18 Avril 2021
Il a servi la France 5 ans avant d'être emprisonné par le FLN. Harki, Mohamed Flouhi espérait la Légion d'honneur. La ministre des Anciens combattants vient de la lui refuser.
A 81 ans, Mohamed Flouhi espérait une ultime reconnaissance de l’État. L’État vient de lui refuser. (©La Dépêche/Eure-Infos)
Perchée à flanc de coteau, sa maison ne domine pas l’Oued Sebaou ni les oliviers de la capitale du Djurdjura. De sa fenêtre, l’esprit encore tourné vers sa lointaine Algérie, Mohamed Flouhi surplombe la vallée d’Eure, les champs de colza, et le petit bourg de Ménilles.
Tizi-Ouzou, la Grande Kabylie, où il est né le 12 septembre 1939, sont restés accrochés à ses souvenirs. Le souvenir d’une plaie ouverte depuis le 16 mars 1958. Le jour où, comme 200 000 à 400 000 Algériens selon les historiens, Mohamed Flouhi a rejoint les Forces françaises au sein du 408e RAA de Tizi-Ouzou.
Dans l’Algérie divisée, il s’est battu aux côtés des jeunes appelés du contingent jusqu’au cessez-le-feu du 19 mars 1962. En passant à travers les balles du FLN, en évitant des viols, en sauvant, dit-il, son chef de section lors d’une embuscade tendue par le Front de Libération National.
Esclave du FLN
« Abandonné par De Gaulle » avec l’ensemble des supplétifs de l’armée française, Mohamed a passé son dernier printemps en homme libre, sous le soleil kabyle, avant d’être arrêté par les nouveaux maîtres de l’Algérie. « Le FLN est venu m’arrêter chez moi en juillet 1962. Ils m’ont d’abord transporté dans un camp à 5 km de Tizi-Ouzou ».
Considéré comme un traître à la jeune République algérienne démocratique et populaire, il va endurer 7 ans de captivité. Sept ans de cauchemar, de coups de bâtons, d’humiliation, de privation de nourriture.
Une fois, j'ai compté les pois chiches dans la soupe. Nous en avions 7 pour quatre personnes. On les a coupés en deux pour les partager. On crevait de faim. Mohamed Flouhi
Trimballé de caserne en caserne, passé par les geôles de la Maison Carré d’Alger, Mohamed a finalement atterri dans un régiment du génie algérien. Réduit au rang d’esclave, « on travaillait 12 h par jour » en subissant les pires sévices. Pendant sa détention, « 188 Harkis sont morts dans les casernes du FLN. Un seul a été tué par balle. Les autres ont eu les bras, les jambes cassés et ont été enterrés vivants ».
Des camps du FLN aux camps de transit français
En 1968, Mohamed Flouhi a profité d’une rare permission de sortie pour s’évader avec sa femme et sa fille. Le consulat français d’Alger, le bateau, l’exil, l’ont conduit d’un camp à un autre. Parqué, avec plus de 1 000 Harkis à Saint-Maurice-l ’Ardoise (Gard), dans un camp de transit et de reclassement de sinistre mémoire, il est ensuite déplacé dans l’Orne avant de rejoindre les usines Renault de Flins où, après s’être installé à Ménilles, il a travaillé jusqu’à sa retraite en 1990.
La ministre salue son engagement mais lui refuse la Légion d’honneur
Cinquante-sept ans après la fin du conflit, leur tragédie reste une plaie à vif. Mohamed partage un combat sans fin pour une vraie reconnaissance par la France de l’abandon des Harkis. Membre de l’association Générations Harkis, il espérait, après la Croix du combattant, pouvoir accrocher la Rosette au revers de sa veste. Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, vient de lui refuser. « Malgré la qualité de l’engagement et le courage de M. Flouhi, qui méritent d’être salués, le respect des critères d’appréciation des conseils des ordres nationaux ne me permet malheureusement pas de réserver une suite favorable à votre requête » a répondu la ministre déléguée à Séverine Gipson, la députée de la 1re circonscription de l’Eure, qui avait appuyé la demande de Mohamed Flouhi.
Le refus pur et simple de Geneviève Darrieussecq enrage Mohamed Djafour. Président de l’association Générations Harkis et leurs amis, fils de Harkis, le militant ne décolère pas. « C’est une honte inqualifiable pour le gouvernement de se comporter de la sorte envers un Harki désarmé et livré à l’ennemi par ses propres chefs quand ils n’avaient plus besoin de lui ! », fulmine-t-il.
Un projet de manifestation à Évreux
Contraint, tout jeune, d’aller voir son père lui-même condamné aux travaux forcés par le FLN, Mohamed Djafour espérait un geste de l’État. « Un minimum de reconnaissance » pour celui qui s’est battu « dans l’honneur et la dignité » pour la France. « C’est la pire des hontes », juge Mohamed Djafour en promettant une réaction après la crise sanitaire. « Nous allons organiser une manifestation pacifique devant la représentation de l’Office national des combattants à Évreux pour dénoncer cette injustice » promet le président de Générations Harkis.
En attendant cette maigre consolation, Mohamed Flouhi reste prisonnier de son histoire. Coincé sur les bords de l’Eure sans espoir de revoir Tizi-Ouzou et l’Algérie, où les Harkis sont toujours interdits de séjour. Cinquante-neuf ans après la fin d’un conflit qui n’a pas fini de panser ses plaies des deux côtés de la Méditerranée.
17/04/2021
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