11 Septembre 2020
Tribune Mohand Hamoumou, ancien maire de Volvic, professeur à Grenoble École de Management. Auteur d’ouvrages et articles sur la guerre d’Algérie.
Le Président Macron a confié à Benjamin Stora une mission sur les pistes d’amélioration des relations entre l’Algérie et la France, provoquant aussitôt questionnements et inquiétudes, notamment parmi des associations de Pieds Noirs ou Harkis. On sait que le passé colonial et la guerre d’Algérie ont rendu sensibles les relations entre les deux États.
Il est vrai aussi que Benjamin Stora est devenu plus qu’un universitaire : une personnalité médiatique engagée politiquement en qui il est parfois difficile de distinguer un connaisseur reconnu de la guerre d’Algérie du militant de gauche apprécié en Algérie. Mais ces réactions ne doivent pas détourner l’attention de l’objet de cette mission, de ses enjeux et ses risques.
L’objet. Benjamin Stora précise qu’il s’agit d’une mission bénévole ayant pour objectif une note courte et personnelle sur ce qui, d’un point de vue historique, gêne les relations franco-algériennes, et non d’écrire l’histoire de la présence française en Algérie de 1830 à 1962. Cette note qui sera remise en fin d’année n’engagera pas le président de la république, libre de la suite à donner, en tenant compte de multiples paramètres.
Un pays stratégique
Les enjeux. Pour Emmanuel Macron, cette demande s’inscrit dans sa volonté de tenir un discours de vérité sur l’histoire de la France en Algérie afin de développer les relations avec un partenaire économique et géopolitique important. En effet, l’Algérie compte 40 millions d’habitants, possède de grandes ressources en gaz et a une frontière avec six pays. Elle tient une place stratégique sur le continent africain dans la lutte contre le terrorisme islamiste et pour la protection, au nord du Mali, des mines d’uranium, minerai indispensable pour les réacteurs nucléaires.
Côté français, le second enjeu est de soigner les mémoires blessées des Pieds Noirs, Harkis, militaires et anciens appelés. Dans ses déclarations lors des déplacements à Alger, perce la volonté d’Emmanuel Macron de faire ce que Jacques Chirac a réussi en 1992 avec le discours fort et nuancé sur les responsabilités de l’État français dans la Rafle du Vel d’Hiv’en 1942. La barre est haute car les contextes sont différents. En outre, plus de trois millions de personnes issues de l’immigration algérienne vivent en métropole. Or leur vision de l’histoire diffère de celle des rapatriés d’Algérie.
Une glorification paroxystique du FLN
Les risques. L’État algérien a réécrit son histoire avec une mythification qui vire souvent à la mystification. Le mythe du million et demi de martyrs perdure, tout autant que le silence sur la violence exercée contre les messalistes ou sur les raisons qui ont poussé des « indigènes » à devenir harkis, ou encore sur les massacres de civils, Harkis ou Pieds Noirs. Jusqu’à présent, les gouvernements issus du FLN n’ont pas voulu revoir leur histoire.
Parce que la glorification paroxystique du FLN , ayant pour corollaire la haine de la France colonisatrice, permet de détourner l’attention de la situation affligeante pour la majorité du peuple, malgré la manne pétrolière. Après l’ère Boumediene, richesses et pouvoir ont été accaparés par le clan des généraux et leurs familles. D’où les manifestations hebdomadaires que les villes d’Algérie ont connues pendant des mois et le désir de beaucoup d’obtenir des visas pour quitter l’Algérie.
Le président algérien actuel, Abdelmadjid Tebboune, dit attendre de son homologue français « des excuses » pour les violences françaises de 1830 à 1962. Le but est de continuer à utiliser l’histoire pour exalter le patriotisme et faire oublier le chômage, le manque de logements, d’hôpitaux et de démocratie. Or les demandes de repentance peuvent être sans fin. Et surtout la repentance risque d’être à sens unique. L’Algérie, ou plutôt le FLN, ne demandera pardon ni pour les massacres à Mélouza et El Hania, ni pour le non-respect des accords d’Évian censés garantir la sécurité des Harkis et des Pieds Noirs. Loin d’apaiser, la repentance unilatérale réveillerait douleur et colère chez les Pieds Noirs, les Harkis et les militaires mais aussi un sentiment humiliant d’abdication chez beaucoup de Français.
Apaiser et renforcer les relations entre la France et l’Algérie est une nécessité stratégique car ces deux pays sont liés autant par une partie de leur histoire que par des intérêts communs de coopération. Cela nécessite le travail sans précipitation d’une commission pluridisciplinaire, internationale, présidée par une haute figure morale, garantissant le respect de la pluralité des points de vue, comme a su le faire l’Afrique du Sud avec la commission Vérité et Réconciliation. La vérité historique doit être recherchée et dite pour guérir les plaies et non pour les rouvrir, dans un esprit de pardon qui ne veut pas dire oubli. De même, la réciprocité est fondamentale. Depuis longtemps des historiens ont écrit sur les pages sombres de la France en Algérie, de la conquête à l’indépendance. On attend de la part de l’Algérie le même regard lucide sur le passé.
La guerre d’Algérie a duré 7 ans. La guerre des mémoires dure depuis 60 ans. Il est temps d’y mettre fin dans l’intérêt des deux pays. Cela implique que chacun commence par assumer toute son histoire nationale, sans la réinterpréter hors contexte à des fins de politique intérieure mais avec la volonté sincère et partagée de privilégier l’avenir.
10/09/2020
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