille peut quitter l'Algérie et arrive en France, à Ongles, dans les Alpes-de-Haute-Provence, d'abord, puis au château de Lascours, sur la commune de Laudun-l'Ardoise. Elle y restera une année avant d'être envoyée au camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne, jusqu'en 1976. À 21 ans, Mohamed intègre l'armée. Aujourd'hui, il préside l'association "Génération Harkis".
Soualah Lamri (60 ans) : "Nous avons quitté le camp les derniers"
Soualah Lamri était tout jeune lorsqu'il est arrivé en France, à peine 3 ans. "Nous sommes d'abord arrivés au château de Lascours, où nous sommes restés un an environ, avant d'être envoyés au camp de Saint-Maurice-l'Ardoise. Les hommes avaient droit à une douche par semaine, les femmes à deux. Il y avait des toilettes communales où nous n'avions le droit d'aller qu'à minuit pour vider nos seaux, pour ne pas être vus. On donnait aussi des cachets aux gens. C'était des traitements médicaux pour les calmer, mais ensuite on les traitait de fous. Parallèlement, un bureau administratif était censé s'occuper de nos papiers, mais il gardait l'argent qui nous était destiné. À la fin du camp, en 1976, ma famille a été la dernière à quitter les lieux. On a alors été parqué à Monclar, à Avignon. Mes parents n'ont pas voulu que nous restions là-bas, alors nous sommes venus à Saint- Laurent-les-Arbres, où nous avons toujours vécu ensuite. La France aurait dû se servir de nous comme d'une richesse, nous installer dans de grandes villes, nous mélanger avec les Français. Aujourd'hui, rien ne sera jamais effacé, mais on veut que le pays reconnaisse ses erreurs."
07/01/2019
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