16 Mars 2012
L'Algérie, c'était notre guerre
Durant plus de 7 ans, Lakbar Benfissa s'est battu «pour la France» avec sa harka, sur tous les secteurs les plus exposés, en Algérie. Pays natal où il ne pourra plus jamais retourner...
Son épouse est malade. Tous les jours, il va la voir à la maison de retraite. Mais la nuit, Lakbar Benfissa n'a plus personne à qui parler. Et c'est justement la nuit qu'elle revient toujours, la guerre… Ce cauchemar jamais terminé.
« Avant, je pouvais dire à ma femme, elle m'écoutait, je lui racontais, après, ça allait mieux, je dormais. Mais maintenant je suis seul, et ça revient, ça revient… Il me faut les cachets du docteur, sinon, je ne dors plus » finit par lâcher l'octogénaire devant son pavillon de Valence-sur-Baïse dans le Gers.
Un demi-siècle a passé depuis la fin de la guerre d'Algérie, mais pour l'ancien harki, le temps n'efface rien, non plus. Lui ? Il était paysan à Sidi Issa, dans l'ouest algérien et se partageait entre son petit lopin de terre et « les exploitations des Français ». « Les types du FLN, ils voulaient de l'argent, ils m'ont menacé : « si tu payes pas, on te tue ». Alors en 1955, j'ai rejoint une harka » résume-t-il quant à son engagement.
Harki, c'était payé « 250 francs par mois, comme les ouvriers agricoles ». Et pour ce prix-là… « J'y suis resté sept ans et demi et on a bougé partout, avec les hélicos, de la frontière tunisienne au Maroc, on s'est battu dans la montagne, aussi, au corps à corps, la nuit. C'était dur, le froid en hiver, le chaud en été, toujours chargés comme des mules. Et la guerre, c'est simple : si tu te bats pas, tu es tué », poursuit Lakbar Benfissa.
Ce que ça lui faisait de se battre contre d'autres Algériens qui voulaient la liberté ? « Ce sont eux qui ont commencé. Moi, comme beaucoup, j'étais bien avec la France » répond-il. Cette France qu'il découvre en 1960, à Paris, où le préfet de police s'appelle donc Maurice Papon.
« Parce qu'on nous a aussi envoyés faire les auxiliaires de police, fouiller pour trouver les armes du FLN à Nanterre », se souvient-il encore. Mais « à Paris, j'ai compris que l'indépendance finirait par arriver. » Il avait alors une femme trois enfants au pays. Avec eux, il a fait partie de ceux qui ont pu s'échapper. Et…
« J'ai été un peu choqué. La France, elle nous a laissés tomber. On est arrivé sans rien, à Saint-Maurice-L'Ardoise », poursuit-il. Saint-Maurice-L'Ardoise ? C'était un ancien camp de prisonniers transformé en camp de transit, dans le Gard. Ils y sont restés jusqu'en 1963. Puis ça a été le Gers.
« Les gens ont été gentils avec nous. Les racistes ? Rares. En Algérie, oui, il y avait beaucoup de racisme. Mais heureusement, ici, en 63, il y avait du boulot, j'ai recommencé dans les travaux publics ». Cinq autres enfants sont nés. Et en 1987, Mechmecha sa femme a reçu la médaille d'or de la famille française, encadrée désormais au salon.
L'Algérie ? « J'essaye d'oublier. Je regrette le pays, la famille, tout. Mais là-bas, on y retournera jamais. La vengeance, certains l'ont encore en tête… La télé dit toujours qu'on est des traîtres. Et puis, j'ai tout construit ici… »Publié le 13/03/2012| la dépêche.fr
l'Association Départementale Harkis Dordogne Veuves et Orphelins , et le site http://www.harkisdordogne.com/ Périgueux