30 Septembre 2021
-Article Complet du Monde-
TRIBUNE
Dalila Kerchouche Grand reporter et scénariste
Charles Tamazount Juriste et président du Comité Harkis et Vérité
Saluant dans une tribune au « Monde » la déclaration du président de la République qui « brise près de soixante ans de déni et d’humiliation », Dalila Kerchouche, grand reporter et scénariste, et Charles Tamazount, juriste et président du Comité Harkis et Vérité, attendent désormais, après les mots, des actes forts en matière de reconnaissance et de réparations.
Tribune. Audace et courage. Voici les mots que nous évoque la demande de pardon du président de la République faite aux Harkis et à leurs familles, le lundi 20 septembre. Si cette déclaration justifiée a été unanimement saluée par la classe politique française, des soupçons d’électoralisme jettent le doute sur la légitimité de ce « pardon » historique. Nous nous insurgeons contre cette vision. Aurait-il fallu continuer à nier la souffrance de cette communauté encore et encore, au prétexte que nous sommes à sept mois des élections ?
Non, nous avons assez attendu. Les derniers harkis et leurs femmes, très âgés, sont en train de disparaître. Il était urgent qu’ils et elles entendent ces mots. Tous deux nés derrière les barbelés du camp de Bias (Lot-et-Garonne), nous voulons rappeler que cette déclaration historique ne surgit pas de nulle part. C’est une victoire arrachée de haute lutte par les harkis et leurs enfants. Une victoire qui brise près de soixante ans de déni, d’humiliations et de mépris.
Aux racines du mal : l’abandon, les camps, la prison et le déni. Pourtant, dès le lendemain des accords d’Evian, les lanceurs d’alerte n’ont pas manqué. En Algérie, dès le 27juillet1962, le sous-préfet d’Akbou (wilaya de Béjaïa), Jean-Marie Robert, alerte l’Elysée sur l’ampleur des massacres de harkis. En vain. Le Prix Nobel d’économie Maurice Allais, l’historien Pierre Vidal-Naquet ou l’écrivain Jean Lacouture condamnent, eux aussi, l’abandon des harkis.
Le long combat des harkis et de leurs enfants
A propos des camps, en 1987, deux universitaires, François-Jérôme Finas et Marwan Abi-Samra, rédigent un des premiers travaux de sociologie sur le drame des harkis (Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, université Lyon-2). Le texte, remis à la Caisse nationale d’allocations familiales, alerte les autorités. Les chercheurs mettent en évidence « une organisation totalitaire, qui a mobilisé des ressources multiples (dans les domaines juridique et économique) et qui a lourdement conditionné l’existence et le devenir des Français musulmans. De 1962à 1975, les harkis sont pris en otage à l’intérieur d’un microcosme totalitaire(…), une véritable machine de guerre permanente qui travaille à désorganiser les groupes et les relations, à bannir et à enfermer, à utiliser des individualités isolées d’un tissu communautaire. En même temps que le discours officiel confirme dans le statut de Français à part entière, le traitement et le destin qui leur est réservé font paraître un autre statut, celui de Français entièrement à part, assignés à des espaces hors-la-loi, où règnent le non-droit, voire le contre-droit ».
Les chercheurs évoquent « une stratégie de désintégration sociale et de marginalisation socio-économique », et « des procédures de discrimination raciale légalisées et institutionnalisées ». Reconnaître la responsabilité de la France dans le drame des harkis, à l’instar de Jacques Chirac lors de la commémoration du Vél’d’Hiv en1995, Nicolas Sarkozy et François Hollande s’étaient prêtés à l’exercice, en avril2012 et en septembre 2016, sans impact notable sur l’opinion publique.
Le pardon de la République exprimé par Emmanuel Macron parachève aujourd’hui le long combat des harkis et de leurs enfants pour la reconnaissance de cette page sombre de l’histoire de France. Depuis des années, nous nous battons sans relâche. Sur le terrain, dans les livres et dans les prétoires des tribunaux.
La découverte des « camps de la honte »
Déjà, entre 1962 et 1975, des harkis dénoncent leurs conditions de vie indignes. Au hameau de Pujol-de-Bosc (Aude), l’un d’eux écrit une lettre au secrétaire d’Etat chargé des rapatriés. Loin d’être écouté, l’auteur du courrier (cité dans le rapport de François-Jérôme Finas et Marwan Abi-Samra) est sanctionné.
Car le régime disciplinaire qui régit les camps et les 75 hameaux de forestage étouffe toute velléité contestataire. Les sanctions sont diverses : mutations vers d’autres camps, retenues de salaire, placement autoritaire des enfants et internement d’office à l’hôpital psychiatrique à Bias... Jusqu’à l’emprisonnement dans une cellule à Saint-Maurice-l ’Ardoise ! Surtout, la menace d’être renvoyés en Algérie, et donc à une mort certaine, enferme les harkis dans le silence. Ils n’ont pas le droit... de réclamer leurs droits.
Au printemps1975, les enfants de harkis parqués dans les camps, devenus des jeunes adultes, se soulèvent contre la politique de ségrégation officielle dont ils sont victimes depuis1962surle sol français. Ils font tomber les barbelés des camps Bias (Lot-et-Garonne) et de Saint-Maurice-l ‘Ardoise (Gard). La révolte gagne les hameaux de forestage et les cités urbaines.
Les médias découvrent, médusés, ces « camps de la honte », régis par un régime d’exception. Enfermement physique, couvre-feu, brimades, spoliations, non-respect de la vie privée, aides sociales détournées... Les violations des droits fondamentaux de ces citoyens français sont nombreuses. Le comble du cynisme ? Sur la place du camp de Bias, les harkis, soumis au lever des couleurs, doivent saluer le drapeau d’un pays qui les humilie.
Le changement des années 2000
Eté 1991. Nouveau vent de révolte. De Narbonne à Avignon en passant par Amiens et Nîmes, les enfants de harkis enflamment des pneus, barrent des routes, lancent des cocktails Molotov et reçoivent des grenades lacrymogènes. Les journaux titrent :« Les harkis se rebellent ».
Mais les autorités restent sourdes. Jusqu’au début des années 2000, les harkis et leurs enfants sont cantonnés dans le statut d’oubliés de l’histoire. De multiples grèves de la faim, menées par les militants de la première heure, M’Hamed Laradji, Hacène Ar, Abdlekrim Klech (et tant d’autres...), devant l’église de la Madeleine, les Invalides ou l’Elysée, mettent en lumière les séquelles de la relégation sociale. Ces enfants de harkis ont abîmé leur santé et brûlé leur vie pour défendre l’honneur de leurs parents. Ne l’oublions pas.
Mais cette détresse sociale n’a longtemps suscité qu’un regard compassionnel des politiques français. En juin 2000, la violence des propos tenus à l’endroit des harkis parle président algérien Abdelaziz Bouteflika, durant sa visite d’Etat en France, réveille à nouveau la soif de justice et de reconnaissance chez les enfants de harkis
2002 2021 : les attentes de reconnaissance des harkis
Ils investissent l’écriture pour déterrer de l’oubli français cette mémoire enfouie. Et deviennent écrivain de leur propre vécu. Mon père, ce harki, de Dalila Kerchouche (Seuil,2003), Fille de harki, de Fatima Besnaci-Lancou (Les éditions de l’Atelier,2005), jusqu’à L’Art de perdre (Flammarion), d’Alice Zeniter, petite-fille de harki, en2017, tentent de briser le silence sur cette tragédie française. A la télévision, peu de documentaires abordent ce sujet tabou. En 2006, la scénariste Dalila Kerchouche écrit la seule fiction jamais dédiée à ce drame : Harkis, d’Alain Tasma, avec Leïla Bekhti et Smaïn (France 2/Arte).
Face au mutisme obstiné des pouvoirs publics, les enfants de harkis s’engagent sur un nouveau terrain : celui de la loi. Ils investissent les prétoires des tribunaux. Le 30 août2001, à l’initiative de feu Boussad Azni, une plainte pour crimes contre l’humanité est déposée devant la justice française. En septembre 2001, le Comité Harkis et Vérité, créé par le juriste Charles Tamazount, s’engage dans une démarche de justice visant au respect de l’Etat de droit parle gouvernement dans sa gestion administrative des familles de harkis.
Sur la trentaine de procédures engagées devant le Conseil d’Etat entre 2002 et 2021, une vingtaine de recours conduisent à l’annulation de la plupart des textes gouvernementaux applicables aux familles de harkis, considérés comme illégaux. Au cours des vingt dernières années, l’action méthodique, rigoureuse et constante sur la durée du Comité Harkis et Vérité a contraint nos gouvernants à prendre progressivement au sérieux les attentes des harkis et de leurs familles.
Après le temps du pardon, celui de la justice et de la vérité
Dans le cadre de leur conquête de l’Elysée, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron prennent divers engagements, notamment celui de reconnaître la responsabilité de la France dans le drame des harkis. C’est finalement auprès des juges que les harkis et leurs enfants obtiennent la première grande avancée notable.
Ainsi, sur le terrain de la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le drame des harkis, après sept ans de procédure commencée en2011 devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le Comité Harkis et Vérité obtient du Conseil d’Etat, le 3 octobre 2018, la reconnaissance des fautes de l’Etat dans la politique d’enfermement des familles de harkis dans des camps. Ainsi que la condamnation de l’Etat à réparer financièrement un enfant de harki ayant vécu aux camps de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), puis de Bias.
En annonçant un projet de loi de reconnaissance et de réparation du drame des harkis, Emmanuel Macron s’inscrit dans la suite logique de la décision rendue par la plus haute juridiction administrative du pays. Le 17 septembre 2009, dans son éditorial du Nouvel Observateur, Jean Daniel affirme :« De Gaulle a abandonné les harkis : c’est son crime ; et le nôtre. »
En demandant pardon, le chef de l’Etat réconcilie la République avec les harkis et leurs enfants, cinquante-neuf ans après la fin de la guerre d’Algérie. Il était temps. Pour autant, tout n’est pas gagné. Après les mots, nous attendons désormais des actes forts. Nous attendons fermement que le chef de l’Etat sorte d’une logique de solidarité et d’assistanat social pour entrer dans une démarche juridique de réparation des préjudices.
Nous serons vigilants à ce que le projet de loi de réparation et de reconnaissance, annoncé par le président de la République pour la fin de l’année, soit à la hauteur de la gravité et de la singularité de ce drame.
Après le temps du pardon doit venir celui de la justice et de la vérité
Dalila Kerchouche est grand reporter et scénariste, autrice de Mon père, ce harki (« Points Seuil »). Charles Tamazount est juriste et président du Comité Harkis et Vérité
29/09/2021
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