2 Mars 2014
Alors qu'elle devait faire ses devoirs sur un coin de table, dans une petite maison qu'elle partageait avec ses onze frères et sœurs et deux autres familles, Dalila Coustenoblea aujourd'hui son propre bureau, au premier étage de la mairie. Photo: Raphaëlle Besançon
Un regard franc, de grands éclats de rire, une voix forte : Dalila Messaoudi, devenue Mme Coustenoble, s’assume sans complexes. C’est loin d’avoir toujours été le cas. Enfant d’une famille de harkis, dixième d’une fratrie de douze frères et sœurs, toute son enfance elle a dû faire profil bas. Pour « s’intégrer ». Aujourd'hui, elle est adjointe aux finances dans l’équipe municipale sortante. C’est elle qui a demandé ce poste. Accordé sans hésitation par le maire Front de gauche actuel, Michel Cosnier, conquis par sa détermination et son investissement.
Chaque année, au printemps, c’est elle qui explique dans le bulletin municipal les subtilités du budget de la commune à ses concitoyens. Dans son bureau un peu austère, « je n’y suis pas souvent », avoue-t-elle, elle mesure le chemin qui l’a conduite à ce poste. Une lointaine habitude de tout gérer sans doute. Enfant, elle s’occupait des dossiers de bourses et des demandes d’aides pour payer la cantine, le bus, pour elle et toute la famille. Ses parents ne savaient pas lire et sa mère a appris un peu de français en écoutant ses enfants réciter leurs leçons. Même si, comme elle le répète, elle n'a jamais manqué de rien, elle n'a pas eu d’autre choix que de grandir vite : « J'ai été élevée à la dure. Je n'ai pas connu
le bisou du soir. »
Les Messaoudi ont dû fuir l’Algérie car le père est un harki, un Algérien qui s’est battu aux côtés des troupes françaises contre les partisans de l’indépendance. Il a quitté sa patrie, sans papiers, une valise à la main, pour éviter les représailles. Le grand-père maternel venait d’être assassiné. Plus jamais les parents Messaoudi ne reparleront de cette période et la maman demeure hantée par ce passé douloureux. Arrivé en 1962 au camp de Rivesaltes, dans le sud de la France, le couple, qui venait d’avoir un premier enfant, entend parler d’un besoin de main-d’œuvre dans les tanneries de Château-Renault. « Ils cherchaient du personnel docile », lâche Dalila d’une voix amère.
Le travail était ingrat. Il fallait enlever les viscères de la peau avant le tannage. Les Messaoudi vivent dans un premier temps sous la tente, puis partagent une petite maison d’un étage avec deux autres familles. Année après année, les enfants naissent là. Dalila y verra le jour en 1972. Moins d’incertitudes, du travail pour le père aux tanneries puis à l’usine chimique voisine : les parents « font construire » comme on dit. « Et pour ça je leur tire mon chapeau », s’exclame la jeune adjointe avec fierté.
"Aujourd'hui, j'ai arrêté l'athlétisme, mais je continue de courir après l'avenir", lâche-t-elle dans un grand éclat de rire. Photo: Raphaëlle Besançon
Cheveux courts, silhouette longiligne, allure décidée : lorsque l'on voit Dalila Coustenoble aujourd'hui, on oublierait presque qu'elle est l’enfant de ces années de galère. Après son bac, elle a voulu travailler tout de suite. Employée au Centre communal d'actions sociales (CCAS) de Château-Renault, elle décide rapidement d'en partir. « La misère je
saturais », avoue-t-elle. Entre son emploi de comptable dans une mairie proche et son poste d'adjointe aux finances à Château-Renault, sa place n'est plus à faire. Les habitants la connaissent et la saluent, même certains électeurs du Front national, assez nombreux dans la commune. Au premier tour des élections présidentielles de 2012, Marine Le Pen a en effet atteint ici le score de 22 %, un des plus élevés d’Indre-et-Loire. Elle avoue que parfois, leurs propos la déconcertent : « Quand je leur dis que voter FN c'est être raciste et voter contre des gens comme moi, ils me répondent que moi c'est différent, ils me connaissent, explique-t-elle avec un rire nerveux. Alors on discute. J'essaie de rester diplomate. »
« Malgré les brimades à l'école, les injustices », se fondre dans le paysage fut l’obsession de ses parents. Un de ses frères a même été appelé Pascal sur les conseils d’une assistante sociale. Les plus jeunes de la fratrie seront élevés « à la française ». Dalila découvre l’athlétisme. « On pouvait se défouler tout en étant très cadrés, explique-t-elle. Ça nous a empêché de partir en vrille. » Elle pratiquera ce sport pendant huit ans, enchaînant les compétitions. « J'ai arrêté l'athlétisme, mais j'ai continué de courir après l'avenir » lâche-t-elle dans un grand éclat de rire. Malgré la peur qu'elle a toujours eu de ne pas y parvenir, Dalila est la seule de la fratrie à s’être construit une vie bien loin de l'enfance qu'elle a connue. Elle a choisi de n'avoir qu'un seul enfant, afin de pouvoir lui accorder toute son attention, elle qui dut accepter que celle de ses parents soit constamment divisée en douze.
Derrière le monument aux morts, le maire a fait poser une plaque commémorative en hommage aux harkis. En 1962, ce sont vingt-deux familles de combattants algériens qui se sont installées à Château-Renault. Photo: Raphaëlle Besançon
Malgré un emploi du temps réglé comme du papier à musique, la jeune quadragénaire prend le temps de se documenter sur l'histoire des harkis. Trois livres l'attendent le soir sur sa table de chevet. Car Mme l’adjointe au maire n’a jamais oublié des origines qu’elle porte bien haut. Son prénom, calligraphié en arabe, décore l’un des murs de son salon. Et chaque 25 septembre, elle se rend à Amboise avec ses proches pour la cérémonie nationale en hommage à la mémoire des harkis.
Cette célébration, instituée en mars 2003 à l'initiative de Jacques Chirac, rappelle la France à sa responsabilité dans le massacre de ces soldats. Seulement, à Amboise, les harkis ne sont pas admis dans le mémorial, réservé aux gradés et aux officiels, dont Dalila fait désormais partie. Souvent âgés, ils doivent rester dehors, derrière les barrières. Lors d'un conseil municipal, l'adjointe bondit : « En agissant ainsi, vous les parquez pour la deuxième fois ! » Elle parvient à faire admettre quatre d'entre eux de l'autre côté des barrières. « Ce n'est pas assez, je n'en ai pas fini », affirme-t-elle, les larmes aux yeux. Le 25 septembre dernier, lorsque les gradés et les officiels sont passés devant les quatre harkis présents dans le mémorial, ils ne les ont pas salués. Dalila, elle, les a serrés dans ses bras.
Article Source : Raphaëlle Besançon
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l'Association Départementale Harkis Dordogne Veuves et Orphelins , et le site http://www.harkisdordogne.com/ Périgueux