6 Juin 2024
Allaoua Bouglouf.
INFO FRANCE INTER - La famille d'un militaire de carrière algérien, qui a combattu aux côtés de la France pendant la guerre d'Algérie, a vécu sept ans dans un camp de harkis après son rapatriement, a vu son dossier de demande d'indemnisation rejeté. Elle attaque cette décision en justice.
C’est un pan de la guerre d’Algérie passé sous les radars : le destin des militaires de carrière algérien qui ont combattu aux côtés de la France durant le conflit. Une partie a été rapatriée sur le territoire métropolitain après les accords d’Evian de mars 1962. Ils ont été, avec leur famille, envoyés dans des camps d’accueil de harkis, ces supplétifs musulmans engagés dans les Forces armées françaises sans avoir le statut de militaire. Mais ce ne sont pas des harkis.
Rachitisme et maladie de Bouillaud
C’est le cas d’Allaoua Bouglouf. Au sortir de la guerre d’Algérie, ce gradé de l’armée se retrouve au camp de Cattenom (Moselle), avec sa femme et leurs enfants. Ils vont y rester sept ans, jusqu’à sa retraite en 1969. " Les maisons n'étaient pas chauffées, il y avait des nuisibles, des rats, des punaises", raconte Mireille Bouglouf, née dans le camp de Cattenom. L’une de ses filles, aujourd’hui lourdement handicapée, y contracte la maladie de Bouillaud, qui s’attaque aux articulations et au cœur. "Ça a attaqué sa valve mitrale, qui est aujourd'hui calcinée", explique Mireille, qui, elle, a développé un rachitisme dans les premiers mois de sa vie.
Les années passent, la politique mémorielle de la France évolue. En septembre 2021, Emmanuel Macron demande dans un discours " pardon " aux harkis et annonce un projet de loi en ce sens. " Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance, nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi les camps, la prison, le déni, je demande pardon. Nous n’oublierons pas. Le souvenir des harkis, l'honneur des harkis doit être gravé dans la mémoire nationale " , lançait-il le 20 septembre 2021.
En février 2022, la loi sur la reconnaissance de la Nation envers les harkis, et la réparation pour leurs conditions d'accueil et de vie à leur arrivée en territoire métropolitain, est publiée au Journal officiel. Mireille Bouglouf a alors un déclic. Avec sa famille, elle constitue un dossier pour demander une indemnisation pour les sept années vécues dans le camp de Cattenom.
Il est une première fois rejeté car Cattenom n'est pas mentionné dans la liste des structures éligibles à une indemnisation. Mais le nom du camp est finalement rajouté en septembre 2023, et la famille relance les démarches. Après un nouvel envoi du dossier en décembre, et quelques contacts avec l'ONACVG (l'Office National des Combattants et des victimes de guerre) et la CNIH (Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis), Mireille Bouglouf garde espoir.
"Une deuxième fois exclus"
Mais ce 5 juin 2024, elle n’a toujours pas reçu de réponse de l’administration. Ce qui équivaut à un refus implicite. Avec son avocat, maître Antoine Ory, elle a donc décidé de déposer un recours pour excès de pouvoir auprès du tribunal administratif de Nancy, pour dénoncer un système d’indemnisation injuste, qui ne dédommage qu’une partie des habitants du camp de Cattenom malgré des conditions de vie similaires. " Vous avez des familles qui ont été accueillies dans les mêmes camps et donc dans les mêmes conditions indignes ", explique Antoine Ory, " mais pour certaines d'entre elles, on considère que leurs souffrances justifient une indemnisation et pour d'autres non. C'est quelque chose que nous n'arrivons pas à comprendre ". Mireille Bouglouf ajoute : " On nous a doublement exclus : une première fois en nous parquant dans ces camps, et aujourd'hui, nous les descendants de ces militaires d'active qui ont vécu exactement dans les mêmes conditions que les harkis, sommes une deuxième fois exclus ".
En avril 2024, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour les "conditions de vie pas compatibles avec la dignité humaine" des harkis dans les camps après la guerre d’Algérie.
50.000 musulmans non harkis ont été rapatriés en France après la guerre d’Algérie selon le site de la CNIH.
05/06/2024
- Abonnez-vous gratuitement -