9 Novembre 2012
Article Source : El Watan le 30.10.12
Enrôlé de force dans l’armée française, brahim Sadouni a quitté l’Algérie en 1962 de peur de «représailles du FLN». Depuis ce temps-là, il n’a pas revu la terre de ses ancêtres.
«Je pense avoir été plus victime que responsable»
Interview
-L’Algérie fête le 1er novembre prochain le 58e anniversaire du début de la révolution. Comment voyez-vous, en tant que harki, cette date ?
Sachez tout d’abord qu’on ne devient pas harki par plaisir, il faut comprendre les circonstances dans lesquelles ces gens ont été jetés dans ce monde de feu et de sang.Le 1er novembre 1954, j’avais 12 ans. Je me souviens parfaitement de ce jour-là, et de tout ce qui s’était passé, lorsque le car, qui reliait mon village Arris à Biskra, avait été attaqué par un groupe d’hommes armés, tuant l’instituteur, blessant sa femme et tuant le caïd. Depuis ce jour, les bouleversements se sont succédé dans ma région et chaque jour on dénombrait des morts de part et d’autre. La répression militaire française était violente contre les populations, ainsi que les représailles du FLN qui était également sans merci.
Mon père, Ali, avait préféré partir pour la France, où il y est resté pendant 7 années et demie. Comme je n’avais plus d’école et que la vie était très dure, j’ai essayé d’aider ma mère et mes frères. A 17 ans, je venais de finir un stage de formation professionnelle comme mécanicien. Pour gonfler ses effectifs militaires, l’armée française m’avait enrôlé malgré mon jeune âge et mineur dans les SAS comme Mokhazni. Toute cette guerre a été pour beaucoup un drame et une souffrance. Aujourd’hui, à 70 ans, j’ai toujours ces souvenirs en mémoire, donc, personnellement, je n’ai jamais été hostile à l’indépendance de l’Algérie.
-Le président Hollande vient de reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans les massacres d’octobre 1961. Que demande la communauté harkie à l’Algérie ?
C’est vrai qu’après un demi-siècle d’une amnésie totale, il serait temps que les deux pays reconnaissent ensemble et enfin leurs responsabilités respectives pour aider à soulager toutes les souffrances des uns et des autres. Il me semble qu’il serait très constructif, pour que l’histoire puisse se faire sans contrainte, de pouvoir enfin ouvrir les archives tous ensemble pour permettre aux historiens, aidés par des associations des deux pays et d’une manière cohérente, de lever toutes les ambiguïtés qui restent, hélas, de grands obstacles à cette réconciliation tant souhaitée par les deux peuples.
-Certaines voix appellent l’Algérie à faire son examen de conscience vis-à-vis des harkis ; pensez-vous que cela est possible ?
Je pense que l’Algérie est capable de surmonter cet obstacle en faisant aussi un travail de mémoire sur son passé. C’est vrai que cela est difficile pour certains individus qui freinent volontairement l’histoire de ce grand pays. Des erreurs incontestables ont été commises, particulièrement après l’indépendance de l’Algérie, où des dizaines de milliers de harkis, abandonnés volontairement par la France, ont été massacrés. Il me semble aujourd’hui plus que jamais qu’il faut tourner la page. D’autres pays ont subi des tragédies aussi dramatiques et ont su retrouver un équilibre. Prenez l’exemple de la guerre mondiale, où 55 millions d’êtres humains ont péri, 6 millions de juifs que les nazis ont exterminés avec une intensité inouïe. D’autres nations ont subi des guerres et, aujourd’hui, ils ont pu tourner la page sans oublier.
-Vous sentez-vous finalement Algérien ou Français ?
J’ai quitté l’Algérie à 21 ans pour fuir toutes les représailles perpétrées à cette époque à l’encontre des harkis. Vous me demandez si je suis Algérien ou Français ? La France, qui m’a enrôlé pour faire la guerre alors que j’étais encore un adolescent, au lieu de m’envoyer à l’école a fait de moi de la chair à canon. L’Algérie, mon pays que j’ai toujours respecté et que je respecte encore, m’a toujours empêché de revoir les miens. Je pense avoir été plus victime que responsable.
Mon père a servi l’Algérie comme moudjahid, et voilà que je découvre, aujourd’hui, qu’il n’a pas eu de reconnaissance, mais vraiment aucune ! La preuve, 50 ans après, moi son fils, je ne peux toujours pas revoir mon pays natal. Le 20 octobre dernier, j’ai appris avec une grande tristesse le décès de mon jeune frère que j’avais laissé à l’âge de 11 ans, et que je n’ai jamais revu depuis cinquante ans.
-----------------
l'Association Départementale Harkis Dordogne Veuves et Orphelins , et le site http://www.harkisdordogne.com/ Périgueux