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« On ne pense pas assez à l'Algérie comme territoire de déracinés »

* Dorothée-Myriam Kellou a présenté son documentaire (À Mansourah, tu nous as séparés) a l'institut du monde arabe.

À Mansourah, tu nous as séparés. Un documentaire intime, voire intimiste, qui aborde un aspect douloureux de la guerre d'Algérie. Bien que ces camps aient été organisés dans les Aurès très vite après le début des « événements d'Algérie » en novembre 1954, leur existence ne fut révélée qu'en 1959. Il aura fallu la « fuite » dans la presse du rapport rédigé par le tout jeune inspecteur des finances Michel Rocard pour que cet aspect des « événements d'Algérie » soit porté à la connaissance de l'opinion publique française et internationale.

Combien d'Algériens furent soumis à ce traitement ? Les chiffres varient selon les chercheurs, mais ces déplacements massifs de populations se firent au risque d'une rupture anthropologique profonde qui aura durablement scarifié le pays. C'est en ce sens que le documentaire de Dorothée-Myriam Kellou est passionnant. La journaliste donne la parole aux témoins de l'époque et on découvre un pan important de l'histoire de l'Algérie.

Jamais intrusif grâce à une caméra discrète et pudique, jamais indélicat par les questions posées et le silence accepté, À Mansourah, tu nous as séparés dévide le fil d'une histoire humaine et d'une mémoire singulière. Sur fond de tragédie et de guerre, le documentaire ne se fait pourtant jamais accusateur ou vindicatif. Capté à hauteur d'hommes, avec la densité émotionnelle que cette position permet, il rouvre le passé sans gratter les plaies.

Il trace aussi en creux le portrait d'une fille partie sur les traces de son père. Une quête d'enracinement à rebours pour contrer le flottement de l'oubli et l'écriture blanche du silence. Le documentaire a été remarqué lors de nombreux festivals internationaux. Il a aussi été sélectionné au prochain International Documentary Film Festival à Amsterdam.

Entretien.

Le Point Afriquecomment avez-vous été amenée à travailler sur ce sujet ?

Dorothée-Myriam Kellou : J'ai grandi à Nancy, sans accès à la mémoire, les langues de l'Algérie, le pays de mon père, réalisateur exilé en France. Très tôt, j'ai cherché à me rapprocher de l'Algérie. J'ai fait des études de sciences politiques et d'arabe, puis j'ai étudié au Caire et travaillé à Jérusalem pour le ministère français des Affaires étrangères. Là-bas, je faisais un suivi de la colonisation en Cisjordanie et ai commencé à m'interroger sur les effets d'une occupation militaire sur la psyché. Mon père m'avait offert un scénario de film Lettres à mes filles, où il parlait de son enfance pendant la guerre d'Algérie. Il regrettait de « ne pas avoir pu, ne pas avoir su transmettre les langues et la mémoire d'un peuple » à ses filles. Je n'étais pas prête à regarder les blessures de mon père. Je les laissais silencieuses, c'est ainsi que je les avais toujours connues.

Mes études à l'université de Georgetown ont été décisives pour mon film. L'un de mes professeurs, spécialiste de l'Algérie coloniale, m'a invitée à « creuser du côté de l'oubli ». Mon père m'a rappelé alors le scénario offert. J'ai alors découvert qu'il avait grandi dans un village, Mansourah, près de Bordj Bou Arreridj, qui pendant la guerre était entouré de fils barbelés. Je lui ai demandé de quoi il s'agissait. Il m'a répondu : « Les regroupements de populations organisés par l'armée française pendant la guerre, le point d'attaque d'une histoire qui nous a donné droit à l'errance et à l'immigration. » Je ne comprenais pas. J'ai commencé ma recherche.

Extrait du documentaire « À Mansourah, tu nous as séparés ». © DR

Comment avez-vous travaillé, à partir de quelles sources notamment ?

J'ai lu d'abord, entre autres Le Déracinement de Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad et Les Regroupements de la décolonisation en Algérie de Michel Cornaton. Puis je suis allée en France, où j'ai mené des recherches dans les archives militaires de la guerre d'Algérie au Service Historique de l'Armée de TerreSHAT ) à Vincennes. Plusieurs rapports dits « secrets » signés de la main du colonel Buis, commandant en chef du secteur de l'Hodna-Ouest, concernaient le regroupement des populations à Mansourah. En lisant ces rapports et en regardant les cartes militaires, je commençais à comprendre la logique des regroupements. L'objectif était d'abord militaire : priver l'Armée de libération nationale (ALN) de tout soutien logistique de la population rurale.

L'objectif était ensuite politique : placer la population rurale algérienne sous la surveillance et l'influence directe de la France. J'étais abasourdie par le nombre. En 1962, plus de 2 350 000 Algériens avaient été regroupés dans des camps créés par l'armée française et 1 175 000 dans des villages ou bourgs placés sous surveillance militaire française. Au total, plus de la moitié de la population rurale algérienne avait été déplacée de son lieu d'habitation d'origine. J'ai ensuite cherché à entendre la parole d'anciens appelés, militaires ou de carrière, qui avaient servi dans la région de Mansourah pendant la guerre. Grâce à la FNACA, j'ai retrouvé plusieurs témoins et acteurs de cette époque. Lorsque je suis partie à Mansourah, j'étais forte de toute cette connaissance.

Vous avez privilégié cependant de filmer la mémoire humaine, notamment à travers des témoignages de personnes qui ont vécu cette période…

Lorsque je suis partie à Mansourah, c'était la première fois que j'allais dans le village. Mon père n'y était pas retourné depuis cinquante ans. Nous avons recueilli la parole d'anciens regroupés, d'amis et famille de mon père. Il m'était difficile de découvrir le pays d'une partie de mes ancêtres à travers le prisme du déracinement en masse d'une population. J'avais l'impression intérieure d'un pays de ruines. Mais j'ai aimé la force de ces habitants que je rencontrais, leur imaginaire, leur manière d'être au monde, leur faculté à me raconter, sans haine et sans rancune. Je les écoutais, mon père, eux, et j'imaginais réaliser un film où leur mémoire pourrait se déployer, avec émotion et sincérité. Je crois que c'est la force de ce film que j'ai pu réaliser avec l'aide de mon père à Mansourah. Il est un espace où chacun se raconte avec la puissance de l'émotion que suscite pour lui l'évocation d'un tel événement. Je ne voulais surtout rien forcer, rien leur arracher au silence.

27/11/2019 

Hassina Mechaї

 

Un film de Dorothée-Myriam Kellou

De retour à Mansourah, son village natal, Malek collecte avec Dorothée-Myriam , sa fille, une mémoire historique, que la plupart des jeunes ignorent, et qui pourtant a été sans précédent dans les bouleversements qu'elle a causés à cette Algérie rurale.

Pendant la guerre d’
Algérie, 2 350 000 millions de personnes ont été déplacées par l’armée française et regroupées dans des camps. 1, 175 000 ont été forcées de quitter leur lieu d'habitation.

Dans le village, fille et père interrogent ce silence.

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Autorisation du  01/12/2019, Merci à Dorothée-Myriam Kellou  pour la publication, de l’extrait  " À Mansourah, tu nous as séparés " sur la chaîne.

Extrait documentaire de 5'01"

*Biographie Journaliste et réalisatrice basée à Paris, Dorothée-Myriam Kellou a notamment révélé dans le Monde, en juin 2016, l’affaire des financements indirects de l’État islamique par Lafarge en Syrie. Cette enquête a été récompensée par le prix Trace International de l’investigation journalistique.

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D
On parle beaucoup d'intégration ... mais comment intégrer les décolonisations, longtemps taboues, au récit national ? Y'a comme un blanc dans l'Histoire, un blanc qui s’assombrit s’il tombe, sombre dans l'oubli, celui qui détruit encore et en corps, "une mise en taire" sans cimetière, "sang épitaphe " une page froissée voire brulée ( mais qui renaîtra de ces cendres) pour ceux qui n'ont pas voix au chapitre. Une voie sans issue pour la République qui marche et semble parfois courir... à sa perte de mémoire, perte de repères (repaires) et de valeurs qui font les grandes démocraties. Il est temps de "livrer" la réalité des faits pour nous délivrer de nos batailles et autres conflits intérieurs. Soigner les traumas ( et traumatismes) avant qu'ils ne gangrènent, reprendre le mal à la racine des maux non-dits mais transmis naguère dans l'inconscient collectif.
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D
À regarder en famille… Je le découvre en même temps que le documentaire sur les décolonisations….Il était temps… de lever le voile sur ces pages sombres d'une partie de l'Histoire. Histoire occultée d'un passé mal dit-géré peut donner la nausée ou créé une Mémoire collective névrosée : Y'a comme des "blancs" dans cette histoire, blanc qui s'assombrit si les faits sombrent "tombent" dans l'oubli, des trous (traumas)"fabriqués" dans les mémoires, ce silence cette "mise en taire" (des mises scènes) le cimetière de nos maux, "sang épitaphe". On découvre enfin que la décolonisation telle que décrite dans nos "manuels scolaires" est un reste de propagande…. On découvre le massacre des tirailleurs "qui exigeaient leur salaire ? L'utilisation du napalm de la Censure et de la propagande. Sans Histoire comment se construire :Hacène Harki, fils de Harki resté enfermé "dans un camps" est-il prisonnier ? Des oubliés "histoire gommée" sur le fil du rasoir ... Il était temps… de parler de la Françafrique : les matières premières se négocient au mépris des valeurs sans honneur sans concessions. On élimine on lamine pour pourvoir accéder aux mines. Silence de plomb pour transformer en or des accords avec des dictateurs… règne de la peur avec l'aval des anciens colonisateurs, c'est sans grandeur...Cynique pratique.
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N
Magnifique témoignage ,émouvant.Cette situation inconnue,cachée au peuple français doit aider à comprendre que les cicatrices de cette guerre civile sont toujours très vives.Comme dans toutes les guerres il n'ya a que des perdants.Les seuls gagnants ont été les profiteurs de guerre de tous bords,politicards corrompus.Que la Paix nous rassemble tous autour de nos martyrs !
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